1er janvier 2023 : l’intermédiation financière des pensions alimentaires devient la règle.

Par Catherine Roussel, Avocat.

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Explorer : # pensions alimentaires # intermédiation financière # recouvrement # aripa

L’intermédiation financière des pensions alimentaires (IFPA) est de droit pour toute décision du Juge aux affaires familiales prononçant une pension alimentaire pour des enfants, entraînant de ce fait la notification par le greffe de la décision rendue et un changement procédural majeur dans nos pratiques en matière familiale.

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Le contexte.

Selon un rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) de 2016 [1], différentes études permettent de conclure que le taux d’impayés des pensions alimentaires se situe entre 20% et 40% avec une hypothèse moyenne autour de 35%, soit environ 300 000 créanciers d’aliment concernés. Ce chiffre aurait sensiblement augmenté depuis la crise sanitaire de 2020 : certains rapports évoquent 45% d’impayés en 2022.

Sur ces 300 000 personnes (en 2016), certaines font appel à des huissiers de justice (nombre exact inconnu), d’autres font appel à la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) ou la Mutualité Sociale Agricole (MSA) soit dans le cadre de l’Allocation de Soutien Familial (ASF) recouvrable (35 000 allocataires), soit dans le cadre de l’aide au recouvrement (300 personnes). D’autres parents enfin disposent de l’ASF non recouvrable.

Malheureusement un trop grand nombre de personnes, par méconnaissance, par peur, par difficultés administratives, ne fait rien et se retrouve sans aucune pension ou aide pour faire face aux charges induites par l’entretien et l’éducation de leur(s) enfant(s). Ce sont autant d’enfants qui peuvent alors se retrouver en situation financière difficile.

Dans ce cadre, l’ARIPA (Agence de Recouvrement des Impayés de Pensions Alimentaires) a été créée : de 2019 à 2022, les textes ont eu pour but de limiter au maximum les impayés et de permettre au parent créancier d’obtenir le paiement d’une pension légitimement due et destinée aux enfants.

L’intermédiation, pour mémoire [2].

L’IFPA fait de la CAF ou de la MSA un intermédiaire entre les parents pour le règlement des pensions alimentaires destinées aux enfants : ni la CAF, ni la MSA n’avancent la pension à la place du parent débiteur. Au mieux, elles avancent l’ASF recouvrable si les conditions sont réunies en attendant les versements.

Le parent débiteur doit donc régler la pension à la CAF ou la MSA, qui la reverse dans les 24 heures au parent créancier. Quel intérêt alors ?

Le parent débiteur est contraint par des délais, sous peine de sanctions financières, pour communiquer les éléments utiles à la gestion de l’IFPA et, en cas de défaillance dans le paiement, CAF et MSA mettent en place directement une procédure de recouvrement forcé sans que le parent créancier ait de démarches à faire. Ces contraintes motivent le parent d’éventuelle mauvaise foi et accélèrent les paiements, sans laisser se créer des arriérés de plusieurs mois ou années assez souvent irrécupérables ensuite.

La règle : toute pension alimentaire fixée par le JAF pour les enfants est soumise de droit à l’IFPA.

L’IFPA étant la règle, nul besoin de le mentionner dans le dispositif, que ce soit dans le jugement ou dans nos conclusions [3].

Le greffe a 7 jours pour remplir le formulaire adéquat sur le site de l’ARIPA et doit envoyer dans un délai de 6 semaines maximum un extrait de la décision exécutoire et de la notification [4].

Si les parents le souhaitent, ils pourront y renoncer ensuite en écrivant, ensemble, à la CAF ou MSA.

Les exceptions : refus des parents, violences, difficultés d’exécution [5].

Le refus des deux parents, exprimé par écrit, de manière non équivoque, à tout moment de la procédure, entraîne une mention au dispositif et stoppe les démarches procédurales faites par le greffe. Le droit commun antérieur s’applique pour la signification et le recouvrement.

Les violences intrafamiliales prouvées (du parent débiteur sur le parent créancier mais non l’inverse) interdisent cependant ce refus des deux parents. Le JAF doit mentionner l’existence de ces violences dans le jugement afin que les parents ne puissent plus renoncer à l’IFPA par la suite. L’IFPA devient donc obligatoire définitivement.

Des difficultés d’exécution liées au parent débiteur ou à sa situation peuvent conduire le JAF à soustraire la pension au système de l’IFPA (parent à l’étranger, parent en situation irrégulière,…). La jurisprudence déterminera les cas précisément, la Chancellerie souhaitant qu’ils restent exceptionnels.

L’IFPA entraîne la notification des décisions par le greffe [6].

