Quels « nouveaux métiers » pour l’avocat de demain ?

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

Les transformations auxquelles doivent faire face les avocats depuis quelques années ont fait apparaitre une posture redondante : ils doivent se diversifier. Mais dans une profession encadrée par des règles et une déontologie spécifiques, qu’est-ce que cela signifie ?
Les évolutions textuelles, qu’elles soient législatives ou relevant du Règlement interne national de la profession d’avocat (RIN), ont lentement ouvert le professionnel à de « nouveaux métiers » - les termes plus exacts étant « nouvelles activités », accessoires aux missions juridiques qui lui incombent.
La profession reste cependant assez mal informée sur leurs conditions d’exercice. C’est pourquoi une commission ouverte de l’Ordre du Barreau de Paris, mise en place en 2014 et nommée « Les nouveaux métiers du droit », réfléchit sur ce que seront les activités de l’avocat d’aujourd’hui et de demain.

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Des activités accessoires pour se diversifier

Cette idée de nouvelles activités de l’avocat n’est pas récente. La loi Hoguet [1], notamment, les autorisait à exercer celle de mandataire en transaction immobilière. Ce n’est pourtant qu’à la suite d’une délibération des 5 et 6 février 2010 que le Conseil national des Barreaux, sous l’impulsion du Barreau de Paris, a procédé à la modification du RIN [2]. D’autres activités, clairement identifiées et encadrées, ont été autorisées par la voie législative : fiduciaire, mandataire d’artiste et d’auteur ou mandataire sportif, lobbyiste,... La loi Macron a par la suite contribué à ouvrir, dans un cadre précis, certaines activités commerciales à l’avocat.. Toutes sont cependant soumises à la même exigence : ces activités nouvelles doivent être accessoires à une mission principale juridique.

Sèverine Audoubert, présidente de la commission ouverte "Nouveaux métiers du droit"

Les avocats sont cependant encore peu informés de ces possibilités et de leurs conditions. L’Ordre du Barreau de Paris a ainsi créé la commission « Les nouveaux métiers du droit », présidée par Sèverine Audoubert [3]. « Cette commission ouverte est un think tank. Elle a vocation à informer et accompagner les confrères dans le développement de ces niches. Elle est transversale, car elle traite tous les domaines du droit, avec une logique managériale. »

La commission travaille en effet sur de nombreux volets, selon les besoins émergents : une loi qui s’apprêterait à passer, une nécessité économique, une activité en cours de développement… Un exemple récent étant la mission de délégué à la protection des données personnelles (DPD) [4], avec la mise en application de la directive européenne le 25 mai 2018. La commission a ainsi organisé une cession d’information, car « cela est un sujet d’actualité crucial et nous avons tenu à le mettre en valeur, souligne Sèverine Audoubert. C’est une question à la dimension européenne, qui a un impact sur la protection des données, qui pose également celle de l’enquêteur interne, de la compliance, et de ce lien que peut avoir l’avocat avec l’entreprise. A ce propos, la commission ouverte a tenu une réunion le 15 octobre 2018 intitulée "Quand l’avocat mène l’enquête interne... les volets d’une nouvelle activité en plein essor’ qui traitera de deux nouveaux métiers : le compliance officer et l’enquêteur interne".

L’objectif est donc d’informer, de répondre aux questionnements, d’ouvrir de nouvelles perspectives aux avocats, de les accompagner, tout en faisant intervenir des membres de la société civile, tout autant impactés par les évolutions de ces périmètres. Ces travaux ont, à terme, « une logique de formation. Nous sommes en train de monter le premier cycle existant des nouveaux métiers à l’EFB. » Est ainsi proposé, pour la première fois, une matinée « Les nouvelles activités de l’avocat : mode d’emploi », le 18 octobre 2018. Après une introduction sur les enjeux économiques, contextuels et déontologiques, les participants auront trois heures d’ateliers pratiques pour se former à l’un des trois métiers choisis. « Les métiers priorisés sont l’avocat mandataire en transactions immobilières, l’avocat mandataire sportif et l’avocat mandataires d’artistes et d’auteurs, réunis dans un même atelier car ce sont des nouvelles activités similaires, et l’avocat lobbyiste. Ces ateliers sont animés par des confrères exerçant dans ces matières, et entièrement tournés vers la pratique : gestion d’un premier dossier d’un point de vue logique et d’un point de vue contractuel, rémunération, quel droit appliquer, … Pour pouvoir investir ces champs, les avocats doivent se lancer, se prendre en main et être formés aux nouveaux métiers qui sont en train d’être mis en place. La commission ouverte de l’Ordre, avec les écoles d’avocats, sont là pour les y aider. » Dans cette optique, elle organisera une réunion intitulée « L’activité connexe et accessoire : de quoi parle-t-on ? » d’ici la fin de l’année.

