Droit pour les IBODE au versement rétroactif d’une nouvelle bonification indiciaire, épilogue judiciaire.

Par Charles Carluis, avocat.

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Explorer : # nouvelle bonification indiciaire # ibode # principe d'égalité # conseil d'État

Par une décision n°467063 du 19 juillet 2023, le Conseil d’Etat a consacré le droit pour les infirmiers de bloc opératoire diplômés d’Etat (IBODE) exerçant exclusivement leurs fonctions en bloc opératoire de bénéficier d’une nouvelle bonification indiciaire (NBI) de treize points majorés au titre de la période antérieure au 1er avril 2022, date à laquelle en vertu du décret n°2022-313 du 3 mars 2022, ils en bénéficient à nouveau.
Les agents pouvant en bénéficier sont donc fondés à solliciter auprès de leurs employeurs publics l’attribution de cette NBI et le versement des montants correspondants à titre rétroactif dans le respect de la prescription quadriennale, soit à compter du 1er janvier 2019 jusqu’au 1er avril 2022.

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Constat initial de l’illégalité du décret du 3 février 1992 excluant les IBODE du bénéfice de la NBI.

Avant l’intervention du décret n°2022-313 du 3 mars 2022, certains établissements publics de santé refusaient systématiquement à leurs agents titulaires du grade d’infirmier de bloc opératoire (IBODE) le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) au taux de treize points majorés prévue par l’article 1er du décret n°92-112 du 3 février 1992.

Pour refuser l’octroi de la NBI à leurs agents, ces établissements considéraient, au terme d’une interprétation littérale des dispositions de l’article 1er du décret n°92-112 du 3 février 1992, que le grade d’IBODE détenu par les intéressés faisait obstacle à ce qu’ils puissent prétendre à ce complément de rémunération, alors même qu’ils exerçaient exclusivement leurs fonctions en bloc opératoire, condition posée par ces dispositions.

Aux termes de l’article 1er du décret n°92-112 du 3 février 1992 relatif à la nouvelle bonification indiciaire attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière, dans sa version en vigueur du 30 décembre 2012 au 1er avril 2022 :

« Une nouvelle bonification indiciaire dont le montant est pris en compte et soumis à cotisation pour le calcul de la pension de retraite est attribuée mensuellement, à raison de leurs fonctions, aux fonctionnaires hospitaliers ci-dessous mentionnés :
1° Infirmiers ou infirmiers en soins généraux dans les deux premiers grades du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière régi par le décret n° 2010-1139 du 29 septembre 2010, exerçant leurs fonctions, à titre exclusif, dans les blocs opératoires : 13 points majorés (…)
 ».

Ces dispositions avaient déjà été modifiées par l’article 3 du décret n°2011-377 du 6 avril 2011 pour tirer les conséquences nécessaires de l’intégration des personnels infirmiers régis par le décret n°88-1077 du 30 novembre 1988 au nouveau corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés régi par le décret n°2010-1139 du 29 septembre 2010, avec droit d’option de maintien dans l’ancien corps, mis en extinction.

Aussi, selon ces établissements, les dispositions du décret du 3 février 1992 précitées excluaient implicitement mais nécessairement les infirmiers spécialisés dont font partie les infirmiers de bloc opératoire du bénéfice de la NBI qu’elles instituent.

Il résulte pourtant des dispositions de l’article 27 de la loi n°91-73 du 18 janvier 1991, qui constitue la base légale du décret du 3 février 1992, et, de façon générale, d’une jurisprudence ancienne et constante, que le bénéfice de la NBI est lié non au corps ou cadre d’emplois d’appartenance ou au grade des fonctionnaires, ou encore à leur lieu d’affectation, mais aux seules caractéristiques des emplois occupés, au regard des responsabilités qu’ils impliquent ou de la technicité qu’ils requièrent [1].

Le bénéfice de cette bonification, exclusivement attaché à l’exercice effectif des fonctions, ne peut, dès lors, être limité aux fonctionnaires d’un corps ou aux titulaires d’une qualification déterminée, ni être soumis à une condition de diplôme.

