Extrait du Dossier JO

Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

Quelles incidences les JOP 2024 de Paris ont-ils sur la protection des données personnelles et la vie privée ?

Par Aurélie Duron Harmand, Avocat et Kenza Larhrib, Juriste.

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Explorer : # protection des données personnelles # vie privée # surveillance # jeux olympiques 2024

Les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024 constituent un évènement sportif majeur puisqu’ils rassemblent plusieurs millions de spectateurs et d’athlètes venus des quatre coins du monde. Face à cette envergure, le Gouvernement français, à travers plusieurs lois et décrets, a mis en place des dispositifs de surveillance pour assurer le bon déroulement des épreuves, la sécurité et la protection des participants. Cependant, ces dispositifs ont suscité l’intérêt, mais surtout de l’inquiétude de la part du public concerné par la protection de sa vie privée et de ses données personnelles.
Ainsi, se pose la question de savoir si les données personnelles et la vie privée sont protégées de façon efficace à l’occasion de ces JOP 2024.

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I.Les dispositifs de surveillance déployés par le Gouvernement à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024.

Parmi les dispositifs mis en place à l’occasion des JOP 2024, il y a tout d’abord les caméras dites « augmentées », dispositifs vidéo, auxquelles sont associés des traitements algorithmiques mis en œuvre par des logiciels, permettant une analyse automatique des images en temps réel et en continu. Ces technologies ne pourront utiliser aucune technique de reconnaissance faciale, ni aucun système d’identification biométrique. Elles sont strictement limitées à l’identification du ou des événements prédéterminés qu’elles ont été programmées à détecter (mouvement de foule, comportement suspect, sac abandonné, etc). Pour ce faire, les personnes sont analysées de manière automatisée, ce qui conduit à un traitement massif de leurs données personnelles.

Ensuite, est mis en place un dispositif de laissez-passer via QR Code. La délibération de la CNIL n°2024-034 en date du 25 avril 2024 a validé ce système tout en mettant en exergue la nécessité de préserver les données personnelles, à savoir le nom, prénom, date de naissance, validité du titre et identifiant de la photographie et d’avoir une liste des accédants réduite comportant les agents de l’administration ainsi que des personnes individuellement désignées. En outre, l’organisateur de l’évènement pourra être destinataire de ces données en application de l’article L 211-11-1 du CSI.
Enfin, les enquêtes administratives de sécurité sont effectuées sur toutes les personnes concernées par les Jeux Olympiques. C’est un processus de vérification conduit par les autorités administratives pour recueillir des informations sur des individus dans le but d’évaluer les risques et de garantir la sécurité des événements.

Au niveau européen, l’article 16 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) dispose que « Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ». L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Ce droit au respect de la vie privée est un droit fondamental mondialement reconnu.

L’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE reconnaît un droit à la protection des données à caractère personnel qui repose sur le consentement de la personne concernée. L’article 4 du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) définit la notion de données à caractère personnel comme toute « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ; est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ». À ce sujet, la Cour de Justice de l’UE (CJUE) a, dans un arrêt en date du 07 septembre 2023, souligné la nécessité de respecter les principes de proportionnalité et de nécessité dans l’accès aux données, ainsi que les principes de consentement, de limitation de la finalité et de sécurité des données. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante qui, en France, est la Commission National de l’Informatique et des Libertés.

Au niveau national, l’article 9 du Code civil, fondamental en la matière, reconnaît à chacun un droit au respect de sa vie privée et à son image.

Dans un souci de bonne gestion et de sécurité, le Gouvernement a voté la LOI n°2023-380 du 19 mai 2023 relative aux JOP 2024 qui autorise, en son article 10 et sur le fondement de l’article L 252-1 du Code de la Sécurité Intérieur (CSI), la collecte d’image au moyen de systèmes de vidéoprotection dans les lieux accueillant ces manifestations et à leurs abords ainsi que dans les transports publics, les véhicules et sur les voies les desservant mais aussi le traitement algorithmique de ces images dans l’unique dessein « de détecter, en temps réel, des évènements susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler en vue de la mise en œuvre des mesures nécessaires par les services de la police et de la gendarmerie nationale, les services d’incendie et de secours, les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP dans le cadre de leur mission respective ». Ces traitements sont régis par les dispositions du RGPD et sont sous le contrôle des personnes chargées de leur mise en œuvre.

