S’il peut apparaître légitime dans son principe (faire en sorte que chaque salarié bénéficie d’un revenu décent), force est d’admettre que le salaire minimum de croissance n’est pas parvenu à remplir ses objectifs. Des études empiriques lui attribuent même des effets contreproductifs. Rien de surprenant, la fixation autoritaire d’une rémunération plancher étant dans ses fondements, un non sens économique et social.
Un non sens économique
L’analyse économique théorique est basique : le marché du travail est le lieu de rencontre entre une offre de travail émanant des salariés et une demande de travail par les entreprises. De cette rencontre et pour une qualification donnée se dégage un prix d’équilibre : le salaire. Dès lors, si l’autorité publique impose une rémunération minimale supérieure au salaire tel qu’il se dégage du libre jeu de l’offre et de la demande, il est à craindre que les employeurs, dans un souci d’efficacité économique, préfèrent ne pas embaucher, voire se séparer de leurs employés insuffisamment productifs. La demande est donc contenue. Parallèlement, un niveau de salaire artificiellement élevé encourage l’offre de travail, attirant de nouveaux salariés sur le marché. Il en résulte un excès croissant de l’offre sur la demande de travail, c’est-à-dire du chômage. En des termes plus triviaux et moins théoriques, une entreprise ne sera incitée à recruter et conserver un employé que si celui-ci lui rapporte davantage que le niveau de salaire imposé la réglementation soit 1800 euros environ (charges sociales incluses). Le salaire minimum devient alors générateur de chômage en rendant inemployables les travailleurs dont la valeur ajoutée est trop faible. Cet « effet d’éviction » est confirmé par certaines études économiques dont celle d’Abowd et al. .
On citera une autre conséquence de l’instauration d’une rémunération minimale. Pour réaliser un niveau d’activité donné, une entreprise, selon le contexte et ses conditions d’exploitation, peut utiliser dans des proportions variables deux facteurs de production : le travail et le capital. La combinaison qui l’emportera sera très certainement la moins onéreuse. Dès lors, il y a tout lieu de penser qu’une élévation du coût du facteur travail incitera le producteur à lui substituer du capital tel des machines. Et ce d’autant que le travail peu qualifié est plus facilement substituable que celui qui mobilise un niveau de savoir élevé. C’est ce que les économistes nomment l’ « effet de substitution ».
Le chômage chronique trouve ainsi une de ses origines dans l’action du gouvernement qui fixe les taux de salaire au-dessus du niveau d’équilibre du marché.
Un non sens social
La politique menée en France depuis l’instauration d’un salaire minimum s’appuie pourtant sur l’idée qu’en augmentant les bas salaires, on réduira mécaniquement la pauvreté et les inégalités de revenu. Cette intention, certes louable, débouche hélas sur un effet diamétralement opposé : la fixation d’une rémunération plancher écarte du marché de l’emploi les travailleurs les moins qualifiés, donc les moins productifs, entraînant par là une baisse de leur revenu et un accroissement de la pauvreté. Les jeunes issus de l’immigration en sont les premières victimes : le chômage y est de 40 %. Les émeutes qui ont tristement agité la France en 2005 ne sont doivent rien au hasard et si les banlieues sont encore aujourd’hui au bord de l’explosion, c’est en partie lié aux rigidités du marché du travail, notamment le salaire minimum. Force est de reconnaître qu’une telle situation tend à reléguer les exclus dans une position d’indigence qui ne leur permet pas d’espérer une élévation avec le temps de leur « employabilité ». Un emploi même à très bas salaire aurait pourtant le mérite, outre de leur accorder une dignité dans notre société, de les relancer dans le circuit avec l’espoir d’élever progressivement leur « attractivité ».
L’instauration d’un salaire minimum crée ainsi une fracture sociétale en séparant ceux dont la valeur ajoutée est supérieure au plancher de 1800 euros et ceux dont la faible qualification ne rend plus économiquement aptes à l’embauche du fait d’un coût minimal imposé règlementairement au chef d’entreprise. Cette particularité hexagonale aboutit à la formation au sein de la société de véritables trappes à inactivité et pauvreté. Une enquête menée par l’OCDE en 2007 a justement montré que la persistance du risque de pauvreté est plus basse dans certains pays comme l’Allemagne, le Danemark, l’Autriche, la Finlande, qui n’ont pas de salaire minimum.
Nous ajouterons enfin qu’il est intellectuellement malhonnête de comparer le travailleur pauvre dans un pays sans dispositif de rémunération minimale et un smicard français. Ce type de comparaison est captieuse attendu que le même travailleur pauvre n’occuperait chez nous nullement la place d’un smicard mais celle d’un chômeur, individu économiquement non employable au regard du « coût plancher » imposé par le SMIC. D’aucuns pourront alors légitimement se demander s’il n’est pas préférable d’être chômeur plutôt qu’un travailleur occupant un emploi faiblement rémunéré. C’est possible mais, pour notre part, nous préférons laisser à l’individu la liberté de choisir.
Conclusion
Finalement, l’instauration d’un salaire minimum parmi les plus élevés d’Europe n’a pas permis en France de réduire la pauvreté et de limiter les inégalités de revenu. Une étude de l’INSEE a même montré en 2000 qu’une augmentation du SMIC de 10% détruirait environ 290 000 emplois à long terme. L’OCDE, pour sa part, conseilla à la France de revenir sur ce principe de salaire plancher, son principal effet étant d’écarter de l’emploi les personnes les plus fragiles à commencer par celles sans qualification, les jeunes à la sortie de l’école et les parents isolés. La fracture sociale dénoncée par les politologues français trouve ainsi sa cause non pas dans les salaires bas mais dans le chômage qui anéantit souvent toute perspective d’intégration économique et sociale pour ceux qui en sont frappés.
Rappelons aussi qu’en 2008, les 3 pays les moins inégalitaires d’Europe, la Finlande, le Danemark et la Suède, n’ont toujours pas instauré un salaire minimum légal. L’Allemagne, l’Autriche et l’Italie non plus. Nous, français, préférons le chômage et l’exclusion à un petit revenu d’activité. C’est un choix qu’il est évidemment difficile d’assumer.
N.B. Pour de plus amples développements, nous renvoyons à la lecture du rapport du Conseil d’analyse économique : « SMIC, revenu minimum et coût du travail : quelle articulation pour combiner justice sociale, incitation au travail et compétitivité ? », P. Cahuc, G. Cette, A. Zylberberg, mars 2008.