RSA et salariés suspendus non vaccinés : Beaucoup de bruit pour rien !

Par Michèle Bauer, Avocate.

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Explorer : # rsa # salariés suspendus # vaccination obligatoire # politique sanitaire

Le week-end de la fête de la Toussaint était loin d’être mortel, les politiques étaient bien vivants et se sont fait entendre.
Vous avez dû le lire, 15 départements dont la Gironde ont publié un communiqué pour dénoncer la politique gouvernementale et pour s’insurger d’instructions (note, circulaire, on ne sait pas) données à la CAF par le Gouvernement : les départements devront prendre en charge les soignants suspendus qui ne se sont pas fait vacciner ou les salariés suspendus également qui n’ont pas pu présenter de passe sanitaire (certificat de vaccination, tests « covid » négatif de moins de 72 heures ou certificat de rétablissement).
Cette prise en charge doit être immédiate sans prendre en compte pour le calcul de l’allocation des revenus des trois derniers mois précédents la demande.
Les départements ont interpellé le Premier Ministre et ont fait passer le message d’une manière quelque peu désastreuse auprès de la presse qui a retenu seulement que les départements ne souhaitaient pas payer.
Il convient de donner un éclairage juridique à cette polémique "politique".

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Les départements peuvent-ils vraiment refuser la prise en charge des salariés ou personnel de santé suspendus pour avoir refusé de se faire vacciner ou ne pas avoir pu présenter leur passe sanitaire ?

Quinze départements sont "vent debout" et l’ont fait savoir par voie de presse et sur les réseaux sociaux, ce n’est pas à eux de payer, ils n’ont pas à prendre en charge les "suspendus" privés d’emploi du fait de la politique du Gouvernement.

Pour ces départements :
– Ce n’est pas aux départements d’assurer cette aide aux suspendus du fait d’une politique sanitaire nationale, ce serait à l’État d’assumer ;
– S’ils versent cette aide, ce serait presque une allocation chômage déguisée ;
– Les suspendus ne correspondent pas aux bénéficiaires habituels du RSA, ils ont un emploi qu’ils ne peuvent plus exercer du fait de leur suspension, ils ne s’inscriront pas dans une politique d’insertion ;
– Il n’est pas admissible que les « suspendus » soient pris en charge tout de suite sans qu’il ne soit tenu compte des trois derniers mois de revenus.

Les départements ont interpellé le Premier Ministre.

Ils n’ont pas écrit ou dit qu’ils ne verseront pas le RSA aux non-vaccinés comme on a pu le lire.

Cependant, leur communication a été si désastreuse que le message n’est pas passé, tout ce que la plupart des médias a retenu c’est leur intention de ne pas payer.

Il s’agit de s’interroger : les départements ont-ils raison ? Peuvent-ils refuser de prendre en charge les personnes privées d’emploi du fait d’une non vaccination ou d’une non présentation du passe sanitaire ?

Tout d’abord : un petit rappel.

Depuis le 5 août 2021, le passe sanitaire est nécessaire pour travailler dans certains secteurs d’activité (loisirs, restauration, organisation de colloques, transport longue distance notamment) sous peine de suspension du contrat de travail.

De même, les soignants doivent se faire vacciner ou être vaccinés pour travailler sous peine de suspension de leur contrat de travail également.

La suspension du contrat de travail signifie une sorte de pause très désagréable puisque le salarié n’ira plus travailler et ne sera pas payé. Le salarié pourra travailler ailleurs à la condition de ne pas concurrencer déloyalement son employeur.

Le salarié suspendu est privé de travail. Toutefois, il n’est pas licencié. Il ne peut pas percevoir d’allocations chômage puisque son contrat n’est pas rompu.

La seule solution qui s’offre aux « suspendus » ou aux démissionnaires après suspension, c’est de solliciter le bénéfice du RSA, revenu de solidarité active dont l’objectif est défini à l’article L262-1 du Code de l’action sociale et des familles :

« Le revenu de solidarité active a pour objet d’assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d’existence de lutter contre la pauvreté et de favoriser l’insertion sociale et professionnelle. »

Le RSA peut-il être demandé par les « suspendus » ou les démissionnaires ?

