Saisie immobilière et fraude paulienne.

Par Aurélie Poli, Avocat.

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Explorer : # fraude paulienne # saisie immobilière # inopposabilité # démembrement de propriété

Les anciens appellent ça « un beau dossier », les plus jeunes, « une grosse galère ».

Mener à terme une procédure de saisie immobilière sans incident n’est déjà pas chose aisée, mais la situation se complique encore en cas de démembrement de propriété.

En présence d’une inopposabilité paulienne, l’affaire tourne au véritable casse-tête.

Récemment confrontée à un dossier contenant cette problématique, je vais tenter de vous éclairer sur la marche à suivre.

-

Dans l’espèce que j’ai eu à traiter, mon mandant, victime d’une escroquerie, avait déposé une plainte pénale à l’encontre de Monsieur X… aux fins de récupérer les sommes détournées.

Monsieur X… avait été condamné, civilement et pénalement, par le Tribunal correctionnel, puis par la Cour d’appel.

Durant l’instruction de l’affaire et avant le prononcé des décisions précitées, Monsieur X… avait précipitamment donné à son fils, Monsieur Y…, la nue-propriété de l’appartement dont il était propriétaire.

Informé de cette donation indéniablement passée en fraude de ses droits, mon mandant avait saisi le Tribunal de grande instance qui, sur le fondement de la fraude paulienne, avait prononcé l’inopposabilité de l’acte à son égard.

Mon mandant souhaitant diligenter une saisie immobilière pour obtenir le paiement du montant des condamnations prononcées à l’encontre de Monsieur X…, je me trouvais confrontée à une difficulté qui peut se résumer ainsi :
- la nue-propriété du bien appartenait, à l’égard des tiers, à Monsieur Y…,
- l’usufruit du bien appartenait, à l’égard des tiers, à Monsieur X… qui occupait l’appartement,

A l’égard de mon mandant, seul Monsieur X… était propriétaire, la donation faite à Monsieur Y… lui étant inopposable.

Dans ces conditions, le choix de la procédure à mettre en œuvre ne s’imposait pas de manière évidente.

En effet :
- Fallait-il initier une saisie classique uniquement à l’encontre de Monsieur X… ?
- Fallait-il au contraire intégrer Monsieur Y… dans la procédure ?

En d’autres termes : Quel est l’impact de l’inopposabilité paulienne sur la procédure de saisie immobilière ?

Pour répondre rapidement aux questions procédurales soulevées : une procédure de saisie classique diligentée uniquement à l’encontre de Monsieur X… n’était pas envisageable en l’espèce dans la mesure où l’inopposabilité paulienne n’entraine pas la réintégration de la nue-propriété du bien dans le patrimoine du donateur.

En effet, l’article 1167 alinéa 1 du Code Civil offre aux créanciers la possibilité de se faire déclarer inopposables les aliénations et autres actes d’appauvrissement accomplis par le débiteur en fraude de leurs droits.

Or, inopposabilité ne signifie pas nullité.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 30 mai 2006 [1] a précisé que l’inopposabilité paulienne, lorsqu’elle était prononcée, ne permettait pas d’ordonner le retour du bien dans le patrimoine du donateur/apporteur :

« Attendu que l’inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d’une aliénation opérée en fraude de ses droits, afin d’en faire éventuellement saisir l’objet entre les mains du tiers ; d’où il suit qu’en ordonnant le retour des sommes données dans le patrimoine de M. Philippe X..., la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Il ressort de cet arrêt que l’inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant à échapper aux effets d’une aliénation opérée en fraude de ses droits, afin d’en faire éventuellement saisir l’objet entre les mains du tiers.

En l’espèce, Monsieur X… avait donné la nue-propriété de son appartement à son fils, Monsieur Y…, en fraude des droits de mon mandant, Monsieur A….

Or, l’inopposabilité de cette donation à Monsieur A… n’avait pas eu pour effet de faire revenir la nue-propriété du bien en cause dans le patrimoine du donateur, Monsieur X….

