Prêt en monnaie étrangère : appréciation du caractère abusif des clauses.

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Dans les prêts libellés en devise, la clarté de la clause de conversion en euros s’apprécie au regard des informations concrètement données au consommateur par le prêteur quant au mécanisme financier instauré et à ses conséquences financières.

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L’article L. 212-1, alinéa 1er du code de la consommation répute abusives, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, sauf si la clause litigieuse définit l’objet principal du contrat mais à la condition qu’elle soit rédigée de façon claire et compréhensible (C. consom., art. L. 212-1, al. 3). C’est dans ce contexte de droit interne que la Cour de justice de l’Union européenne a ouvert la porte, en 2021, au contrôle des clauses abusives stipulées par des prêts libellés en devises étrangères, qui butait jusqu’alors, devant les juridictions françaises, sur la règle énoncée par l’article L. 212-1, alinéa 3 du code de la consommation (Cass. 1re civ., 3 mai 2018, n° 17-13.593, n° 448 P + B ; Cass. 1re civ., 20 févr. 2019, n° 17-31.065, n° 114 P + B ; Cass. 1re civ., 24 oct. 2019, n° 18-12.255, n° 886 P + B + I ; CJUE, 1re ch., 10 juin 2021, aff. C 609/19, BNP Paribas Personal Finance SA contre VE ; CJUE, 1re ch., 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, VB, AB et a. c/ BNP Paris Personnal Finance SA et Procureur de la République). Comme d’autres avant lui (Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, n° 19-11.599 ; Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, n° 19-11.600 ; Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, n° 20-16.316 : v. bull. 260, « Prêts en francs suisses : leur caractère abusif admis par la Cour de cassation ! », p. 11), le présent arrêt se place expressément dans le sillage de la jurisprudence européenne et précise les modalités de l’appréciation de l’abus dans ce type de contrat.

En l’espèce, une banque consent à un emprunteur un prêt multidevises, d’un montant de 500 000 € ou, ainsi que l’énonce le contrat, « l’équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais » (il ne s’agit pas d’un prêt « Helvet immo », comme dans les contentieux cités plus haut, mais d’un prêt qui, quoique différent, fait pareillement courir à l’emprunteur un risque de change important). Le prêt est tiré pour un montant de 834 750 francs suisses, puis converti en euros. L’emprunteur assigne la banque pour, notamment, faire valoir l’irrégularité d’une telle conversion et en obtenir l’annulation.

La cour d’appel procède à l’examen d’office du caractère abusif des clauses litigieuses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l’emprunteur, au taux d’intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit. Elle constate qu’elles portent sur l’objet du contrat et qu’elles sont rédigées de manière claire et compréhensible et, en parfaite conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation, écarte leur caractère abusif, ce que le pourvoi de l’emprunteur va contester.

Il soutient en effet que l’exigence selon laquelle les clauses définissant l’objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d’un prêt sur le cours d’une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète. Selon lui, il aurait donc fallu que la cour d’appel recherche si le contrat informait l’emprunteur du risque de dépréciation de l’euro et des conséquences potentiellement significatives que les clauses litigieuses pouvaient avoir sur le montant des remboursements. Il en déduit que la cour d’appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et a privé sa décision de base légale au regard de l’ancien article L. 132-1 (devenu L. 212-1) du code de la consommation.

La Cour de cassation accueille le pourvoi au visa de l’ancien article L. 132-1 (devenu L. 212-1) du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. Après avoir rappelé le principe énoncé par cette disposition, elle se fonde sur l’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la Cour de justice de l’Union européenne (aff. C-776/19 à C-782/19), en citant la solution retenue : l’article 4, § 2 de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat. La cour d’appel aurait donc dû rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte. Pour ne pas avoir mené cette recherche, elle est censurée et son arrêt cassé pour défaut de base légale.

Agnès Maffre Baugé, Maître de conférences HDR, Avignon Université

Cass. 1re civ., 7 sept. 2022, n° 20-20.826, n° 626 B

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