« Maître, vous avez deux minutes mais vous pouvez aussi déposer votre dossier ».
Voilà la parole que l’on entend souvent, de plus en plus, notamment devant les Cours d’appel.
Dans mes derniers mois d’exercice, un magistrat à Versailles nous a expliqué qu’il faisait une faveur aux avocats en les écoutant, à nous de limiter le temps de nos interventions à 2 minutes d’observations.
C’est mathématique, ne pas plaider ou plaider de façon très brève allège le temps d’audience.
Cela libère du temps pour les magistrats, dont la charge de travail est toujours plus lourde.
Par ailleurs, les avocats ont parfois abusé de ce temps de parole.
En effet, certains l’ont utilisé pour une simple synthèse de leurs conclusions.
Les salles d’audience civiles, notamment, se sont alors transformées en suite de monologues synthétiques et souvent trop longs.
Quel est l’intérêt des parties ?
Les parties mettent beaucoup d’espoir et d’attente dans la plaidoirie.
Le moment de l’audience est le moment solennel qui marque l’issue du temps long de la procédure, le moment tant attendu de l’écoute du juge.
Le moment où l’on va expliquer, faire entendre haut et fort ses arguments.
Il y a donc une vraie nécessité, un besoin à faire entendre sa voix.
C’est un moment essentiel pour les parties.
Quel est le rôle de la plaidoirie ?
La plaidoirie, c’est l’exercice par lequel les avocats exposent à l’oral les prétentions et arguments des parties qu’ils représentent.
C’est une affirmation haute et forte d’une conviction qui va à l’encontre d’une autre pour obtenir d’un tiers, le juge, la reconnaissance d’une vérité.
C’est le moment du débat qui prend vie, voire du combat entre deux thèses qui s’affrontent.
Pourquoi plaider ?
Faut-il pour ces raisons (longueur et redondance avec l’écrit, combat) mépriser la plaidoirie et ce qu’elle incarne et la reléguer au rang de simple accessoire ?
Le rôle de l’avocat est de conseiller et de défendre.
Maitrisant le droit, il est un conseiller et un porte-plume car, il définit une stratégie, aiguise l’argumentaire, rassemble des preuves, le tout dans un acte présenté et rédigé selon des règles de procédure bien établies.
La rédaction des conclusions ou mémoires permet donc de déployer sa stratégie, son argumentaire, bref une défense.
Mais alors pourquoi en rajouter une couche et plaider ?
Parce que l’oral n’est pas l’écrit.
L’argument se confronte à la réalité, au regard de l’autre, au ton de sa voix, à ses incompréhensions et ses questions.
L’oral, c’est le temps de la force de conviction. Votre meilleur argument n’est rien s’il n’est pas valablement soutenu à l’oral, s’il n’y a pas un engagement supplémentaire qui vient donner toutes leurs forces aux mots.
Le vocabulaire employé n’est pas tout à fait le même non plus. Plus spontané et direct.
C’est aussi le moment où l’avocat doit s’adapter à celui qui se tient en face de lui pour mieux le convaincre. L’écrit ne permet pas cela. Il est figé et peut-être interprété.
La plaidoirie est un donc moment fort de communication. Or, une bonne communication est celle qui prend en compte son auditoire.
C’est le temps de l’échange.
Ce temps est indispensable pour mieux saisir les enjeux d’un dossier, dénouer les sous-entendus, éclaircir certains points, poser des questions. L’écrit laisse trop souvent place à de l’interprétation et ne permet pas la question.
La plaidoirie est aussi une mise en lumière, une mise en valeur d’un argument, d’un contexte, d’une pièce.
Il n’est donc pas question de prendre l’exercice pour une synthèse de l’écrit. D’autant plus, que l’exercice qui consiste à vouloir en dire le plus possible en résumant est contre-productif car, long, ennuyeux et sans saveur. Bref, cela ne marque pas les esprits.
C’est tout le contraire d’une plaidoirie pensée et préparée.
Une plaidoirie est une mise en avant, non pas de l’intégralité du dossier mais de certains de ces éléments à un instant T.
Cette mise en avant des éléments essentiels doit marquer les esprits.
L’argumentation devient incarnée, portée par la conviction de celui qui parle.
Dans ce cas, le souffle, la voix, le rythme, le regard, la posture, tout doit être tendu vers l’objectif de convaincre.
Et c’est cet engagement physique et intellectuel qui va donner davantage de poids encore aux arguments.
Que faut-il en retenir ?
La plaidoirie a un donc rôle précis dans une procédure.
Alors, ne négligez pas ce temps.
Préparez-la comme il se doit.
Battez-vous pour plaider, même deux minutes. Le dossier mérite sa mise en lumière.
Mais tout cela suppose une chose en amont : pour être convaincant, il faut être convaincu.
Mais, c’est un autre débat !