Révolution procédurale en matière familiale, toute décision qui condamne un parent à régler une pension alimentaire pour un ou plusieurs enfants sera notifiée par le greffe aux deux parties, par LRAR, en mentionnant le délai d’appel d’un mois. Les parties recevront la copie exécutoire.

Il est extrêmement important de prévenir nos clients dès la date de délibéré connue car, si le greffe est diligent, le jugement sera envoyé aux parties en même temps qu’aux avocats (qui auront une copie simple).

Le délai d’appel commence alors à courir pour chaque partie à compter de la réception de sa lettre recommandée : il y aura donc plusieurs délais d’appel selon les dates de réception.

Il est nécessaire que nos clients nous informent de la réception de cette LRAR pour connaître le délai d’appel qui nous concerne ! Et il est important de ne pas signifier en parallèle car le risque de se mélanger dans les dates est énorme : nul ne serait à l’abri d’un appel tardif de ce fait.

Si l’un des accusés réception comporte une erreur (absence de date, absence de signature, date illisible,...) ou ne revient pas (ce qui arrive…), le greffe écrit aux deux parties (pas aux avocats) en indiquant que la notification faite est nulle (même vis à vis de celui qui avait correctement signé son AR) et qu’il faut signifier par commissaire de justice pour faire courir le délai d’appel.

Le greffe écrit aussi à la CAF ou la MSA pour leur demander de signifier (sans délai d’appel) afin qu’ils puissent exécuter ensuite : il semble que la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales) préfère demander au parent créancier la signification qu’il aura faite pour éviter des frais supplémentaires et tout risque d’erreur. A vérifier cependant…

En cas de représentation obligatoire, il n’y a plus besoin de signifier entre avocats [7].

L’exécution de la décision pourra se faire avec la copie exécutoire et les deux accusés réceptions complets sans qu’il soit nécessaire de signifier pour cela.

Divorce par consentement mutuel : n’oubliez pas d’évoquer l’IFPA avec vos clients [8].

Si la convention de divorce reste muette, l’IFPA est obligatoire et l’avocat du créancier devra faire la déclaration à l’ARIPA dans les 7 jours du dépôt au rang des minutes du notaire, puis envoyer les documents complets faute de quoi son client perdra du temps dans la mise en place de l’intermédiation, ce qui peut engendrer des risques de RCP.

Si les parents veulent y renoncer, une clause devra le préciser clairement dans la convention.

Si des violences ont été commises, la convention devra le mentionner pour éviter toute renonciation ultérieure des deux parents, notamment du parent créancier sous la pression ou menace du parent débiteur et violent.

Cette réforme s’appliquait déjà depuis le 1er mars 2022 aux décisions de divorce mais il y a eu peu de remontées sur les conséquences à ce jour. Tous les professionnels concernés (magistrats, greffes, avocats, CAF et MSA) se sont préparés pour le 1er janvier 2023 et l’afflux massif de décisions à venir mais on ne peut jamais tout prévoir…

Des surprises sont sûrement à venir et je serais très intéressée par les remontées de vos tribunaux pour achever mon travail sur le sujet et vous faire une petite mise à jour d’ici quelques mois. Merci d’avance !

Informations complémentaires :
J’ai réalisé un guide payant (24,00 € TTC) sur l’intermédiation financières des pensions alimentaires.
Ce guide comprend :
– une fiche par thème avec le rappel du texte applicable, le détail du principe juridique, des notes pour appeler à la réflexion et des avertissements pour appeler à la vigilance,
– des schémas récapitulatifs pour retenir la règle et pouvoir s’y reporter facilement quand c’est nécessaire sans devoir tout relire,
– des modèles pour écrire au client ou insérer une clause dans les conventions de divorce par consentement mutuel,
– des annexes avec tous les textes applicables sur le sujet pour éviter de devoir aller les rechercher dans plusieurs codes.
Le guide est accessible au lien suivant : https://lesjuristescurieux.com/produit/avocat-intermediation-des-pensions-par-la-caf/

Catherine Roussel, Avocat au Barreau de Nantes
Droit de la famille - Créatrice de la marque Les Juristes Curieux®
catherine.roussel chez lesjuristescurieux.com

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Notes de l'article:

[2Art. L582-1 et L582-2 du Code de la sécurité sociale - Art. R582-4-1 à R582-11 du Code de la sécurité sociale.

[3Article 373-2-2 du Code civil.

[4Article 1074-4 du Code de Procédure Civile.

[5Article 373-2-2 du Code civil.

[6Article 1074-3 du Code de Procédure Civile.

[7Article 678 du Code de procédure civile.

[8Article 1145 du Code de procédure civile.

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