Primes exceptionnelles et indemnités de rupture : la Cour de cassation clarifie les règles d'intégration. Par Albert Nsiloulou Mambouana, Juriste.

Primes exceptionnelles et indemnités de rupture : la Cour de cassation clarifie les règles d’intégration.

Par Albert Nsiloulou Mambouana, Juriste.

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Explorer : # primes exceptionnelles # indemnités de licenciement # droit du travail # sécurité juridique

La Cour de cassation a récemment statué sur l’intégration des primes exceptionnelles dans l’assiette des indemnités de rupture. Cette décision, qui s’inscrit dans une jurisprudence constante, précise les critères permettant de distinguer les éléments de rémunération réguliers des primes ponctuelles. Un éclairage important pour les employeurs et salariés, en matière de prévisibilité des droits lors d’une rupture de contrat.

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Introduction.

En droit du travail, la délicate question de l’intégration des primes exceptionnelles dans l’assiette de calcul des indemnités de licenciement suscite régulièrement des débats. Dans un arrêt du 15 janvier 2025 (Cass. soc., 15 janv. 2025, n° 23-11.600), la chambre sociale de la Cour de cassation apporte sur ce point une clarification essentielle. En l’espèce, une association hospitalière, employeur, avait attribué à un salarié une « prime d’intérim » en raison de fonctions de direction qu’il avait exercée temporairement. Finalement licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l’intéressé a entendu contester l’exclusion de cette prime dans le calcul de ses indemnités de rupture. Conformément à une jurisprudence fermement établie, la Cour de cassation rappelle que les primes ponctuelles versées à titre exceptionnel pour des performances spécifiques ne peuvent être assimilées à des compléments de salaire [1] alors qu’une prime présentant une certaine récurrence peut être intégrée à l’assiette servant au calcul des indemnités [2]. Ce débat qui s’inscrit dans le cadre des dispositions des articles L1234-5 et L1234-9 du Code du travail, vise à préciser les éléments de rémunération pris en compte pour la fixation des indemnités de rupture. Il illustre l’équilibre délicat entre la souplesse de l’employeur dans l’octroi de gratifications et la protection des droits du salarié.

Analyse de l’arrêt : une clarification nécessaire sur la qualification des primes.

Le litige porté devant la Cour de cassation s’inscrit dans le cadre de l’exclusion par l’employeur d’une prime exceptionnellement versée à un salarié au motif de fonctions de direction générale temporairement assumées par lui. Cette prime avait en effet été attribuée pour le récompenser d’une performance spécifique liée à des fonctions provisoires. L’employeur justifiait ainsi son exclusion de l’assiette des indemnités de licenciement, en invoquant son caractère discrétionnaire et unique.
La Cour de cassation a confirmé cette analyse. Elle a considéré que la prime en cause ne pouvait pas être assimilée à un complément de salaire en raison de son caractère ponctuel et exceptionnel. La cour s’aligne ainsi sur une jurisprudence constante selon laquelle, une prime versée pour une performance isolée, ne constitue pas un élément régulier de rémunération [3]. Ainsi, même substantielles, les primes discrétionnaires attribuées par l’employeur à l’occasion d’un événement unique n’ont pas le caractère de salaire au sens des dispositions applicables pour fixer les indemnités de rupture. Elles n’interfèrent donc pas dans l’assiette servant au calcul des indemnités de rupture, ni pour l’évaluation des dommages-intérêts dus en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elles sont ainsi exclues de l’assiette si elles n’ont pas de lien direct avec la régularité du travail [4].
Toutefois, la cour rappelle que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier concrètement la fréquence et les modalités de versement des primes en cause. Dans un arrêt récent, une prime qualifiée de discrétionnaire avait pu être finalement intégrée dans l’assiette du calcul des indemnités au motif qu’elle était versée chaque année depuis 10 ans [5]. La régularité de la prime l’a emporté sur sa cause et le caractère variable qui la caractérisait.

Implications pratiques pour les employeurs et les salariés.

Cette décision est utile pour les employeurs qui doivent clarifier la nature et les modalités des primes attribuées et ce, afin d’éviter leur requalification. Car, les primes deviennent obligatoires pour l’employeur lorsqu’elles sont prévues dans le contrat de travail, dans les conventions et accords collectifs applicables dans l’entreprise ou encore lorsqu’elles ont été instituées à la suite d’un engagement unilatéral de l’employeur ou d’un usage. Aussi, pour limiter les risques de contentieux, l’employeur est-il invité à mentionner explicitement si une prime est exceptionnelle ou régulière. L’absence d’une telle mention dans les stipulations contractuelles conduit très souvent à une requalification de la prime litigieuse en élément de salaire [6].

