Dans le cadre des mesures européennes liées au conflit russo-ukrainien, il a été pris par le Gouvernement Français un décret français n° 2022-815 du 16 mai 2022 prévoyant la publication des noms des personnes morales propriétaires de biens immobiliers russes, gelés en France. Ces mesures visent notamment les biens immobiliers présents dans l’Union européenne qui ne peuvent être ni vendus, ni loués, ni placés sous hypothèque.
Elles sont directement applicables dans tous les Etats membres sans qu’aucune mesure nationale ne soit requise (décision (PESC) 2022/582 du Conseil du 8 avril 2022 modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine).
Ce décret a rapidement fait l’objet d’une contestation par 3 sociétés de gestion immobilière. Or ce décret a été approuvé dans sa légalité par le Conseil d’Etat, qui précise que la publication des noms des personnes morales concernées n’est pas illégale en soi.
En effet, ce décret se borne à prévoir que la liste des personnes morales propriétaires des biens immobiliers russes gelés en France sera publiée sur le site internet du ministère chargé de l’économie, afin de faciliter leur identification et par suite assurer une information complète du public et contribuer à l’effectivité de la mesure de gel.
Le gel des avoirs est justifié par des impératifs de sécurité collective. Une mesure drastique qui pouvait laisser une possible atteinte excessive au droit de propriété (Le gel européen des avoirs russes remonte à l’annexion de la Crimée en 2014 : Conseil de l’Union européenne, règlement n° 269/2014 du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, art. 2).
Il est intéressant de souligner qu’à l’inverse de ce qui était soutenu par les requérants, ce décret n’a aucunement l’effet d’étendre le champ de la mesure à de nouvelles personnes morales, puisque ledit décret ne fixe pas la liste de personnes mais en prévoit la publication ultérieure par les services du Ministère de l’Economie et des Finances. Un tel recours des requérants est alors prématuré quant à la publication non encore effective desdites personnes morales concernées par le gel d’avoirs immobiliers.
De l’autre côté, le recours intervient plus tard qu’il n’aurait dû. En effet, les requérants ont avancé dans leurs moyens que le décret contesté est une sanction. Or, si cette mesure, aussi drastique soit-elle, est à caractère sanctionnatrice, c’est avant tout au niveau européen, à l’origine de la mesure, que viendrait la sanction. La France n’a fait que prendre une mesure applicable à la législation française.
Enfin, ce recours vient négliger l’aspect de l’exposition publique, qui dans des temps plus anciens était une peine pénale à caractère infamante de l’Ancien Régime. Mais s’il n’est point question de l’utilisation d’outils de tortures appartenant à un passé lointain, cette pratique contemporaine se contente désormais d’une mise au ban consistant à mettre en ligne des criminels ou des délinquants. La règlementation française a adopté par l’intermédiaire de la CNIL une délibération publique incriminant 22 communes, toutes mises en demeure par la CNIL de s’équiper d’un délégué destiné à la protection des données.
Il est à noter une certaine atypie sur la publication du décret, quant à une possible violation de la vie privée ; mais le Conseil d’Etat a suggéré, qu’il s’agit dans un but premier d’informer afin de « contribuer à l’effectivité des mesures de gel prévues par ce règlement ».