I. La solidarité fiscale et les exigences de la procédure contradictoire.
A. Cadre juridique de la solidarité fiscale.
Aux termes de l’article 1705 du code général des impôts, sont solidairement responsables du paiement des droits d’enregistrement toutes les personnes qui ont comparu dans l’acte soumis à taxation. Cette solidarité passive permet à l’administration fiscale de recouvrer la totalité de la dette auprès de l’un quelconque des redevables.
B. Les principes procéduraux encadrant la solidarité.
- L’administration peut notifier la proposition de rectification à un seul codébiteur [1]
- En revanche, les actes ultérieurs (réponse aux observations, mise en recouvrement, rejet de réclamation, etc.) doivent être notifiés à l’ensemble des débiteurs solidaires [2].
Cette obligation procède du principe de loyauté des débats, qui impose que tous les redevables soient en mesure d’exercer pleinement leur droit à un recours effectif.
II. Un arrêt de principe rendu le 2 avril 2025.
A. Les faits à l’origine du pourvoi.
- Une donation de titres en nue-propriété est consentie par M. M. à plusieurs bénéficiaires, dont Mme L.
- L’administration remet en cause la valeur déclarée, par une proposition de rectification adressée au donateur
- Après le décès de ce dernier, la réponse aux observations du contribuable est notifiée uniquement à Mme L., l’une des codébiteurs solidaires
- Cette dernière conteste la régularité de la procédure, faute de notification à tous les redevables
B. La position de la cour d’appel de Paris.
- La cour considère que Mme L., ayant reçu l’acte, ne peut pas se plaindre d’un défaut de notification à l’égard des autres
- Elle applique le principe selon lequel nul ne plaide par procureur, et rejette le moyen tiré de l’irrégularité procédurale
III. La cassation : une affirmation forte de la protection procédurale.
A. Une règle claire rappelée par la Cour de cassation.
La chambre commerciale casse l’arrêt au visa de l’article 1705 CGI, en rappelant que :
« L’irrégularité tirée du défaut de notification à tous les débiteurs solidaires peut être soulevée par l’un quelconque d’entre eux, y compris par celui ayant reçu l’acte, sans qu’il soit besoin d’établir un grief ».
B. Conséquences pratiques de la solution retenue.
- L’administration ne peut plus se retrancher derrière la réception effective d’un acte par un codébiteur ;
- Le principe de solidarité ne justifie aucune dérogation au respect des garanties procédurales collectives ;
- L’irrecevabilité d’un recours pour défaut d’intérêt à agir est écartée lorsqu’elle porte sur une irrégularité de notification.
IV. L’irrégularité comme exception commune à tous les codébiteurs.
A. Les fondements de cette jurisprudence.
- La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que les codébiteurs peuvent invoquer toutes les exceptions communes à la nature de l’obligation [3].
- Le non-respect du contradictoire affecte l’ensemble de la procédure : il s’agit d’une garantie dont chaque débiteur peut se prévaloir.
B. Portée élargie à toutes les phases de la procédure.
La solution est transposable :
- Aux actes de la procédure d’imposition ;
- Aux actes de recouvrement (avis de mise en recouvrement, saisie, etc.) ;
- Aux actes de la procédure contentieuse (réponse à réclamation, mémoire en défense).
V. Ce que les professionnels doivent retenir.A. Pour les avocats fiscalistes et mandataires.
- Une vigilance accrue s’impose dans l’analyse des notifications adressées par l’administration en présence de débiteurs solidaires ;
- La vérification de la réception effective de tous les actes par chacun des redevables devient un point de contrôle essentiel ;
- L’absence de notification ouvre la voie à une contestation utile, même si le client a reçu l’acte.
B. Pour les juridictions et les fiscalistes en contentieux.
- La charge de démonstration du grief est éteinte par cette jurisprudence ;
- La Cour confirme que la régularité de la procédure ne se mesure pas à l’aune de la seule situation individuelle.
L’arrêt du 2 avril 2025 constitue un jalon important dans l’évolution du contentieux fiscal en matière de solidarité. Il confirme que le respect du contradictoire est une exigence de portée collective, dont l’atteinte peut être soulevée par chacun des redevables, indépendamment de sa propre réception des actes.
Dans une logique de protection accrue des droits procéduraux des contribuables, la Cour réaffirme que la solidarité ne saurait justifier un affaiblissement des garanties procédurales fondamentales. Elle rappelle à l’administration que le respect des règles de notification n’est pas une simple formalité, mais une condition essentielle de la validité de la procédure.