Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

[Point de vue] Lutte contre le cyberharcèlement : entre illusion du risque zéro et tentative de responsabilisation des acteurs du numériques.

Par Josselin Guillon, Avocat.

2471 lectures 1re Parution: Modifié: 4.92  /5

Explorer : # cyberharcèlement # lutte contre les discours de haine # responsabilité des plateformes # législation européenne

A l’heure où le débat public se tourne régulièrement vers des paroles de haines et le rejet de l’autre, où un candidat à l’élection présidentielle est un délinquant multirécidiviste condamné plusieurs fois pour des faits de provocation à la haine raciale, les affaires de harcèlement de masse ne cessent de défrayer la chronique.
Entre illusion du risque zéro ayant conduit au projet de Loi Avia, retoquée en grande partie par le Conseil Constitutionnel et responsabilisation des acteurs du numérique, rapide coup d’œil des évolutions du droit français et du droit européen.

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La multiplication de la parole violente et haineuse a pour vecteur principal internet. Le phénomène du harcèlement en meute qui se développe sur les réseaux sociaux, parfois sous couvert d’un prétendu anonymat, participe à un harcèlement ciblé face auquel les victimes sont alors totalement démunies et qui peut mener à des conséquences dramatiques.

Ces affaires de harcèlement de masse sur internet défraient désormais régulièrement la chronique, tant du fait de leur recrudescence qu’en raison des poursuites engagées de plus en plus fréquemment contre les auteurs de ces faits.

Il reste que ces poursuites pénales sont loin d’être automatiques face à un phénomène d’une telle ampleur, et que celles-ci n’ont, pour l’instant, que peu d’impact en matière préventive.

Le législateur français, tout comme l’Union européenne se sont saisis récemment de la question et de nouvelles évolutions législatives sont à venir.

Si le droit français a avant tout mis l’accent sur un aspect répressif après l’échec de la Loi Avia (I), le législateur européen s’est quant à lui attaché à l’aspect préventif de la lutte contre les discours de haines en cherchant à favoriser la coopération et la responsabilisation des hébergeurs et des plateformes (II).

I/ Les risques d’une volonté de réforme du droit français.

a) L’état du droit pénal positif.

Le cyberharcèlement est protéiforme, qu’il soit moral ou sexuel il peut être constitué de différentes manières : il peut être caractérisé par des insultes, intimidations et menaces en ligne, mais également par la diffusion de rumeurs, le piratage de comptes, la création d’un groupe ou d’une page de discussion sur un réseau social à l’encontre d’une personne ainsi que la publication de photos ou vidéos humiliantes de la victime.

Le cyberharcèlement est réprimé par le droit pénal français, qu’il s’agisse du cyberharcèlement sexuel, via l’article 222-33 du Code pénal, ou du cyberharcèlement moral via l’article 222-33-2-2 du Code pénal, créé par la loi n°2014-873 du 4 août 2014.

L’article 222-33 réprime ainsi le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle est également assimilé au harcèlement sexuel. La peine applicable au harcèlement sexuel est aggravée lorsqu’il est commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique. Ce délit est ainsi passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amendes.

L’article 222-33-2-2 du Code pénal réprime quant à lui le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. Ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros lorsque les faits ont causés une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours.

Ledit article prévoit par ailleurs des circonstances aggravantes permettant alors d’appliquer une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, notamment lorsque les faits sont commis sur un mineur de moins de quinze ans ou sur une personne particulièrement vulnérable, qu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jour ou enfin qu’ils été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.

Ces peines sont encore aggravées à trois ans et 45 000 euros d’amendes dans le cas ou les faits seraient commis dans deux des circonstances aggravantes prévues (Par exemple, un cyberharcèlement visant un mineur de moins de quinze ans, ou conduisant à une incapacité totale de travail de plus de 8 jours).

Ainsi, le cyberharcèlement est considéré par la loi pénale française comme un harcèlement aggravé.

Afin de s’adapter à la recrudescence de faits de cyberharcèlement en meute se développant sur les réseaux sociaux, le législateur a modifié, par la loi n°20108-703 du 3 août 2018, les articles 222-33 et 222-33-2-2 du Code pénal en y intégrant les 2 alinéas suivant :

«  L’infraction est également constituée :

a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition. »

Ainsi, la notion de répétition des propos ou comportement dégradants autrefois exigée d’un seul auteur peut, suite à cette modification législative, être caractérisée par la répétition de propos uniques tenus par différents auteurs, et ce même lorsque ceux-ci ne se seraient pas concertés préalablement.

Ce nouveau délit a pour but de sanctionner tous les co-auteurs de l’infraction quel que soit le degré d’intervention dans la commission du harcèlement (retweets, like, message sur des forums). Les co-auteurs pourront désormais être condamnés aussi lourdement que l’auteur principal de l’infraction.

b) Une volonté de réforme, entre atteinte à la liberté d’expression et renforcement superfétatoire de l’arsenal législatif.

La majorité parlementaire a également tenté d’entreprendre une nouvelle réforme relative au cyberharcèlement via la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « Loi Avia ». Cependant, cette loi a été largement retoquée par le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020.

