L’égalité professionnelle fait l’objet d’une construction normative continue depuis deux siècles.
Elle a dernièrement vu son champ d’application élargi à toutes les étapes de la vie d’un contrat de travail, ce dont témoignent parfaitement les dispositions de l’Article L1142-1 du Code du travail (3°).
Pourtant, bien au-delà des contraintes qui s’imposent à l’employeur, qu’elles soient issues de sources internationales, constitutionnelles, légales et réglementaires, ou encore jurisprudentielles et professionnelles, l’égalité professionnelle peut lui servir de muse, agissant alors comme un intermédiaire, sinon un lien direct et certain entre l’espérance de performance et les choix souvent très rationnels qu’il lui est nécessaire de mettre en œuvre.
C’est alors que doivent être envisagés les moyens permettant de matérialiser ce dessein, au travers notamment de la représentation de la collectivité de travail ou encore de l’exercice de la subordination.
1) Position du problème.
L’égalité professionnelle fait l’objet d’une construction normative continue.
En dehors des sources internationales qui consacrent l’égalité femme/homme, c’est dans notre Constitution qu’il faut en chercher le fondement, apparu sous forme de principe dans la Déclaration de 1789, sans distinction quant au contexte factuel qui le sollicite : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
En matière professionnelle, l’égalité entre les femmes et les hommes a d’abord fait son entrée en matière de rémunération, puis, avec le principe de non-discrimination, l’ensemble de la relation de travail en a été irrigué.
Le législateur s’est attaché à la nourrir via une politique d’incitations, puis de contrainte, ainsi qu’en témoigne la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 ; l’article 1er dispose désormais que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
La problématique de cette étude s’appuie sur les résultats de la recherche relative aux gains économiques d’une réduction des discriminations directes et indirectes à l’égard des femmes. Parmi elle, on peut témoigner de travaux internationaux et français.
Des travaux américains ont ainsi montré que l’enjeu macro-économique de la question est considérable : une meilleure efficacité allocative serait, en partie, à l’origine de 15% à 20% de la croissance des Etats-Unis depuis les années 1960 (par exemple, l’amélioration de l’accès des femmes aux postes essentiellement occupés par des hommes).
France stratégie, quant à elle, stipule qu’à l’échelle de l’entreprise, les unités économiques ont intérêt à recruter des individus de catégories discriminées à des postes de responsabilité. Prenons l’exemple d’une entreprise qui se constituerait en recrutant ses cadres parmi les 10% de salariés les mieux rémunérés aujourd’hui en France.
Sous l’hypothèse que la distribution des potentiels des individus est la même au sein de chaque catégorie, les individus appartenant au groupe de référence ont actuellement en moyenne, au sein de ce vivier de salariés bien payés, moins de potentiel que les individus de groupes discriminés, puisque la discrimination conduit précisément à sous-représenter ces derniers parmi les mieux payés, donc à « sur-sélectionner » leurs talents.
Ainsi, France Stratégie estime qu’une entreprise qui ne recruterait aujourd’hui que des hommes parmi le vivier des 10% de salariés les mieux rémunérés aurait une productivité inférieure à 7% par rapport à une entreprise qui embaucherait à parité femmes et hommes.
L’égalité professionnelle a donc une importance certaine au regard de la performance, tant au niveau macro-économique qu’au niveau micro-économique. Mais de quelle performance parle-t-on ? La rentabilité, l’efficacité, l’efficience ? Il convient de souligner que la notion est polysémique, et c’est son acception extensive qui nous intéresse ici. Sa richesse permet au final d’entrevoir, sinon d’encourager l’égalité professionnelle, en la percevant non comme une contrainte, mais, justement, comme un facteur de performance. Le dialogue social, au sens propre du terme, que permet l’action de la représentation collective du personnel ainsi qu’une vision renouvelée de la subordination y participeront.
2) Comment définir la performance ?
L’essai de définition part d’un paradoxe. En effet, si la performance est fort répandue dans le vocabulaire courant ou le vocabulaire scientifique, la notion suscite, à l’analyse, un certain nombre de problèmes d’interprétation. Sa définition est souvent confondue avec d’autres, connexes, parmi lesquelles efficacité et efficience tiennent une bonne place.