Des conditions doivent être réunies pour bénéficier du RSA, elles sont également inscrites dans le Code de l’action sociale et des familles.

La condition la plus importante est celle inscrite à l’article L262-2 qui exige d’être domicilié de manière stable en France et de vivre au sein d’un foyer dont les ressources doivent être inférieures à un forfait (au premier avril 2021, ce forfait est d’un montant de 565,34 euros pour une personne seule, pour une personne en couple d’un montant de 848,01 euros. Le montant augmente avec le nombre d’enfants à charge).

L’article R263-13 du Code de l’action sociale et des familles précise :

« Il n’est tenu compte ni des ressources ayant le caractère de revenus professionnels ou en tenant lieu mentionnées à l’article R262-12, ni des allocations aux travailleurs privés d’emploi mentionnées par les articles L5422-1, L5423-1 et L5424-25 du Code du travail, lorsqu’il est justifié que la perception de ces revenus est interrompue de manière certaine et que l’intéressé ne peut prétendre à un revenu de substitution ».

Pour les « suspendus » cet article pourra s’appliquer, il ne sera pas tenu compte pour eux des ressources ayant un caractère professionnel puisqu’ils pourront justifier que la perception de ces revenus est interrompue de manière certaine. Ils pourront justifier également ne pas pouvoir prétendre à un revenu de substitution puisqu’ils n’ont pas droit au chômage.

Si les « suspendus » réunissent toutes les conditions (il y en a d’autres nationalité ou âge par exemple), il n’existe aucune raison qu’ils ne bénéficient pas du Revenu de Solidarité Active.

Pour pouvoir continuer de bénéficier du versement de cette allocation, ils devront justifier d’avoir respecter les obligations inscrites à l’article L262-28 du code de l’action sociale et des familles, à savoir rechercher un emploi ou entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle.

Aussi, le volet insertion ne constitue pas une condition pour bénéficier de cette allocation, c’est une condition pour continuer à pouvoir en bénéficier.

En conclusion.

Pour des raisons politique pour ne pas écrire politiciennes, les départements ne souhaitent pas prendre en charge les « suspendus » dans le cadre du RSA.

Les départements qui s’opposent à cette prise en charges appartiennent à l’opposition et ont dénoncé maladroitement la politique du Gouvernement.

Hasard du calendrier, la commission mixte paritaire s’est réunie le 2 novembre afin de trouver un compromis sur le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire qui intègre une prolongation du passe sanitaire notamment.

Juridiquement, il n’existe aucune raison qui empêcherait le versement de cette allocation à des salariés suspendus et même il est possible de ne pas tenir compte des revenus des trois mois précédents si les suspendus justifient que la perception de ses revenus est interrompue de manière certaine et sans pouvoir prétendre à un revenu de substitution.

On peut s’interroger sur les raisons de l’envoi d’une note par le ministre des Solidarités et de la Santé sur ce point puisque la loi le prévoit, je ne peux pas croire qu’il se permettrait d’adresser des notes sans avoir ouvert un Code de l’action sociale et des familles.

Pour finir et pour ce qui est de la démarche d’insertion dans laquelle ne s’inscrirait pas les « suspendus », les départements confondent les conditions d’octroi du RSA et les conditions de maintien de cette aide. Pour pouvoir l’obtenir, s’inscrire dans une démarche de recherche d’emploi ou d’insertion n’est pas nécessaire.

En revanche, pour continuer à en bénéficier, il convient de justifier de cette démarche.

Beaucoup de bruit pour rien, ceci d’autant plus que les départements ne seront pas submergés de demandes de prises en charge par les suspendus travaillant dans le monde médical, le taux de vaccination étant très élevés et les suspensions peu nombreuses selon la dépêche AFP détaillant cette affaire.

Michèle BAUER
Avocate à la Cour
Généraliste, titulaire d’un certificat de spécialisation en droit du travail
Blog : http://michelebaueravocatbordeaux.fr
contact chez avocatbauer.fr

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