Responsabilité pénale et infraction commise sous l’empire de substances psychotropes.

Par Elsa Crozatier, Avocat.

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Explorer : # responsabilité pénale # substances psychotropes # intention coupable # altération du discernement

La prise de substances psychotropes par l’auteur d’une infraction constitue dans certains cas une circonstance aggravante.

Pourtant, la formulation de l’article 122-1 du Code Pénal laisse une porte ouverte à l’irresponsabilité pénale des auteurs d’infractions sous l’empire de substances psychotropes

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Retour d’expérience.

A la suite d’un apéritif très alcoolisée, un jeune cadre dynamique, père de famille, parfaitement inséré dans la société et n’ayant aucun antécédent judiciaire, regagne son domicile en passant par le bois de Vincennes.

Voyant une jeune fille devant lui, il se place discrètement derrière elle et lui agrippe les fesses avec insistance.

Placé en garde à vue, l’agresseur est rapidement amené à l’hôpital compte tenu de son état d’ébriété. Il expliquera ensuite, de manière constante et semble-t-il sincère, n’avoir aucun souvenir de ses agissements et plus particulièrement, avoir un « trou noir » entre le moment où il quitte le domicile de ses amis et son « réveil » à l’hôpital, entouré de policiers.

Lors de l’audience devant le Tribunal correctionnel, un débat s’est ouvert pour savoir si d’une part, l’intention coupable était caractérisée, élément nécessaire pour retenir l’infraction d’agression sexuelle, puisqu’il n’avait aucun souvenir de l’agression.

Et d’autre part, si son état alcoolique aurait pu altérer son discernement ou entraver le contrôle de ses actes, ce qui aurait conduit à retenir une circonstance atténuante de sa responsabilité pénale.

Finalement, le juge a reconnu l’agresseur coupable des faits d’agression sexuelle et prononcé un simple ajournement de peine contre réparation indemnitaire du préjudice à la victime.

La prise de substances psychotropes par l’auteur d’une infraction constitue dans certains cas une circonstance aggravante.

Face aux conséquences préjudiciables de la consommation de telles substances, le législateur a cherché à responsabiliser les consommateurs.

En effet, la loi prévoit que l’emprise de substances psychotropes constitue une circonstance aggravante lors de la commission de certains délits [1], mais aussi pour certains crimes, tels que le viol [2].

Pourtant, la formulation de l’article 122-1 du Code Pénal laisse une porte ouverte à l’irresponsabilité pénale des auteurs d’infractions sous l’empire de substances psychotropes.

Il dispose en effet qu’un « trouble psychique ou neuropsychique » ayant conduit à une altération du discernement ou une entrave du contrôle des actes peut constituer une circonstance atténuante. En outre, si ce trouble conduit à une abolition du discernement ou du contrôle des actes, il engendre une irresponsabilité pénale de l’auteur.

En l’occurrence, la distorsion des perceptions et la dépression du système nerveux engendrées par la consommation de psychotropes peuvent potentiellement constituer un tel trouble. Ce dernier ne se limitant plus, comme à son origine, à la démence.

En matière jurisprudentielle, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation n’a jusqu’alors pas tranché clairement la question. Elle se contente de vérifier que la Cour d’appel a suffisamment motivé son choix, s’en remettant à son appréciation souveraine [3].

Une telle solution apparaît comme relativement inique.

Il peut sembler bien aisé de profiter d’un régime préférentiel ou d’une exonération de responsabilité pénale alors que la consommation même de psychotropes pris volontairement relève de la responsabilité même de l’auteur de l’infraction.

Cette situation renvoie à l’affaire Halimi et à la notion de responsabilité pénale à la suite de la prise volontaire de substances psychotrope.

En l’espèce, il ne s’agissait pas de consommation d’alcool comme dans l’espèce rapportée mais de cannabis ; les troubles occasionnés par la prise de cette substance psychotrope ayant conduit l’auteur à passer à l’acte à savoir, au meurtre de sa victime.

Plus précisément, le 4 avril 2017, un homme avait passé à tabac puis défenestré sa voisine sexagénaire, Sarah Halimi.

Plusieurs experts psychiatres se sont penchés sur ce dossier et tous ont conclu au fait que lors du meurtre de Sarah Halimi, l’agresseur souffrait d’une « bouffée délirante aiguë » provoquée par une forte consommation de cannabis.

La question qui se posait était donc de tirer les conséquences de cette prise volontaire de substances psychotrope.

La majorité des experts a conclu à l’absence de responsabilité pénale et un expert a quant à lui considéré que la consommation « volontaire et régulière » de cannabis le rendait partiellement responsable de son acte.

Par un arrêt du 19 décembre 2019, la Cour d’appel de Paris a déclaré l’auteur des faits pénalement irresponsable au visa de l’article 122-1 du Code Pénal.

Suite au pourvoi des parties civiles, la Cour de Cassation devrait se prononcer dans les mois à venir sur la responsabilité pénale de l’auteur du meurtre.

La décision de la Cour de Cassation est très attendue face à cette situation qui semble injuste et dangereusement déresponsabilisante à l’égard des consommateurs de substances psychotropes.

En termes de responsabilité, il nous apparaitrait logique de différentier les causes volontaires (et exogènes) d’altération et d’abolition du discernement, telles que la consommation d’alcool ou de stupéfiants, des causes endogènes, comme un trouble psychiatrique préexistant.

En effet, une telle distinction permettrait d’éviter une déresponsabilisation des comportements et respecterait l’esprit de la loi aux termes laquelle la consommation volontaire d’alcool ou de stupéfiant, laquelle est de nature à altérer le discernement, constitue une circonstance aggravante et non atténuante.

Par la prise volontaire d’alcool ou de stupéfiant, le consommateur doit assumer les conséquences pouvant en découler.

Cependant, la Cour de Cassation acceptera-t-elle de distinguer là où l’article 122-1 du Code pénal ne distingue pas ?

Elsa CROZATIER, Avocate à la Cour, droit du dommage corporel
www.crozatier-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Code de la route.

[2Article 222-23 Code Pénal.

[3Voir en ce sens notamment CCass, Crim., 12 avril 2016, 15-80.207, CCass, Crim., 13 février 2018, 17-86.952.

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