L’économie du droit permet cependant d’en clarifier les arcanes tout en éludant les vulgarisations trop hâtives. Le genre étant un sujet d’analyse économique, l’idonéité de l’analyse économique du droit nous permet finalement de rationaliser la notion. Ainsi, de nombreuses études existent et convergent vers un point nodal : la performance se place au-dessus de tous les concepts connexes, en tout cas l’acception de « performance globale ». Une rapide analyse adaptée à la situation d’une entreprise des plus communes nous éclaire.
D’un point de vue restrictif, une entreprise compétitive est performante si elle accomplit les objectifs qu’elle s’est fixés. Parvenir à gagner des parts de marché tout en flexibilisant le travail de ses salariés (insertion de clauses de mobilité dans les contrats de travail par ex.) ou en recourant à l’extériorisation de l’emploi [1] renforce sa compétitivité-prix. L’entreprise est alors à la fois efficace (objectifs atteints) et efficiente (économie de coûts). On y voit les conséquences de l’efficacité du modèle du choix rationnel développé par la microéconomie contemporaine (Kenneth Arrow, Gary Becker) : l’agent économique compare les retombées de différentes actions pour retenir celle qui l’avantage le plus.
D’un point de vue extensif, la capacité de l’entreprise à atteindre ses objectifs dans différents domaines de gestion est autrement plus ambitieux. La performance financière s’attachera, par exemple, à accroître la rentabilité ou à valoriser le cours de bourse des titres sociaux. La performance sociale visera, quant à elle, la responsabilité sociale, et pour la problématique relative à l’égalité professionnelle, le passage de l’égalité formelle à l’égalité réelle.
Fort de ces linéaments de la notion de « performance globale », il est finalement permis de percevoir le critère comme supérieur à tous les autres. En tout état de cause, le phénomène d’agrégation qui l’innerve doit, en plus de la nécessaire efficience, assurer :
En général, le solidarisme contractuel : la liberté des parties au contrat de travail suppose leur égalité ; la prise en compte des intérêts du cocontractant suppose un certain altruisme ;
En particulier, l’effectivité du principe du consentement et le respect des droits individuels et collectifs de la communauté de travail.
C’est en portant un regard particulier à ces constituants que l’on pourra considérer qu’un changement d’état du droit relatif à l’égalité professionnelle développera la performance de l’entreprise. Associée à un renforcement de l’efficacité allocative, une évolution de la pratique des entreprises depuis la mise en place de mesures d’égalité professionnelle jusqu’à une gestion stratégique de la diversité promouvra donc leur performance globale.
3) Quel rôle pour la représentation de la collectivité de travail ?
Le droit du travail institue deux grandes modalités d’action pour les représentants du personnel : l’information et la consultation du comité social et économique (CSE) et la négociation collective. A la condition qu’elles servent le bien commun, les prérogatives qui leur sont dévolues en matière d’égalité professionnelle concourent à la performance globale de l’entreprise.
Le comité social et économique (CSE).
Le CSE a remplacé les représentants élus du personnel dans l’entreprise. Il a fusionné l’ensemble des instances représentatives du personnel (IRP), délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE) et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ses compétences, sa composition et son fonctionnement varient selon la taille de l’entreprise.
Il a été mis en place dans toutes les entreprises d’au moins 11 salariés depuis le 1er janvier 2020. Il exerce ses missions sans préjudice des dispositions relatives aux délégués syndicaux et à l’expression collective des salariés. Celles-ci peuvent être de nature passives et actives. A défaut d’accord d’entreprise, le CSE est consulté chaque année sur la politique sociale de celle-ci, les conditions de travail, l’emploi, et, notamment, sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’ensemble des informations que l’employeur met à disposition du CSE, et qui serviront dans le cadre de ces consultations, est rassemblé dans une base de données économiques et sociales (BDES) ; celles-ci comportent, en particulier, des indicateurs relatifs à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment ceux permettant de mesurer les écarts de rémunération.
Le CSE peut aussi formuler, à son initiative, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation des salariés [2]. Il peut réaliser des enquêtes à caractère professionnel et peut faire appel à titre consultatif et occasionnel au concours de toute personne de l’entreprise qui lui paraîtrait qualifiée [3]. Il émet des avis et des vœux dans l’exercice de ses attributions consultatives [4]. Il peut enfin exercer un droit d’alerte [5] en cas d’atteinte aux droits des personnes (harcèlement, mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, de classification, de promotion professionnelle, etc.).