Les sages de la rue Montpensier ont ainsi censuré pour plusieurs motifs certaines obligations faites par la loi déférée à des opérateurs de retirer des contenus à caractère haineux ou sexuel diffusés en ligne.

Le législateur entendait notamment imposer à certains opérateurs de plateforme en ligne, sous peine de sanction pénale, de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus manifestement illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel.

Le conseil constitutionnel a estimé que les atteintes ainsi portées à l’exercice de la liberté d’expression, condition de la démocratie, n’étaient pas adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

En effet, le conseil constitutionnel a rappelé qu’en vertu de cette modification législative, l’obligation de retrait d’un contenu manifestement illicite n’était pas subordonnée à l’intervention préalable d’un juge ni soumise à aucune autre condition.

Dès lors, il appartenait aux opérateurs d’examiner l’ensemble des contenus signalés, aussi nombreux soient ils, afin d’éviter toute sanction pénale, et ce dans un délai de vingt-quatre heures, alors même que les infractions relatives aux abus de la liberté d’expression sont d’une particulière technicité juridique nécessitant souvent une appréciation au regard du contexte d’énonciation ou de diffusion des contenus en cause. Le conseil constitutionnel a également souligné la hauteur de la peine encourue dès le premier manquement et l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité.

Le Conseil constitutionnel a donc décidé de censurer ces dispositions, craignant, eu égard aux développement précédents, que les dispositions litigieuses n’aient pour conséquence d’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus dès leur signalement, peu important leur caractère manifestement illicite. Dès lors, une telle atteinte à la liberté d’expression n’était ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée au but poursuivi.

Le 24 février 2022, une nouvelle loi visant à combattre le harcèlement scolaire et en ligne a été adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 24 février 2022.

Les députés – contre l’avis des Sénateurs qui avaient refusé la création d’un nouveau délit, lui préférant la création d’une nouvelle circonstance aggravante du délit de harcèlement - ont adopté en lecture définitive la création d’un nouvel article 222 33 2 3 au sein du code pénal réprimant le harcèlement scolaire et prévoyant des peines de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’il a causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours, cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours et dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

Cette loi prend également en compte le phénomène du cyberharcèlement qui touche également nos écoles, et prévoit l’aggravation du cyberharcèlement pour toute victime mineure, là ou le droit pénal ne prévoyait une telle aggravation que pour les victimes de moins de quinze ans.

Cette même loi prévoit également la modification de l’article 131-21 du Code pénal relatif aux confiscations, et y ajout au deuxième alinéa :

« Lorsqu’une infraction pour laquelle la peine de confiscation est encourue a été commise en utilisant un service de communication au public en ligne, l’instrument utilisé pour avoir accès à ce service est considéré comme un bien meuble ayant servi à commettre l’infraction et peut être confisqué. Au cours de l’enquête ou de l’instruction, il peut être saisi dans les conditions prévues au code de procédure pénale. »

Enfin, elle investit timidement le terrain éducatif en prévoyant la création de l’article L111-6 du Code de l’éducation qui dispose notamment que :

« Une information sur les risques liés au harcèlement scolaire, notamment au cyberharcèlement, est délivrée chaque année aux élèves et parents d’élèves. »

On pourra cependant regretter la suppression par l’Assemblée nationale de l’article L543-1 du Code de l’éducation que souhaitait le Sénat et qui prévoyait « une formation initiale et continue sur la prévention et la lutte contre le harcèlement scolaire et universitaire ainsi que le cyberharcèlement, leur détection et la prise en charges des victimes, des témoins et des auteurs de ces faits » pour l’ensemble des personnes médicaux, des personnels enseignants et de vie scolaire, des magistrats et des agents des forces de l’ordre.

Cette loi laissera donc le goût amer d’une inflation législative superfétatoire, guidée par le mythe d’une répression qui conduirait à la chimère du risque zéro, délaissant ainsi une formation qui apparaît cruellement nécessaire face au phénomène nouveau du cyberharcèlement.

Plus encore, cette inflation législative n’apporte pas à la Justice, ce dont elle a cruellement besoin afin d’être plus efficiente, et ce que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme appelait de ses vœux dans son avis sur la lutte contra la haine en ligne, rendue le 8 juillet 2021 : une augmentation des moyens humains et financiers octroyés au nouveau pôle spécialisé du Parquet du Tribunal judiciaire de Paris en raison de l’ampleur du phénomène de la haine en ligne.

Le grand oublié de cette loi nouvelle est la responsabilisation des plateformes et des hébergeurs, mais l’Union Européenne travaille à l’heure actuelle à l’adoption d’une Règlement européen visant à harmoniser la lutte contre les contenus illicites en ligne en accroissant la responsabilité des celles-ci.

II/ L’aube d’une nouvelle réglementation Européenne, vers la responsabilisation des plateformes.

Face au phénomène du cyberharcèlement qui dépasse largement les frontières françaises, l’Union Européenne s’est également saisie de la question.