Dans la délibération n°2022-118 du 8 décembre 2022 portant avis sur un projet de loi portant sur les JOP 2024, la CNIL précise que l’analyse automatisée des données collectées est réservée à certains types de manifestations, présentant des risques exceptionnels pour l’ordre public, de telle sorte qu’elle ne sera déployée que dans un ou plusieurs lieux précis, pour un temps limité et une finalité spécifique (prévention des risques d’attaque terroriste, trouble à l’ordre public, etc). L’encadrement de ces traitements prévoit un certain nombre de garanties dans le but de limiter les risques d’atteinte aux données à caractère personnel et à la vie privée des personnes. C’est pour cela que la CNIL rappelle « qu’aucune donnée biométrique aux fins d’identifier une personne physique de manière unique ne sera utilisée conformément à l’article 9 du RGPD (exclusion des dispositifs de reconnaissance faciale) et qu’aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisée avec d’autres traitements de données à caractère personnel ne sera procédé » conformément à l’article 2 du décret n°2023-828. Enfin, il est précisé que la mise en œuvre de ces traitements est « conditionnée à l’existence d’un système de gestion permettant de prévenir et de corriger la survenue de biais éventuels ou de mauvaise utilisation ».

B. Les obligations de l’État quant au maintien de l’ordre public.

1. Obligation d’assurer l’intérêt général.

Dans le cadre d’un évènement aussi majeur que les Jeux Olympiques et Paralympiques, le maintien de l’ordre par les forces de police implique la mise en place de mesures de sécurité afin de prévenir les risques, contrôler les foules, gérer les entrées et sorties… Pour ce faire, les caméras augmentées, les QR Code et les enquêtes administratives ont été jugées conformes, proportionnelles et indispensables au but poursuivi à la condition que ces technologies ne portent pas une atteinte excessive aux droits fondamentaux des individus, notamment au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données à caractère personnel.

2. Obligation d’assurer la sécurité nationale.

L’impératif de sécurité nationale est d’autant plus capital pour les JOP 2024 puisque la ville de Paris accueille plus de 15 millions de personnes. Pour mener au mieux leur mission, les autorités compétentes ont besoin d’utiliser des dispositifs de sécurité sophistiqués permettant de coordonner étroitement et efficacement leurs actions. Ainsi, la mise en place de mesures telles que les caméras augmentées, les QR Code et les enquêtes administratives s’inscrit dans cette démarche de sécurisation. En effet, tels que mentionnés précédemment, ces dispositifs permettent de surveiller et de contrôler les accès, de détecter et de neutraliser les menaces et potentielles attaques en amont. Cependant, leur utilisation est soumise au respect des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité afin d’empêcher, ou du moins de limiter, toute atteinte disproportionnée aux droits et libertés individuelles.

II. L’impact de ces dispositifs pour le citoyen.

Les dispositifs de sécurité mis en place pour les JOP 2024 auront un impact significatif sur les citoyens, tant en termes de sécurité que de protection des données personnelles et du droit à la vie privée. L’usage de caméras augmentées, de QR Codes et d’enquêtes administratives implique une collecte et un traitement massif des données à caractère personnel. Si ces mesures sont indispensables pour garantir la sécurité des événements et prévenir les menaces, elles suscitent cependant des préoccupations légitimes quant à la protection de la vie privée.

Chacun dispose à la fois de droits à la protection des données personnelles, tels que le droit à l’information, le droit d’accès, le droit de rectification et le droit d’opposition, et de droits à la protection de la vie privée, tels que le droit à l’image et le droit au respect de la vie privée.

A. Sur la protection des données personnelles.

L’article 4 de la LOI n°78-17 du 06 janvier 1978, dans sa version en vigueur au 1er août 2024, transpose l’article 5 du RGPD et prévoit que les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée, qu’elles doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités. Le législateur ajoute également que ces données doivent être adéquates, pertinentes, limitées à ce qui est nécessaire et non excessives, et qu’elles doivent être traitées de façon à garantir une sécurité appropriée des données à caractère personnel.

Dans la délibération n°2022-118 du 8 décembre 2022 portant avis sur un projet de loi portant sur les JOP 2024, la CNIL a précisé que l’information des personnes était un élément essentiel pour assurer la loyauté des traitements dans un objectif de transparence à l’égard du public. Elle ajoute que l’accomplissement du devoir d’information est indispensable pour permettre le déploiement des caméras augmentées, des QR Code et des enquêtes administratives dans un climat de confiance à l’égard des autorités. Ce droit à l’information dont jouit le justiciable est régi par l’article 10 de la LOI n°2023-380 qui soumet le ministre de l’intérieur à une obligation d’informer le public, « par tout moyen approprié, de l’emploi de traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection autorisés sur le fondement de l’article L 252-1 du CSI ». Ainsi, l’information des personnes concernées sur l’utilisation et la finalité de ces dispositifs de surveillance va permettre de contester, le cas échéant, le respect des conditions et garanties fixées par la loi. Par exemple, dans le cadre des laissez-passer, l’information des personnes sera accessible au moment du formulaire de collecte de données.

