La responsabilité pénale de la personne morale en cas de non-désignation du conducteur par le représentant légal.

Dans un arrêt en date du 11 décembre 2018, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation fait application de l’article L.121-2 du Code Pénal, selon lequel les personnes morales, sont responsables pénalement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants et juge que les poursuites engagées à l’encontre du représentant légal pour non-désignation du conducteur n’exonèrent pas pour autant la personne morale de sa responsabilité pénale (Cass. Crim. 11-12-2018 n° 18-82.628 FS-PB).

Depuis le 1er janvier 2017, lorsqu’une infraction au Code de la route, constatée par ou à partir des appareils de contrôle automatique, a été commise avec un véhicule immatriculé au nom d’une société, le représentant légal doit déclarer aux autorités compétentes l’identité du conducteur du véhicule dans les 45 jours de l’envoi de l’avis de contravention, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.

Concrètement, à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, le représentant légal dispose d’un délai de 45 jours pour communiquer l’identité, l’adresse et la référence du permis de conduire de la personne physique qui conduisait le véhicule.

Signalons à ce titre que si le représentant légal a lui-même commis l’infraction routière, il doit se désigner en tant que conducteur et recevra alors un avis de contravention à son nom, en tant que personne pénalement responsable.

Rappelons que le fait de contrevenir à cette obligation est puni d’une amende [1], étant précisé que l’amende maximale pour les contraventions de 4e classe est de 750 € pour une personne physique [2] et de 3.750 € pour une personne morale.

Cette nouvelle réglementation a soulevé une interrogation sur les responsabilités respectives du représentant légal, qui est légalement tenu de déclarer l’identité du conducteur d’un véhicule de la société ayant commis une infraction routière, et de la personne morale, titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule.

Aux termes de l’article L. 121-6 du Code de la route, l’avis de contravention relatif à l’infraction au Code de la route est adressé au représentant de la personne morale. Le législateur fait donc peser sur le représentant légal l’obligation de désigner le conducteur du véhicule de la société.

Cette responsabilité du représentant légal exclut-elle pour autant la responsabilité de la personne morale ?

La rédaction de ce texte laissait à penser que seul le représentant légal pouvait dans ces conditions être poursuivi en cas de non-désignation du conducteur, auteur de l’infraction. Mais cette interprétation laissait malgré tout planer un doute sur les responsabilités respectives du représentant légal et de la personne morale, faisant ainsi couler beaucoup d’encre.

La Cour de Cassation vient de se prononcer, dans un arrêt en date du 11 décembre 2018, sur cette question de responsabilité pénale de la personne morale.

Dans cette affaire, la Cour de Cassation juge que les poursuites engagées à l’encontre du représentant légal n’exonèrent pas pour autant la personne morale de sa responsabilité pénale.

Dans cet arrêt, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation [3] fait application de l’article L. 121- 2 du Code Pénal, selon lequel les personnes morales, sont responsables pénalement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

En conséquence, la Cour de Cassation juge que la responsabilité pénale de la personne morale peut être recherchée pour cette infraction, commise pour son compte par son représentant légal.

Ainsi, les dispositions de l’article L. 121-2 du Code pénal continuent à s’appliquer même pour les infractions dont la responsabilité pénale du représentant légal est expressément prévue par un texte particulier.

Quand on y regarde de plus près, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation ne fait au demeurant que confirmer la possibilité de cumul des poursuites pénales déjà prévue par le Code pénal. Cette question de cumul des poursuites est, en effet, abordée à l’article 121-2 alinéa 3 du Code pénal qui précise que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques, auteurs ou complices des faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 ».

S’il nous semble impensable que la personne morale puisse échapper à toute responsabilité pénale, l’application de cet article L. 121-2 du Code Pénal n’est pas pour autant sans poser de difficultés juridiques.

Rappelons, à ce titre, que la responsabilité pénale de la personne morale requiert deux conditions cumulatives, à savoir :
- 1ère condition : la commission d’une infraction par les organes ou les représentants de la personne morale ;
- 2nde condition : que l’infraction ait été commise pour le compte et dans l’intérêt de la personne morale.

Nous pouvons aisément affirmer que la première condition est effectivement remplie, puisqu’aux termes de l’article L. 121-6 du code de la route, il appartient au représentant légal et à lui seul de désigner l’auteur de l’infraction.

En ce qui concerne la seconde condition, le doute est cependant permis. Et se pose ainsi la question qui nous brûle les lèvres : A qui profite le crime ?

Cette formulation peut paraître humoristique pour certains, mais en matière de responsabilité pénale de la personne morale ne devons-nous pas rechercher si l’infraction a été commise pour le compte de cette personne morale et donc dans son intérêt ?

A qui donc profite ce crime ? Nous pouvons d’ores et déjà émettre une première hypothèse : la non-désignation du conducteur du véhicule profite, en premier lieu et de toute évidence, à l’auteur de l’infraction, qui échappe de ce fait au paiement d’une amende et conserve, en toute impunité, les points de son permis de conduire.

Basique, simple !

Mais la personne morale y trouve-t-elle véritablement un intérêt ? La seule conséquence pour la personne morale de cette non-désignation de l’auteur de l’infraction est à première vue le paiement d’une amende, donc une sanction financière. Et nous pouvons semble-t-il en conclure qu’il n’est pas dans l’intérêt de la personne morale de dissimuler l’auteur de l’infraction, loin de là.

Cependant, nous pouvons émettre des hypothèses aussi fantaisistes que réalistes, permettant de considérer que cette non-désignation profiterait in fine à la société. L’infraction n’est-elle pas commise pour le compte de la société ? N’est-il pas dans l’intérêt de la société d’avoir des salariés en possession d’un permis de conduire pour l’exercice de leurs fonctions ?

Cette appréciation est d’autant plus probable que cette seconde condition est entendue très souplement par les tribunaux, au point qu’on devrait la considérer satisfaite chaque fois que l’infraction n’a pas été commise dans l’intérêt exclusif de l’organe ou du représentant auteur des faits.

Quoi qu’il en soit, il serait intéressant d’avoir l’interprétation de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation sur ce point. La Cour de Cassation aura encore sans doute à connaître de nombreux litiges en matière de responsabilité pénale de la personne morale en cas de non-désignation de l’auteur d’une infraction routière.

Chudakova Valentyna, Juriste
valentinachudo chez yahoo.fr

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Notes de l'article:

[1C. route art. L 121-6 issu de loi 2016-1547 du 18-11-2016.

[2C. pén. art. 131-13.

[3Cass. crim. 11-12-2018 n° 18-82.628 FS-PB.

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