Les salariés, quant à eux, peuvent contester l’exclusion d’une prime en démontrant qu’elle présente des éléments de régularité. C’est notamment le cas lorsqu’une prime est versée de manière répétée sur une longue durée, même si son montant varie [7]. Dans plusieurs arrêts, une prime qualifiée de « bonus discrétionnaire » a finalement été incluse dans l’assiette des indemnités car elle était versée annuellement depuis fort longtemps [8]. Cet équilibre entre précision contractuelle et protection des droits des salariés met en lumière les enjeux pratiques d’une telle décision, notamment dans des secteurs où les primes ponctuelles sont fréquentes. Dans un arrêt du 22 mai 2024, la Cour de cassation a ainsi statué sur une prime non prévue par le contrat de travail mais versée régulièrement par l’employeur, jugeant qu’une telle pratique pouvait conférer à la prime un caractère contractuel, obligeant ainsi l’employeur à la verser [9].

Sécurité juridique et flexibilité : un équilibre délicat.

L’arrêt du 15 janvier 2025 illustre les tensions entre deux objectifs opposés : d’une part, offrir une sécurité juridique aux employeurs ; d’autre part, garantir une flexibilité dans la gestion des rémunérations, cette dernière permettant de récompenser des performances exceptionnelles sans compromettre la prévisibilité des charges à venir pour l’employeur. Il est permis de songer ici à l’utilisation de dispositifs comme l’intéressement, qui permet de verser des primes en fonction des résultats de l’entreprise sans affecter directement le salaire de base, offrant ainsi un équilibre entre incitation et maîtrise des coûts sociaux [10].

Cependant, cette approche laisse subsister des zones d’incertitude. Les critères de distinction entre une prime régulière et une prime exceptionnelle reposent souvent sur l’appréciation des juges du fond, laquelle peut varier d’une juridiction à l’autre. A cet égard, la Cour de cassation avait déjà insisté sur l’analyse des pratiques internes à l’entreprise aux fins de déterminer si une prime, bien que qualifiée d’exceptionnelle, devait être incluse dans l’assiette [11]. Cette insécurité juridique peut être particulièrement problématique pour les petites structures ou les associations qui, en l’absence de critères clairs susceptibles d’éviter des divergences d’interprétation, sont les premières exposées aux conséquences, notamment celle de voir augmenter leurs coûts liés aux litiges [12].

Perspectives d’avenir.

Tout en réaffirmant des solutions déjà connues, l’arrêt du 15 janvier 2025 tend à souligner les responsabilités de chacune des parties. S’il encourage les employeurs à anticiper les litiges en formalisant leurs politiques de gratification, il invite les salariés à veiller à se préserver des preuves attestant de la régularité des primes perçues.

Au-delà de cette décision, cette jurisprudence appelle à une réflexion plus large sur les critères applicables. Une intervention législative pourrait harmoniser les pratiques, en introduisant des définitions claires et des critères objectifs pour déterminer ce qui constitue un élément de salaire à prendre en compte pour le calcul des indemnités de rupture, comme cela a été le cas pour le versement du salaire, qui ne peut être aléatoire et ne peut donc être mis en participation, insistant sur la nécessité d’une définition précise des éléments constitutifs du salaire et ce, afin d’éviter des interprétations trop aléatoires. Cette évolution contribuerait à réduire les litiges et à renforcer la sécurité juridique pour l’ensemble des parties [13].

En définitive, la décision du 15 janvier 2025 s’inscrit dans un mouvement plus large visant à sécuriser le régime des primes en droit du travail. A ce titre, elle met en évidence la nécessité d’une analyse au cas par cas et l’importance pour les employeurs de se protéger en formalisant au mieux leur politique des rémunérations. En attendant, le suivi de l’évolution à venir de la jurisprudence ou du cadre législatif consacrés à cette problématique, à l’image des décisions de justice visant à clarifier le régime des primes, sera déterminant pour assurer un équilibre entre flexibilité et prévisibilité en matière d’indemnités de rupture.

Albert Nsiloulou Mambouana, Juriste, Doctorant en sciences juridiques et sociales Université Paris Cité

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Notes de l'article:

[1Cass. soc., 22 juin 2016, n°14-18.675.

[2Cass. soc., 8 nov. 2017, n°16-18.069.

[3Cass. soc., 11 janv. 2017, n°15-15819.

[4Cass. soc., 14 oct. 2009, n°07-45.587.

[5V. à propos de bonus et primes de fidélité attribués périodiquement et procédaient d’un engagement unilatéral de l’employeur, Cass. soc., 1ᵉʳ avril 2015, n° 13-26.707, 13-27.515.

[6Cass. soc., 3 juill. 2019, n°17-18.210.

[7V. à propos de bonus et primes de fidélité attribués périodiquement et procédaient d’un engagement unilatéral de l’employeur, Cass. soc., 1ᵉʳ avril 2015, n° 13-26.707, 13-27.515.

[8Cass. soc., 5 juill. 2023, n°21-24.122.

[9Cass. soc., 22 mai 2024, n°23-10.076.

[10Cass. oc., 15 déc. 2021, n°19-20.978.

[11Cass. soc., 4 nov. 2021, n° 19-23.681.

[12Cass. soc., 22 mai 2019, n° 18-11.274.

[13Cass. soc., 16 sept. 2009, n°08-41.191.

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