Des opportunités qui « ne concernent pas que le droit des affaires »

Aborder la question des nouvelles activités, avec la logique économique qui en découle, peut sembler exclure une partie des professionnels avocats. A tort. « Cela ne concerne pas uniquement le droit des affaires, confirme Sèverine Audoubert. Par exemple, l’activité de mandataire en transactions immobilières concerne fortement les confrères qui font du droit de la famille : ils sont les plus à même de recueillir des mandats lors d’un divorce, d’une succession, du montage d’une SCI. Lorsque l’on parle de l’avocat mandataire d’artistes et d’auteurs ou mandataire sportif, on envisage plutôt le rôle de ‘family office’, qui prendrait en charge les droits totaux des clients représentés : droit de la famille, droit à l’image, droit des contrats, … Nous sommes donc plutôt dans les droits classiques, et pas uniquement sur du droit de l’entreprise. »

« Le métier tel qu’il se dessine aujourd’hui permet d’aller sur beaucoup de périmètres et de domaines, encore perçus comme des niches. »

Le but est surtout d’élargir les contours de la profession. « Le métier tel qu’il se dessine aujourd’hui permet d’aller sur beaucoup de périmètres et de domaines, encore perçus comme des niches. Le tronc commun reste la matière juridique principale, et la législation autorise peu à peu des activités complémentaires. Quand on a par exemple des compétences commerciales ou de construction de réseaux fortes, que l’on n’utilisait pas préalablement dans notre activité classique d’avocat, on peut aujourd’hui les réinvestir de manière complémentaire dans de nouvelles activités. » Des opportunités qui permet à la profession d’avancer vers « l’avocat de demain ».

De nouvelles activités … pour un nouvel avocat ?

En substance, la commission ouverte travaille à ce que sera l’avocat de demain, une problématique bien plus large. Les métiers autorisés ne relèvent pas nécessairement du contentieux pur, en corrélation avec un mouvement progressif de déjudiciarisation. « Il y a une réflexion juridico-économique, mais ces activités sont aussi, en majorité, des activités non plaidantes, négociées, souligne Sèverine Audoubert. Nous sommes donc face à deux écoles : l’école plaidante, du tout contentieux, et l’école de la négociation, qui se développe, et dont les modes amiables de résolution des différends sont une illustration. C’est une réflexion importante au sein de la profession, d’un point de vue gain de temps, d’un point de vue coût psychologique aussi. L’avocat de demain devra donc avoir ces compétences de négociation, quel que soit son domaine de spécialité. »

« Le nouvel avocat devra avoir des compétences de négociation, quel que soit son domaine de spécialité. »


Compétences transversales, méthodes de travail, ou compétences managériales sont devenus des sujets récurrents pour ce nouveau profil d’avocat. « L’avocat start-upper est un énorme enjeu, pour les générations qui arrivent comme pour les avocats déjà en exercice, notamment avec cette possibilité d’aller sur des activités connexes en lien avec leur activité juridique initiale et principale, mais dont le champ des possibles s’élargit progressivement. La créativité sera un des différenciateurs. L’avocat doit aussi savoir ce qu’est une stratégie d’entreprise, un business model, un pricing, une communication digitale. Qu’est-ce que c’est que le management ? Qu’est-ce que cela signifie et qu’est-ce que cela implique ? Savoir recruter, savoir développer les hommes et les outils, savoir travailler en équipe projet, comprendre ce qu’est un savoir-faire, un savoir-être : le kit indispensable pour savoir gérer son cabinet. L’agilité, la flexibilité, l’adaptabilité, sont en outre des postures essentielles. Il conviendra d’être rapide, d’être ouvert et pas uniquement sur son cabinet ou sur ce qui se passe en France, mais aussi ce qui se passe au-delà de nos frontières. »