L’obligation de négocier en entreprise.
En France, l’appareil législatif qui encadre la négociation collective de l’égalité professionnelle n’a cessé d’évoluer depuis la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes [6], qui impose aux entreprises de se doter d’un accord triennal ou, à défaut, d’un plan annuel sur cette question.
En deux décennies, de nombreux textes sont venus renforcer ces dispositions et modifier les procédures, le périmètre, ainsi que le calendrier des négociations. Ainsi, dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives [7], l’employeur engage tous les ans [8] :
Une négociation sur la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ;
Une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant, entre autres, sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et la qualité de vie au travail. L’accord éventuellement conclu à l’issue de cette négociation devra répondre aux conditions fixées à l’Article R2242-1 C. trav. Cette obligation de négocier n’est pas soumise à condition d’effectif.
A défaut d’accord, l’employeur doit établir un plan d’action annuel. Après avoir évalué les objectifs fixés et les mesures prises au cours de l’année écoulée, ce plan d’action, fondé sur des critères clairs, précis et opérationnels, détermine les objectifs de progression prévus pour l’année à venir, définit les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre et évalue leur coût. Ce plan d’action est déposé auprès de l’autorité administrative [9].
La recherche a permis d’évaluer les premiers résultats dans ce domaine [10]. Elle témoigne de résultats ambigus. Sur le plan quantitatif, 84% des entreprises de plus de 1.000 salariés et 34% des entreprises de 50 à 299 salariés ont conclu des accords en 2016.
Mais ces relatifs bons résultats se voient tempérés par la crainte de l’émergence de « coquilles vides » : le premier constat marquant est celui de la relative standardisation des textes, tant sur la forme que sur le contenu. Ceci pourrait s’expliquer par la conjonction de trois facteurs : les difficultés pour les auteurs des textes à objectiver la structure des inégalités sexuées dans l’entreprise, et donc à adapter les mesures à la situation locale ; ensuite, la faiblesse générale des budgets alloués à l’égalité, qui contraint le choix des moyens d’action et conduit à leur standardisation ; enfin, une approche de l’égalité souvent réduite à la question de la mixité, ce qui a pour effet de concentrer l’attention des partenaires sociaux sur un nombre limité de problématiques et sur certaines catégories de salarié.e.s.
La dimension potestative de la représentation.
Sans nier la réalité de phénomènes monopolistiques classiques, les Prs. Freeman et Medoff défendent l’idée selon laquelle les syndicats peuvent être profitables à la performance de l’entreprise. Les salariés ont alors intérêt à « protester » collectivement plutôt qu’individuellement avec l’entreprise. En voici les rasions principales :
Dans une situation où la loi du marché ne suffit pas à assurer la protection de la liberté d’expression des travailleurs-salariés isolés [11], l’action collective permet tout d’abord d’éluder le risque de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Elle permet ensuite de réduire les coûts de transaction de l’entreprise, ce qui accroît son efficacité économique [12] ;
L’action de la représentation accroît la performance globale : en déconnectant l’évolution des promotions et des rémunérations aux performances individuelles, l’action collective réduit les phénomènes de compétition entre salariés tout en améliorant ceux de coopération. En structurant les rémunérations autour de normes préétablies, l’action collective facilite la gestion des ressources humaines et permet donc de rendre l’action de l’encadrement plus efficace.
Plus spécifiquement, l’égalité professionnelle a le statut de bien commun : l’objet de la dimension protestative a, à bien des égards, le caractère de bien collectif. Lorsqu’il s’agit de conditions de travail, d’avantages sociaux, de prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat [13], d’égalité salariale, etc., ce qui est accordé peut difficilement être limité à quelques salariés et interdit aux autres.
comme pour les services publics, la sécurité intérieure ou la protection sociale, l’égalité professionnelle est un bien qui concerne l’ensemble d’une communauté (bien non appropriable), et qui requiert des procédures de négociation collective (gouvernance partagée) pour être produit en quantité optimale. Elle a donc le statut de bien commun. In fine, la représentation collective peut être considérée comme une institution au service du bien commun.
4) Quel rôle pour l’employeur ?