Le 20 janvier 2022, le Parlement Européen a adopté le règlement européen sur les services numériques ou Digital Services Act (DSA), avec pour objectif clair et assumé de faire d’Internet un espace plus sûr et d’augmenter l’efficacité de la lutte contre les contenus illicites en ligne en imposant un cadre aux plateformes en ligne et aux réseaux sociaux.

Bien qu’aucune définition commune du contenu illicite ne soit inscrite dans le règlement – ce qui s’explique par des divergences culturelles et contextuelles – celui-ci prévoit néanmoins d’harmoniser les obligations des plateformes sur lesquelles peuvent interagir les utilisateurs européens.

Ainsi, il est exigé que les réseaux sociaux mettent en place un « bouton » de signalement. Celui-ci doit être facile d’accès et simple d’utilisation. Contrairement aux nombreuses pages et cases à cocher à l’heure actuelle pour effectuer un signalement. Par ailleurs ce règlement prévoit que les plateformes appliquent au sein des États membres des procédures identiques concernant le signalement et la suppression de ces contenus illicites.

Le règlement n’impose aucun délai dans le traitement de ces signalements, mais les plateformes doivent néanmoins traiter ces demandes en temps utile. L’hébergeur aura également l’obligation, en plus de traiter le signalement, d’informer l’utilisateur de ce traitement.

Il est également demandé aux plateformes de faire en sorte de mieux modérer leurs réseaux, en octroyant à leurs services de régulation en ligne plus de moyens humains et techniques, en effaçant, en amont, les contenus illicites (homophobes, racistes, pornographiques, produits illégaux, etc.).

Dans cette même optique, le Règlement crée la notion de « signaleur de confiance », qui imposerait aux plateformes de traiter en priorité les notifications soumises par des entités ayant obtenus ce statut. Ce statut serait attribué par le coordinateur pour les services numériques de l’État membre dans lequel l’entité est établie.

Le Règlement prévoit donc la création de coordinateurs des services numériques nationaux, que devront créer les Etats membres. Il pourra s’agir soit d’une nouvelle autorité administrative indépendante, soit d’une autorité existante et cette autorité sera dotée de pouvoir d’enquête, de contrôle et de sanction sur les plateformes de sa juridiction.

Ces coordinateurs seront donc en mesure de coopérer pour mener des enquêtes conjointes dans plusieurs Etats membres, par le biais d’une autre entité crée par le Règlement, un Comité européen des services numériques. Ce Comité européen a pour mission de contribuer à l’application cohérente du projet de règlement au sein de l’Union européenne, de conseiller la Commission européenne et d’assister les coordinateurs nationaux dans la surveillance des très grandes plateformes en ligne.

Le règlement impose également aux plateformes et aux hébergeurs l’obligation d’agir contre les contenus illicites et de fournir des informations sur injonction des autorités judiciaires ou administratives nationales. Dans ce cadre là, les plateformes devront désigner un représentant légal dans au moins un Etat membre, ce qui permettrait aux autorités d’avoir un interlocuteur qu’il s’agisse de simple demande d’information mais également des demandes de retrait de contenu illicite.

Grâce à ce texte, l’Union Européenne pourra désormais sanctionner pécuniairement ces plateformes si celles-ci n’agissent pas ou pas suffisamment, les amendes pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises comptant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Ces dispositions spécifiques visent donc à soumettre les GAFAM à un régime procédure plus strict que les plateformes d’une surface moindre.

Enfin, ce règlement consacre ce que toutes les victimes et autorités appelaient de leurs vœux, et qui transformait auparavant le dépôt de plainte en parcours du combattant : l’obligation pour les plateformes de transmettre toutes les informations d’un utilisateur, si les autorités de justice le demandent, avec pour sanction une amende correspondant à 1 % du chiffre d’affaires mondial.

En responsabilisant les plateformes et les hébergeurs, en créant des dispositions spécifiques aux GAFAM et en mettant en place une véritable coopération entre les autorités administratives et ces acteurs, le Règlement européen pourrait donc avoir un réel impact préventif sur les contenus illicites en ligne et le cyberharcèlement. A tout le moins, il offrira une possibilité d’obtenir de plus amples informations dans le cadre d’une meilleure répression de ces faits.

Une version de ce Règlement a été adoptée par le Parlement européen, après qu’une autre version ait été préalablement adoptée par la Commission européenne. Si ces deux versions sont semblable dans leurs grandes lignes, il reste qu’il est nécessaire que ces institutions tombent d’accord sur l’intégralité du texte en adoptant un dialogue institutionnel dont il est impossible de deviner la durée.

Le Gouvernement français souhaitait faire adopter ce règlement durant la présidence française de l’Union européenne, soit d’ici fin juin 2022, mais à l’aune des graves troubles géopolitiques qui secouent l’Europe du fait de l’invasion Russe en Ukraine, la perspective d’une adoption rapide de ce règlement est loin d’être certaine.

Josselin Guillon
Avocat au Barreau de Paris
courriel : contact chez jguillon-avocat.com
site internet : www.jguillon-avocat.com

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