Pour Sèverine Audoubert, l’avocat français doit impérativement s’ouvrir à l’international : « Les institutions ne sont pas que françaises dans notre profession, mais européennes et internationales. Ce qu’il se passe avec le Brexit réactualise l’intérêt des compétences linguistiques. Des chambres commerciales internationales viennent notamment d’être créées à Paris. Dans ce contexte, la capitale, et ses avocats, ont donc une vraie épingle du jeu à sortir. Mais pas uniquement : des villes de province, comme Bordeaux, Strasbourg ou Lille, sont aussi concernés par ces mouvements internationaux. » L’agilité est donc essentielle : l’avocat doit réagir rapidement face à ces nouvelles opportunités, pour en devenir le professionnel de droit de référence dans ce monde en mutations. Reste ensuite à savoir dans quel cadre.

Déontologie : quel encadrement pour ces nouvelles activités ?

Avec les professions réglementées se pose automatiquement la question de la déontologie et des conditions d’exercice. Qu’en est-il pour ces nouvelles activités ? Quelles conditions doivent être remplies ? Aujourd’hui, « nombre d’entre elles sont déclaratives. Par exemple, l’avocat mandataire en transactions immobilières doit se déclarer auprès de son ordre. Il n’y a pas de spécialité ou de certification obligatoire à l’heure actuelle. Même si cet aspect est en cours de réflexion, ce qui nécessite de repenser la formation, qu’elle soit initiale, continue, ou en diplômes universitaires sur les nouveaux métiers. »

« La déontologie se doit d’être en cohérence avec une logique économique qui s’intègre dans le droit. »


Et les travaux réalisés par la commission ouverte impliquent nécessairement la déontologie, et son évolution pour faciliter l’exercice de ces nouvelles missions. «  Notre déontologie, qui est notre colonne vertébrale, apporte de la sécurité juridique et de la transparence pour nos clients. Nous innovons dans des marchés sont souvent matures ou déjà investis par d’autres acteurs, qui n’ont pas du tout la même déontologie que nous. Elle se doit donc d’évoluer, et elle évolue. Des déontologues, comme Dominique Piau, sont ainsi associés à nos travaux. Cette réflexion de fond est capitale, parce que c’est elle qui simplifiera l’exercice pour les confrères tout en gardant cette sécurité juridique. La déontologie n’est pas là pour empêcher la pratique de ces nouvelles activités, elle se doit d’être en cohérence avec une logique économique qui s’intègre dans le droit et le chiffre. L’idée est aussi d’être force de propositions sur des textes, en déterminant ce qui pourrait permettre de fluidifier le travail des confrères dans ces nouvelles activités, les manques à corriger ou les handicaps à supprimer - et c’est l’avocat lobbyiste qui en parlera le mieux. »

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

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Notes de l'article:

[1Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce

[2Article 6.3 du Règlement interne national de la profession d’avocat

[3Après une première carrière de juriste d’une dizaine d’années en entreprises multinationales anglo- américaines, dans le secteur de l’Industrie Pharmaceutique, Sèverine Audoubert prête serment au Barreau de Paris en 2013. Elle exerce une activité orientée à l’international, principalement de conseil, attachée à la pratique de la négociation. Elle co-préside de la Section Internationale de l’AAMTI (Association des Avocats Mandataires en Transactions Immobilières), et est responsable du pôle Nouveaux Métiers de l’ACE (Avocats Conseils d’Entreprise). Avocate également lobbyiste, elle développe les relations avec les barreaux étrangers, les organes consulaires et les institutions de notre profession, en France et à l’international.

[4Ou appelé DPO pour data protection officer

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