A l’origine de ce litige, les auteurs d’un empiétement sur la propriété de leur voisin ont assigné ce dernier pour tenter de faire reconnaître leur droit de propriété par prescription trentenaire.
Ils ont toutefois tendu le bâton pour se faire battre puisqu’à titre reconventionnel le voisin a demandé qu’il soit mis fin à l’empiétement par l’expulsion de l’occupant de la maison voisine et la condamnation des demandeurs à démolir la maison litigieuse.
La Cour d’appel de Cayenne a condamné les auteurs de l’empiétement à démolir leur maison au motif qu’ils ne démontraient pas l’ancienneté de leur empiétement.
Devant la Cour de cassation, les requérants ont concentré leur argumentation sur la question de l’atteinte portée par cette condamnation au droit au domicile, composante du droit à la vie privée inscrit à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’intérêt de l’arrêt ne réside donc pas dans l’appréciation par le juge de l’ancienneté de l’empiétement et sur les conditions de la qualification de la prescription trentenaire, mais bien sur la mise en balance qui est faite par le juge judiciaire entre le droit au domicile et le droit de propriété.
Les requérants soulignaient que le juge doit apprécier l’opportunité de condamner un ouvrage empiétant sur la propriété voisine de manière proportionnée au but légitime poursuivi.
En l’espèce, ils mettaient en avant l’ancienneté de l’occupation des lieux, la bonne foi des auteurs de l’empiétement et le grand âge de l’occupant de la maison, un homme veuf de 87 ans.
A cette problématique de la mise en balance du droit au respect du domicile et du droit de propriété, la Cour de cassation apporte une réponse sévère : l’ingérence des mesures d’expulsion et de démolition dans le droit au respect du domicile de l’occupant est proportionnée au regard de la nécessaire garantie du propriétaire, inscrite aux articles 544 et 545 du code civil, selon laquelle nul ne peut être contraint de céder sa propriété.
La Cour de cassation rappel en outre que le droit du propriétaire au respect de ses biens est lui-même inscrit à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
En conséquence, « l’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ».
D’aucuns estimeront cette solution comme étant choquante au regard des circonstances de l’espèce.
Elle est néanmoins une solution constante et il aurait été surprenant que la Cour de cassation en fasse une application différente.
Cass. 3ème Civ., 17 mai 2018, n°16-15792
Discussion en cours :
Vous indiquez concernant cette décision que "Elle est néanmoins une solution constante et il aurait été surprenant que la Cour de cassation en fasse une application différente."
Bien au contraire, il me semble que cette décision de mai 2018 est le premier acte d’un infléchissment gravissime de la position de la Cour de cassation qui jusqu’alors (Civ 17 déc 2017 et Civ 21 déc 2017) jugeait avec constance : d’une part que la seule occupation sans droit ni titre constitue un trouble manifestement illicite emportant compétence du juge des référés (Civ 2017 mais également Civ 2010), d’autre part qu’en présence d’un tel trouble, le juge est tenu d’opérer un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte au droit au domicile (article 8 CEDH) et le droit de propriété légitimement protégé.
Ce double positionnement a été réitéré tant par le conseiller rapporteur que par l’avocat général dans leurs avis et rapport relatifs à l’arrêt du 21 déc 2017 ... ainsi que par la Cour de cassation dans son rapport annuel 2015
L’arrêt de 2018, et maintenant récemment celui du 4 juillet 2019, sans d’ailleurs que la Cour ne s’en explique, aboutissent à vider le contrôle de proportionnalité de toute substance puisque en suivant ce raisonnement à la lettre et sans plus de sagesse, l’expulsion serait considérée comme proportionnée par nature.
L’arrêt est loin d’être anodin dans ses implications juridiques et est susceptible de modifier substantiellement le contentieux de l’expulsion, comme nous pouvons dores et déjà l’expérimenter devant les tribunaux. La question de la conformité de cette jurisprudence avec nos obligations conventionnelles est loin d’être tranchée.