Dans ces circonstances, Monsieur A… devait poursuivre le recouvrement de sa créance en saisissant, entre les mains de Monsieur Y…, la nue-propriété du bien.

Cette approche a été récemment reprise dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 février 2013 [2] :

« Qu’en statuant ainsi, alors que l’inopposabilité sanctionnant la fraude paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d’une aliénation opérée en fraude de ses droits, afin d’en faire éventuellement saisir l’objet entre les mains du tiers, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Il ressort donc très clairement de cet arrêt que le créancier à qui un acte a été déclaré inopposable n’a d’autre choix que de saisir le bien entre les mains du tiers détenteur s’il veut obtenir le recouvrement de sa créance.

La Cour d’appel de Paris [3] s’est récemment prononcée sur la procédure à initier en matière de saisie immobilière et a considéré que :

« Considérant que c’est par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour, que le tribunal a retenu que l’action paulienne avait pour seul effet d’entraîner l’inopposabilité au créancier des actes affectés de fraude, lui permettant ainsi, dans la limite de sa créance d’opérer saisie entre les mains du donataire ; qu’il convient donc également de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes du syndicat des copropriétaires tendant à la révocation de l’acte de donation, la réintégration des biens dans le patrimoine de M. Eric D.-H. et la publication au bureau des hypothèques ».

L’exécution forcée immobilière devant être directement intentée contre le donataire, tiers détenteur, Monsieur A… n’avait d’autre choix que d’initier la procédure à l’encontre de Monsieur Y….

En effet, la nue-propriété du bien objet de la saisie n’ayant pas réintégré le patrimoine de Monsieur X…, une saisie classique de la pleine propriété de l’appartement entre ses mains n’était pas possible.

Dans ces circonstances, Monsieur A… devait opérer une saisie à l’encontre de Monsieur Y…, portant sur la nue-propriété du bien, et une autre à l’encontre de Monsieur X…, portant sur l’usufruit de l’appartement.

La traduction procédurale de la phrase qui précède peut se résumer de la manière suivante :
- Deux commandements de payer sont nécessaires ;
- L’assignation à l’audience d’orientation doit être signifiée à l’usufruitier débiteur ainsi qu’au nu-propriétaire tiers détenteur ;
- Le démembrement de propriété doit apparaître clairement dans le cahier des conditions de vente du bien déposé en vue de l’adjudication.

Cette hypothèse ne se présente certes pas tous les jours mais, dans un contexte juridique toujours plus complexe et en présence de délais serrés dont le respect conditionne toute la validité de la procédure, mieux vaut savoir au préalable comment réagir lorsqu’elle se présente à votre cabinet.

Aurélie POLI

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Notes de l'article:

[1Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 30 mai 2006, n°02-13.495, Bulletin 2006 I N° 268 p. 234

[2Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 13 février 2013, N°11-26.878, 11-27.070 et 11-27.166.

[3Cour d’appel de Paris, Pôle 3, chambre 1, 10 octobre 2012, N°11/14572, Jurisdata : 2012-022987.

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Discussions en cours :

  • par REBOUL , Le 1er mars 2016 à 12:00

    merci votre contribution et du partage de vos connaissances

  • par Régis debavelaere Avocat , Le 4 juillet 2015 à 16:53

    Je rencontre la même difficulté

    Je partage le raisonnement, mais l’efficacité passe par l’établissement d’un cahier commun de la vente, en vue de la mise en adjudication du bien saisi, pour la pleine propriété

    La vente séparée de la nu propriété et de l’usufruit, on va au cash, pour le prix.

    Est ce possible, je le crois

    Il reste posée une autre question.

    Les droits de la banque qui a prêté de bonne fois au donataire et qui a l’inscription de premier rang sont ils préservés, ou le prix ira t il en priorité au créancier victime de la donation frauduleuse ?

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