Un salarié engagé en qualité d’agent de fabrication a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire. Il a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’annulation de cette sanction.
La cour d’appel a annulé la sanction de mise à pied disciplinaire infligée au salarié en déclarant sans valeur probante « l’attestation anonyme » d’un salarié produite par l’employeur et le compte-rendu de son entretien avec un membre de la direction des ressources humaines, l’arrêt d’appel ayant retenu qu’il est impossible à la personne incriminée de se défendre d’accusations anonymes.
L’employeur forme un pourvoi en cassation au titre duquel il fait valoir que si le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes de salariés, rien de lui interdit de prendre de tels témoignages en considération lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments et notamment par d’autres témoignages, non anonymes, dont le rapprochement permet d’établir la matérialité des faits qui y ont énoncés.
L’attestation a été établie anonymement par un salarié qui craignait des représailles de la part des collègues dont il dénonçait le comportement.
La Cour de cassation devait répondre à la question de savoir si l’employeur peut prendre en compte, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, des témoignages anonymisés (rendus anonymes pour protéger leurs auteurs mais dont l’identité est connue par l’employeur) lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments utiles à leur véracité.
La solution rendue par la Cour de cassation, au visa de l’article 6, §1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale, ne manque pas de clarté :
« Il résulte de ce texte garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».
L’employeur peut donc prendre en compte, dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, des témoignages anonymisés mais à la condition que ceux-ci soient corroborés par d’autres éléments utiles à leur véracité.
Les juges du fond ne doivent donc pas exclure la valeur probante de telles attestations anonymisées lorsque l’employeur produit d’autres pièces permettant de caractériser la faute du salarié qu’il invoque pour justifier la sanction prononcée.
La Cour de cassation vient compléter sa jurisprudence rendue en matière probatoire, parfaitement illustrée dans un arrêt de principe du 04 juillet 2018, au visa de l’article 6, §1 et 3 de la CESDH : « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » (Cass. Soc., 04 juillet 2018, n° 17-18.241).
En réalité, que les témoignages soient anonymes ou anonymisés, leur recevabilité comme mode de preuve dépendra des autres éléments versés au débat qui permettront, le cas échéant, d’en assoir la crédibilité et la pertinence et leur conférer ainsi toute valeur probatoire.
La solution rendue par la Cour de cassation n’est guère critiquable en ce que, dans le cadre de témoignages anonymisés, l’identité de l’auteur est connue par l’employeur, de sorte que l’anonymisation a posteriori n’est qu’un instrument de protection de l’auteur et non de réduction de la portée probatoire des témoignages, pourvu qu’ils soient corroborés par d’autres éléments utiles à leur véracité, de portée probatoire similaire ou supérieure.