Le souci de performance globale, au sein duquel l’égalité professionnelle trouve toute sa place, implique une action managériale volontariste. Faire évoluer la rationalité de l’employeur implique alors de se départir des modèles de réflexion et de prise de décision conventionnels.
Au cœur de cet enjeu, l’exercice de la subordination de l’employeur devient nodal. Bien au-delà de « l’état » qu’elle implique, la subordination peut se définir par une ambition, celle de devenir « rationnellement éthique ».
Plus qu’un état, la subordination est un lien.
Plus qu’un état, la subordination est un lien, consacré par le contrat et porté au marché du travail avant d’être créé. Le Pr. Alain Supiot soutient cette hypothèse et précise : « C’est ce lien, fait de dépendance et de sécurité, qui fait l’emploi. L’emploi superpose à l’échange de quantités (temps de travail contre argent) un échange qualitatif entre dépendance et sécurité. »
Ainsi, la rationalité ne doit pas gouverner la société, et ce qui fait société : l’égalité des chances entre les citoyens, la justice sociale, la solidarité. La sécurité économique de tout salarié doit être préservée, car si elle est bousculée, elle sera probablement au cœur du délitement de tous les contrats sociaux nationaux, jusqu’à toucher même la mise en œuvre des valeurs que porte notre République. C’est ce que soutient aussi Mme Bénédicte Reynaud lorsqu’elle précise que « la perception micro-économique de la relation salariale a des implications macro économiques. Ainsi, à travers le contrat de travail, c’est le problème de la cohésion sociale qui est posé dans son ensemble ».
Plus prosaïquement, au-delà du principe jurisprudentiel [14] selon lequel le salarié ne peut supporter le risque économique de l’entrepreneur, l’employeur doit s’engager pour promouvoir la sécurité juridique et économique de ses salariés. Celle-ci relève donc d’une double démarche entre deux types de volontés : des règles internes à l’entreprise, autonomes, qui naissent de l’engagement de l’employeur ; des règles externes, contraignantes, sanctionnées par le juge, dictées par le droit positif ou conventionnel.
Mutation managériale du concept de subordination.
Le lien de subordination a été défini par la jurisprudence dans un arrêt « Société Générale » rendu le 13 novembre 1996 par la chambre sociale de la Cour de cassation [15]. Il est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du subordonné.
Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail. Il distingue le contrat de travail des autres contrats en entreprise : contrat de sous-traitance, contrat de vente, contrat de mandat, contrat de distribution, etc.
Quel que soit le type de contrat de travail, le lien de subordination existe dès que l’employeur, au sein d’un service organisé, peut exercer ce triple pouvoir sur le travailleur. Jusqu’à la prise de conscience collective que restaurer la civilisation en entreprise pouvait servir les aspirations sociales et les intérêts économiques, la subordination permettait à l’employeur d’exercer un pouvoir sans limite. Au fil des évolutions sociétales et normatives, le salarié a pourtant conquis des aires d’autonomie individuelle.
La subordination reste finalement cantonnée aux temps et aux lieux d’exécution de la prestation de travail. Concomitamment, l’employeur ne peut empiéter sur la vie extra-professionnelle du salarié dans l’entreprise et sur ses libertés dans le travail. Face à l’autorité de l’employeur, face au pouvoir de jure (fondé sur la propriété) de l’actionnaire, on assiste aujourd’hui à une restauration progressive des prérogatives du travailleur-salarié.
Elle se manifeste par l’érosion du concept de subordination tel qu’il pouvait être entendu dans le passé. Selon le Pr. Alain Supiot : « En droit du travail, l’idée de subordination juridique, de la soumission étroite aux ordres d’un chef, s’adoucit, pour faire place à celle d’intégration dans une organisation ».
L’employeur a d’autant plus intérêt à exercer la subordination dans le respect d’un cadre solidariste, dans le respect des droits des salariées, que l’abus de pouvoir limite la production de richesses. Des salariées se sentant traitées inéquitablement, par des écarts de rémunération illégitimes ou par l’absence d’égalité des chances, auront une moindre productivité du travail.
Elles feront œuvre de résistance, et participeront à l’accroissement du risque de contentieux. L’arrêt du 2 mars 2018 de la Cour d’appel de Toulouse est à ce titre emblématique : comment peut réagir la salariée au quotidien ?
