Disparition programmée du contentieux de l’inopposabilité devant les juridictions techniques.

Par Marlie Michalletz, Avocat.

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Explorer : # contentieux médical # inopposabilité # juridictions techniques # droit de la sécurité sociale

L’articulation des procédures entre contentieux général et technique implique de s’intéresser aux modalités de communication des pièces médicales distinctes d’un contentieux à l’autre. L’arrêt rendu le 10 mars 2016 apporte des précisions sur la communication de « l’entier rapport médical » devant les juridictions du contentieux technique (n° 14-29.145).
Dans son second chapeau intérieur, la deuxième chambre civile reprend littéralement les termes de l’article R. 143-33 du code précité. Une nuance à l’application de ce texte est apportée : la transmission du rapport d’évaluation des séquelles satisfait à l’obligation de communication qui pèse sur la caisse (A.) à condition que ce rapport permette au médecin consultant désigné en appel de donner un avis sur le taux d’IPP (B.). Deux arrêts rendus le même jour, non publiés au bulletin, intéressent cette question (Cass. 2ème civ., 10 mars 2016 : n° 15-13.431 et 15-16.258).

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A. Définition restrictive de « l’entier rapport médical »

Les pièces médicales présentées par la victime.

Lorsque l’état de santé de l’assuré est consolidé le médecin-conseil de la Caisse le convoque pour évaluer les séquelles résultant de l’accident du travail (AT) ou de la maladie professionnelle (MP). La victime est invitée à porter à la connaissance de ce praticien les documents médicaux y afférents : compte-rendu opératoire, compte-rendu radiologique, prescriptions médicales, etc. Le médecin-conseil rédige un rapport d’évaluation des séquelles sur le fondement de ces pièces et après examen de l’assuré. Aux termes de la discussion médico-légale, ce praticien fixe un taux d’IPP.

L’employeur peut saisir le tribunal du contentieux de l’incapacité pour solliciter la réduction du taux d’IPP et/ou l’inopposabilité de la décision attributive de rente notifiée par la caisse primaire d’assurance maladie. Des dispositions légales et réglementaires encadrent la communication des documents. En application de l’article L. 143-10 du Code de la sécurité sociale, le praticien conseil du contrôle médical transmet « l’entier rapport médical » ayant contribué à la fixation du taux d’IPP au médecin expert ou consultant désigné par la juridiction. A la demande de l’employeur, ce rapport est notifié au médecin qu’il mandate. L’entier rapport médical est défini par l’article R. 143-33 du Code de la sécurité sociale. Il comprend : 1°) L’avis et les conclusions motivées données à la caisse d’assurance maladie sur le taux d’incapacité permanente à retenir ; 2°) les constatations et les éléments d’appréciation sur lesquels l’avis s’est fondé.

La question posée était la suivante : la caisse doit-elle transmettre à l’employeur ou au médecin qu’il a mandaté les pièces médicales présentées par la victime au médecin conseil ? La Cour de cassation approuve la CNITAAT d’avoir répondu par la négative à cette interrogation. Ces pièces ne sont pas détenues par la caisse. Aucune obligation de communication ne pèse sur elle.

La documentation du rapport d’évaluation des séquelles.

L’article R. 143-33 du Code de la sécurité sociale n’impose pas la communication des pièces médicales ayant permis au médecin conseil de rendre un avis, « mais la reprise au sein du rapport d’incapacité permanente partielle des constatations et éléments d’appréciations sur lesquels l’avis est fondé ». En pratique, le médecin-conseil doit documenter son rapport, c’est-à-dire retranscrire les éléments qui lui ont permis de rendre son avis. Le service du contrôle médical n’a pas l’obligation de transmettre les pièces médicales à l’appui desquelles il a rédigé son rapport.

C’est ce qui ressort d’un arrêt rendu également le 10 mars 2016 par la deuxième chambre civile. L’employeur, demandeur au pourvoi, arguait de l’inopposabilité de la décision attributive de rente se fondant sur les dires du médecin expert qu’il avait mandaté : « la caisse n’avait pas transmis un compte-rendu opératoire et les résultats de l’iconographie de l’épaule droite dont le médecin conseil avait dû être en possession pour apprécier le taux d’IPP » (préc. n° 15-16.258). Le pourvoi est rejeté. Les arrêts rendus le 10 mars 2016 constituent un revirement de jurisprudence. Précédemment, la deuxième chambre civile censurait la CNITAAT pour avoir tenu un raisonnement strictement identique (Cass. 2ème civ., 18 juin 2015 : n° 14-19923. – Cass. 2ème civ., 18 déc. 2014 : n° 13-25714). Désormais, elle l’approuve.

B. Appréciation subjective de la transmission de « l’entier rapport médical »

Par le médecin consultant désigné en appel.

La transmission du rapport d’évaluation des séquelles suffit dès lors que le médecin consultant « désigné en appel » est en mesure de donner un avis sur le taux d’IPP. Il revient donc à ce seul praticien d’apprécier la documentation du rapport d’évaluation des séquelles. Pour justifier l’absence de contrôle de sa part, la CNITAAT précise qu’elle « n’est pas destinataire du rapport et n’est pas en mesure d’en vérifier le contenu ». Elle s’en remet donc à l’avis du médecin consultant. Cet avis prime sur ceux émis par le médecin-expert près le TCI et le médecin mandaté par l’employeur. Une telle solution n’est pas satisfaisante surtout lorsque la juridiction dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Appréciation souveraine de la CNITAAT.

La transmission des éléments constitutifs de l’entier rapport médical est laissée à l’appréciation souveraine de la CNITAAT :

« Qu’en l’état de ces constatations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve soumis par les parties, et faisant ressortir que l’entier rapport médical avait été transmis au médecin consultant, la Cour nationale a légalement justifié sa décision ».

« La deuxième chambre civile jugeant que : « sous couvert d’un grief de violation des articles L. 143-10, R. 143-32 et R. 143-33 du code de la sécurité sociale, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion devant la Cour de cassation l’appréciation souveraine, par la Cour nationale, d’une part, de ce qu’il avait été satisfait par le médecin-conseil aux exigences des dispositions susmentionnées, d’autre part, de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve débattus devant elle ». Il revient à la CNITAAT d’apprécier souverainement le respect par le médecin-conseil des exigences posées à l’article R. 143-33 du Code de la sécurité sociale. » (préc., n° 15-16.258).

Le contrôle opéré par la deuxième chambre civile est donc léger. Ce faisant, le droit à un recours effectif de l’employeur n’est plus garanti. L’instauration d’un débat contradictoire suppose la transmission, en eux-mêmes, des « constatations et éléments d’appréciation ». Leur reprise dans le rapport d’évaluation des séquelles est insuffisante : la retranscription impliquant nécessairement une interprétation préalable.

Disparition du contentieux de l’inopposabilité ?

Le contentieux portant sur l’inopposabilité des décisions attributives de rente est voué à se tarir, voire à disparaître. Cette disparition programmée du contentieux ne résulte pas d’une amélioration des pratiques des caisses primaires d’assurance maladie, bien au contraire. La communication des éléments médicaux demeure insuffisante. L’employeur doit contester une décision sans avoir connaissance des pièces qui la justifie. Cette violation manifeste du droit au respect du contradictoire était validée par la CNITAAT ; elle l’est désormais par la deuxième chambre civile.

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