En outre, le principe d’égalité exige que l’ensemble des agents exerçant effectivement leurs fonctions dans les mêmes conditions, avec la même responsabilité ou la même technicité, bénéficient de la même bonification.

Dans ces conditions, le décret du 3 février 1992, en limitant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire aux seuls infirmiers et infirmiers en soins généraux exerçant exclusivement en bloc opératoire, méconnaissait le principe d’égalité de traitement des fonctionnaires.

Les dispositions précitées du décret du 3 février 1992 devaient donc être soit interprétées souplement comme réservant ce droit aux infirmiers dont l’emploi implique qu’ils exercent leurs fonctions à titre exclusif au bloc opératoire, indépendamment de leur grade, soit neutralisées comme contraires au principe de l’égalité de traitement.

Jugements de tribunaux administratifs favorables aux IBODE et intervention du pouvoir réglementaire.

C’est dans ce sens qu’ont statué plusieurs tribunaux administratifs [2].

L’illégalité ainsi constatée a d’ailleurs conduit le pouvoir réglementaire à modifier, par un décret n°2022-313 du 3 mars 2022, à compter du 1er avril suivant, l’article 1er du décret du 3 février 1992 pour y mentionner les infirmiers de bloc opératoire parmi les attributaires potentiels de la NBI.

Si le décret du 3 mars 2022 a réglé la question pour l’avenir à compter du 1er avril 2022, les IBODE demeuraient fondés à solliciter la régularisation de leur situation pour la période antérieure au 1er avril 2022 [3].

La position restrictive de la Cour administrative d’appel de Marseille.

La Cour administrative d’appel de Marseille a toutefois considéré, dans un arrêt du 30 juin 2022 [4] demeuré isolé, rendu sous l’empire du droit antérieur au 1er avril 2022, que les IBODE, alors même qu’ils exercent leurs fonctions exclusivement en bloc opératoire, ne pouvaient prétendre au bénéfice de la NBI, motif pris de ce que lorsqu’ils travaillent en bloc opératoire, les IBODE exercent des fonctions spécifiques qui ne requièrent pas la même technicité et n’impliquent pas le même niveau de responsabilité que celles dévolues aux infirmiers généraux lorsqu’ils sont eux-mêmes affectés en bloc opératoire.

La Cour de Marseille s’est donc fondée sur les conditions d’exercice des IBODE au sein d’un bloc opératoire pour estimer que l’article 1er du décret du 3 février 1992 avait légalement pu exclure cette catégorie d’infirmiers du bénéfice de la NBI.

Epilogue devant le Conseil d’Etat qui tranche la question.

Cet arrêt ayant fait l’objet d’un pourvoi, il revenait au Conseil d’Etat de trancher la question.

C’est désormais chose faite depuis une décision du 19 juillet 2023 [5].

Le Conseil d’Etat est d’abord venu rappeler qu’

« il résulte des dispositions de l’article 27 de la loi du 18 janvier 1991 que le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire est lié aux seules caractéristiques des emplois occupés, au regard des responsabilités qu’ils impliquent ou de la technicité qu’ils requièrent. Le bénéfice de cette bonification, exclusivement attaché à l’exercice effectif des fonctions, ne peut ainsi être limité par la prise en considération du corps, du cadre d’emploi ou du grade du fonctionnaire qui occupe un emploi dont les fonctions ouvrent droit à ce bénéfice. En outre, le principe d’égalité exige que l’ensemble des agents exerçant effectivement leurs fonctions dans les mêmes conditions, avec la même responsabilité ou la même technicité, bénéficient de la même bonification ».

Avant de préciser, s’agissant des conditions d’exercice des fonctions des IBODE au sein d’un bloc opératoire

« que les différences de technicité ou de responsabilité existant entre les fonctions exercées, dans le cas d’un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d’une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d’autre part, pour réelles qu’elles soient, ne sont pas de nature à justifier, au regard de l’objet de l’article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l’article 1er du décret du 3 février 1992, la circonstance que certains actes seraient réservés ou destinés en priorité aux seconds ne caractérisant pas, au regard de cet objet, qui est de valoriser la technicité et la responsabilité des fonctions en cause, une différence de situation justifiant une différence de traitement à leur détriment ».