L’article 15 du RGPD consacre un droit d’accès aux données à caractère personnel, aux informations collectées par le responsable du traitement ainsi qu’à d’autres informations, notamment les finalités du traitement, les catégories de données à caractère personnel concernées, les destinataires auxquels les données ont été ou seront communiquées, l’existence du droit de demander au responsable du traitement la rectification ou l’effacement de données à caractère personnel, la limitation du traitement de ces données, le droit d’opposition.

Le droit de rectification, prévu par l’article 16 du RGPD, permet au justiciable d’obtenir du responsable du traitement la rectification de ces données à caractère personnel qui sont inexactes, et ce, dans les meilleurs délais. En réalité, ce droit est crucial puisqu’il va permettre d’éviter les erreurs ou abus qui peuvent être commis sur base d’informations incomplètes ou incorrectes.
L’article 106 de la LOI n°78-17 transpose l’article 17 RGPD et accorde à chacun le droit d’obtenir du responsable de traitement que soient effacées, dans les plus brefs délais, des données à caractère personnel lorsque le traitement est réalisé en violation des dispositions légales en vigueur ou lorsque ces données doivent être effacées pour respecter une obligation légale à laquelle est soumis le responsable de traitement. Ce droit est essentiel puisqu’il permet de garantir que les données ne soient pas conservées indéfiniment.

Enfin, chacun jouit d’un droit d’opposition, régi par l’article 21 du RGPD et par l’article 110 de la LOI n°78-17 . Il permet à toute personne de s’opposer à ce que des données à caractère personnel fassent l’objet d’un traitement. Cependant, cette disposition ne s’applique pas lorsque le traitement répond à une obligation légale et le justiciable doit avoir des motifs légitimes au soutien de son opposition.

B. Sur la protection de la vie privée.

La protection de la vie privée est un aspect fondamental des droits des citoyens, et il l’est d’autant plus au regard des dispositifs de sécurité mis en place pour les JOP 2024.

La protection de la vie privée passe tout d’abord par le droit à l’image qui permet à chacun de contrôler l’utilisation et la diffusion de son image en application de l’article 9 du Code civil. Dans le cadre des JOP 2024, l’utilisation de caméras augmentées accentue l’importance de ce droit à l’image. En effet, les autorités auront l’obligation de veiller à ce que les images capturées ne soient pas utilisées de manière abusive et devront aussi, en amont, s’assurer que les individus soient informés de la présence de ces dispositifs.

Le droit au respect de la vie privée est défini par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’homme. Dans le cadre des JOP 2024, les mesures de surveillance et de collecte de données doivent être proportionnées et nécessaires au but poursuivi, à savoir assurer la sécurité nationale et l’intérêt général, sans porter atteinte de manière excessive à la vie privée des personnes concernées. Cela implique une utilisation étroite des technologies, une limitation de la collecte de données au strict nécessaire et des garanties contre l’abus de ces informations.

III. Conclusion.

Les caméras augmentées, les QR Code pour les laissez-passer, les enquêtes administratives sont des dispositifs de sécurité mis en place spécialement pour assurer la sécurité nationale et l’intérêt général durant toute la durée des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Leur installation et leur utilisation sont essentielles pour l’accomplissement de ces missions à la condition, toutefois, qu’elles soient équilibrées et respectueuses des droits fondamentaux des citoyens, en particulier en matière de protection des données personnelles et de la vie privée. Les droits à l’information, d’accès, de rectification, d’effacement et d’opposition, ainsi que les droits à l’image et au respect de la vie privée, permettent aux personnes concernées de contrôler l’utilisation de leurs données personnelles et de préserver leur vie privée et familiale ainsi que leur correspondance.

Pour ce faire, l’État, en plus de son obligation d’assurer la sécurité nationale et l’intérêt général, a l’obligation de veiller à ce que ces dispositifs de surveillance et de contrôle respectent les principes de nécessité, de proportionnalité, de licéité et de légitimité du RGPD. Les citoyens doivent donc être informés tant de l’utilisation de ces technologies et de la captation de données et images les concernant que de la possibilité d’exercer leurs droits pour garantir la protection de leurs données à caractère personnel.

Aurélie DURON HARMAND, avocat propriété intellectuelle et numérique
Kenza LARHRIB, juriste M1 Droit des Affaires - Université Aix Marseille, étudiante M2 JAIE

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