Difficultés d'application de la Loi de Sauvegarde : la cession dans le cadre d'une liquidation judiciaire, par Marie Duverne-Hanachowicz, Avocat

Difficultés d’application de la Loi de Sauvegarde : la cession dans le cadre d’une liquidation judiciaire, par Marie Duverne-Hanachowicz, Avocat

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Explorer : # liquidation judiciaire # loi de sauvegarde # redressement judiciaire # responsabilité de l'administrateur judiciaire

Les juridictions consulaires semblent rencontrer quelques difficultés à appliquer la nouvelle loi du 26 juillet 2005, dite « Loi de Sauvegarde ».

Comme souvent, l’habitude fait loi, au prix d’une certaine contorsion des textes nouvellement en vigueur… dans l’idée de retrouver des procédures mieux connues.

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Ainsi, en matière de liquidation judiciaire, l’article L 641-10 du Code de Commerce dispose : « Si la cession totale ou partielle de l’entreprise est envisageable (…) le maintien de l’activité peut être autorisé par le Tribunal  ».

L’article 231 du décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005 fixe à trois mois la durée maximum de ce maintien de l’activité. Elle peut même être prolongée à la demande du ministère public.

Dans une espèce tout à fait récente, une société X avait déclaré son état de cessation des paiements auprès du greffe du Tribunal de Commerce. Après analyse d’une situation comptable intermédiaire, des charges courantes, de la trésorerie de la société ainsi que de ses perspectives à court terme, la société X avait sollicité son placement en liquidation judiciaire, seul compatible avec le respect des textes applicables.

Dans les faits, la société X était en pourparlers avec une société Y pour une éventuelle acquisition conventionnelle. Ces pourparlers n’ayant pas abouti, la société X n’avait d’autre choix que de déclarer son état de cessation des paiements. La société Y, informée de cette démarche de la société X, montra à nouveau son intérêt pour la reprise de cette dernière. Elle devait permettre non seulement un apurement du passif, mais surtout la reprise des 14 salariés de la société X.

Convoquée pour l’audience d’ouverture de la procédure collective devant le Tribunal de Commerce, la société X, à l’appui de la nouvelle Loi de Sauvegarde, sollicita son placement en liquidation judiciaire assorti d’une demande de court maintien de l’activité aux fins de finaliser une éventuelle cession judiciaire de l’entreprise, via le mandataire judiciaire (ex-liquidateur judiciaire) nommé.

Contre toute attente, le Tribunal de Commerce préféra ouvrir un redressement judiciaire à l’égard de la société X, avec néanmoins une date limite de dépôt des offres très rapprochée et une audience à bref délai, plutôt que d’appliquer la nouvelle Loi de Sauvegarde en organisant une cession dans le cadre de la liquidation.

Cette décision s’avère pour le moins surprenante eu égard à l’article L 640-1 du Code de Commerce qui prévoit que « il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l’article L 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. »

En l’occurrence, le redressement de la société X était manifestement impossible, ce qui ne fut d’ailleurs contesté par personne lors de l’audience d’ouverture de la procédure collective. La décision de placer la société en redressement judiciaire se trouvait donc en contradiction avec le texte même. Mais en pratique, la juridiction consulaire a semblé plus encline à confier la cession de cette société X à un administrateur judiciaire, rompu à ce type de pratique, qu’au mandataire judiciaire.

Les juges du Tribunal de Commerce montrent par cette décision une certaine réticence :

-  d’une part à confier la cession d’une société au mandataire judicaire, qui pourtant en a la compétence depuis la Loi de Sauvegarde,

-  d’autre part à consentir une poursuite de l’exploitation dans le cadre d’une liquidation judiciaire, alors qu’elle est expressément prévue par la Loi pour une durée de trois mois prorogeable.

Une telle décision, dont on pourrait penser qu’elle se révèle avantageuse pour les administrateurs judiciaires, pourrait néanmoins avoir un effet « boomerang ». En effet, ce choix pose immanquablement la question de la responsabilité dudit administrateur judiciaire, en cas d’aggravation du passif, notamment vis-à-vis des fournisseurs, des bailleurs, des établissements bancaires et autres, qui se verront imposer la poursuite des contrats pour maintenir l’activité.

Les créanciers dont les créances naîtront après le jugement d’ouverture, en application de l’article L 622-17 du Code de Commerce, courent le risque de demeurer impayés. En effet, si le Tribunal doit être amené ultérieurement à prononcer la liquidation judiciaire de la société sans concrétisation d’une cession ou si la cession ne permet pas d’apurer le passif postérieur à l’ouverture de la procédure collective de la société X, les créanciers dont les créances sont nées dans le cadre de la poursuite de l’activité pourraient ne pas être payés.

Dans cette hypothèse, se poserait alors la question de la responsabilité de l’administrateur judiciaire qui aura été contraint, de fait, de solliciter la poursuite des contrats pour le maintien de l’activité de la société. D’autant que, dans notre espèce, le Tribunal n’a sollicité aucune garantie de la part du dirigeant de la société. Et on ne voit pas comment il aurait pu le faire, alors même que le dirigeant sollicitait une mesure de liquidation judiciaire !

Seul l’avenir dira si la cession de l’entreprise en difficulté dans le cadre de sa liquidation, prévue par la Loi de Sauvegarde, sera effectivement confiée au mandataire judiciaire, conformément au texte. Pour l’heure, l’expérience ou l’habitude de désigner des administrateurs judiciaires semble primer la lettre et l’esprit du texte.

Marie DUVERNE-HANACHOWICZ

Avocat

Cabinet Lamy Lexel

Département Difficultés & Retournement

www.lamy-lexel.com

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