Une Directrice d’Agence, constate que sa rémunération est inférieure de 20% à celle de ses collègues Directeurs d’Agence masculins, certains d’entre eux ayant même un niveau inférieur au sien, d’autres embauchés après elle ayant la même rémunération avec un coefficient inférieur au sien.
La Cour compare le contrat de travail de la salariée avec ceux de ses collègues hommes ; elle constate que ceux-ci bénéficient d’un salaire fixe de 5.000 euros alors que le sien est de 4.000 euros et que la salariée ne pouvait atteindre le salaire fixe de ses homologues masculins [16].
L’employeur répliquait en évoquant deux arguments : une nouvelle orientation des Directeurs d’Agence ; mais la Cour relevait que cette décision était postérieure à l’embauche de la salariée ainsi qu’à une délégation de pouvoirs de signature de ses collègues masculins dont la salariée ne disposait pas.
La Cour a écarté ce moyen inopérant en relevant que certains salariés hommes n’en disposaient pas tous mais percevaient quand même un salaire supérieur à la salariée avec un niveau et un coefficient équivalent.In fine, l’employeur est condamné à un rappel de salaire et de congés payés de la salariée outre un préjudice moral évalué à 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Ces conséquences seront d’autant plus importantes qu’il est désormais admis que dans un capitalisme immatériel, la présence des salarié.e.s revêt un caractère stratégique manifeste.
La qualité de l’approche managériale devient alors déterminante.
Comment imaginer, dans une économie où la compétitivité structurelle est le gage de notre puissance, que des salariées non reconnues comme sujets de droits puissent créer de la valeur et contribuer au progrès collectif de l’organisation dans laquelle elles évoluent ? Le détournement de la finalité du droit serait contre-productif.
L’entreprise est une institution.
L’entreprise n’est plus une simple « boîte noire » à l’image de la définition donnée par les économistes libéraux. Elle n’est plus un simple « contrat de société » à l’affectio societatis souvent relatif voire ineffectif dans le cas des sociétés de capitaux. L’entreprise est une construction économique et sociale dont la réussite repose avant tout sur l’adhésion des parties prenantes à la création de valeur.
Certains auteurs (Ségrestin, Hatchuel) considèrent même que ses crises actuelles seraient essentiellement dues à l’absence de modèle d’entreprise plus qu’aux excès du capitalisme. En son sein, augurons que ces conclusions nourrissent une subordination éthique au service de l’égalité professionnelle, et au final, de sa performance globale.
Pour aller plus loin …
Bouhana (J.), « Salariées, sachez obtenir l’égalité de salaire homme/femme », Village de la Justice, 8 nov. 2018.
Charpenel (M.), Demilly (H.), Pochic (S.), « Egalité négociée ; égalité standardisée ? », La découverte, 2017, pp. 143 à 147.
Ferrary (M.), « Les femmes influencent-elles la performance des entreprises ? Une étude des entreprises du CAC 40 sur la période 2002-2006 », La Découverte, n° 23, 2010, pp. 181 et s.
Meynaud (H. S.), Fortino (S.), Calderon (J.), « La mixité au service de la performance économique : réflexions pour penser la résistance », L’Harmatatan, Cahiers du Genre, 2009, pp. 15 à 33.
Misako (A.), Lechevalier (S.). « L’inégalité homme-femme au cœur de la segmentation du marché du travail japonais ? Une prise en compte du genre dans l’analyse du rapport salarial toyotiste », Le Mouvement Social, vol. n° 210, n°1, 2005, pp. 121-152.
Noisette (S.-D.), « Pour une nouvelle définition de la performance en matière de formation professionnelle », Idées, juin 2019, n° 71, pp. 26 et s.
Petit (F.), « Les éléments constitutifs de la rémunération pour l’application de l’index de l’égalité entre les femmes et les hommes » (Décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019), intervention lors de la journée organisée par la Direccte Bretagne sur « Promouvoir l’égalité femme-homme, dans sa pratique professionnelle », 18 octobre 2019 ; Dr. Soc. janvier 2020, p. 53.
Vallet (G.), « This is a Man’s world : autorité et pouvoir genrés dans le milieu des banques centrales », Revue de la régulation, 25, 1er semestre 2019.
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