« Ainsi, si les fonctions exercées, dans le cas d’un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d’une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d’autre part, présentent une technicité et comportent une responsabilité différentes, ces différences ne sont pas de nature à justifier, au regard de l’objet de l’article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l’article 1er du décret du 3 février 1992, dans sa rédaction antérieure au 1er avril 2022 ».

Cette décision consacre ainsi l’illégalité de l’article 1er du décret du 3 février 1992, dans sa rédaction antérieure au 1er avril 2022, en tant que cet article ne prévoyait pas le versement d’une NBI aux infirmiers de bloc opératoire et, en filigrane, le droit pour les IBODE exerçant exclusivement leurs fonctions en bloc opératoire à bénéficier d’une NBI au titre de la période antérieure au 1er avril 2022.

En conséquence, les IBODE sont donc fondés à solliciter auprès de leurs employeurs publics le bénéfice d’une NBI au taux de treize points majorés et le versement des montants correspondants à titre rétroactif dans le respect de la prescription quadriennale, soit à compter du 1er janvier 2019 jusqu’au 1er avril 2022 (date à laquelle en vertu du décret n°2022-313 du 3 mars 2022, ils en bénéficient à nouveau), ce qui représente une somme de l’ordre de 2 400 euros.

Il importe pour les agents pouvant en bénéficier de présenter leur demande dans les meilleurs délais et au plus tard le 31 décembre 2023, au risque de perdre une année de NBI en application de la prescription.

Charles Carluis - avocat droit de la fonction publique
Barreau de Rouen
https://carluis-avocat.fr/
charles.carluis chez gmail.com

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Notes de l'article:

[1CE, 15/05/2013, n°346764 ; CAA Nantes, 14/04/2017, n°15NT02694 ; voir égal. CE, 02/04/2008, n°300190 ; CE, 04/06/2007, n°284380 ; CE, 12/03/1999, n°199269 ; CAA Bordeaux, 16/11/1998, n°96BX01926.

[2A titre d’ex. TA Marseille, 12/07/2021, n°2009704 ; TA Lille, 25/11/2021, n°2101327.

[3TA Paris, 13/03/2023, n° 2103314 ; TA Grenoble, 04/07/2023, n° 2101080 ; TA Toulouse, 04/07/2023, n° 2201793.

[4CAA Marseille, 30/06/2022, n°21MA03807.

[5CE, 19/07/2023, n°467063.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 7 novembre 2023 à 18:21
    par JC.DURAND , Le 18 août 2023 à 09:52

    merci pour ce travail de synthèse

    • par TIERTANT , Le 8 octobre 2023 à 08:48

      Bonjour Maître,
      ▪︎ 1er avril 2022 : octroi de la NBI par décret pour les IBODE exerçant exclusivement au bloc opératoire
      ▪︎ 19 juillet 2023 : Le CE juge que les IBODE devaient bien toucher cette NBI
      Ma question est la suivante : la fin de période de demande de rétroactivité quadriennale est effectivement de ce fait jusqu’au 1er avril 2022 mais pourquoi la solliciter depuis le 1er janvier 2019 et non depuis le 31 mars 2018 soit 4 ans ?
      À vous lire,
      Cordialement.

    • par Cyril , Le 7 novembre 2023 à 11:38

      Cette réponse serait effectivement intéressante, pourquoi cette date de début d’indemnisation ?

    • par Charles Carluis , Le 7 novembre 2023 à 18:21

      Bonjour,
      Lorsqu’un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit, le fait générateur de la créance se trouve dans les services accomplis par l’intéressé. Il en résulte que la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés.
      Aussi, dans l’hypothèse où la demande tendant au bénéfice de la NBI serait présentée pour la première fois en 2023, la prescription serait acquise pour la période antérieure au 1er janvier 2019.
      Dans l’hypothèse où la demande serait présentée en 2024, la prescription serait acquise à compter du 1er janvier 2020.
      Il est donc urgent, si vous ne l’avez pas déjà fait, de présenter votre éventuelle demande avant le 31 décembre 2023, au risque de "perdre" une année de NBI.
      Je vous invite à me contacter le cas échéant,
      Bien à vous,
      CC

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