1. Le principe de protection renforcée du salarié en AT/MP.
1.1. Les fondements légaux de la protection.
Le Code du travail établit un régime protecteur spécifique pour les salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Durant la période de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut procéder au licenciement du salarié que dans des circonstances strictement définies [1].
Cette interdiction ne souffre que de deux exceptions limitatives : la faute grave du salarié ou l’impossibilité pour l’employeur de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident.
Toute rupture prononcée en méconnaissance de ces dispositions protectrices est frappée de nullité [2].
1.2. La portée de la suspension du contrat.
La suspension du contrat de travail débute dès la prescription de l’arrêt de travail par le médecin traitant.
Cette suspension s’étend également aux périodes de stage de réadaptation, de rééducation ou de formation professionnelle que doit suivre l’intéressé, conformément à l’avis de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
Le principe s’applique indistinctement aux contrats à durée indéterminée et aux contrats à durée déterminée.
Durant cette période, le salarié conserve certains droits, notamment la prise en compte de la durée de suspension pour la détermination des avantages légaux ou conventionnels liés à l’ancienneté [3].
2. La fin de la protection : le rôle déterminant de la visite de reprise.
2.1. L’obligation de visite médicale de reprise.
La jurisprudence établit de manière constante que seule la visite médicale de reprise met fin à la période de suspension du contrat de travail et à la protection qui en résulte [4].
Cette visite s’impose dans des cas déterminés par le Code du travail, notamment pour toute absence d’au moins 30 jours consécutive à un accident du travail [5].
L’employeur est tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et ne peut laisser un salarié reprendre son travail après un accident du travail sans organiser cette visite obligatoire.
2.2. Les conséquences de l’absence de visite de reprise.
En l’absence de visite médicale de reprise, les dispositions légales protectrices continuent de s’appliquer, même si le salarié a effectivement repris son travail.
La jurisprudence est ferme sur ce point : le contrat demeure suspendu jusqu’à la date à laquelle la visite de reprise a lieu, peu important la reprise effective du travail.
Cette règle peut produire des effets sur une période considérable, comme l’illustre un arrêt où la suspension s’est prolongée pendant environ deux ans en raison du défaut initial d’organisation de la visite de reprise [6].
L’employeur ne peut alors reprocher au salarié une absence injustifiée ou un abandon de poste, le contrat étant toujours suspendu.
3. L’application jurisprudentielle récente : l’arrêt du 14 mai 2025.
3.1. Les faits de l’espèce.
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 14 mai 2025, un chauffeur-livreur avait été victime d’un accident du travail le 12 juin 2019 et placé en arrêt de travail jusqu’au 16 octobre 2019.
Le lendemain de la fin théorique de l’arrêt, soit le 17 octobre 2019, l’employeur avait signifié au salarié qu’il ne souhaitait pas le reprendre à son service.
Le salarié avait alors engagé une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoquant les manquements de son employeur et demandant que cette résiliation produise les effets d’un licenciement nul.
3.2. La position erronée de la cour d’appel.
La cour d’appel de Dijon avait accueilli la demande de résiliation judiciaire mais avait qualifié la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse plutôt que de licenciement nul.
Les juges du fond avaient considéré que la protection contre le licenciement avait cessé à la date de fin de l’arrêt de travail, soit le 16 octobre 2019, rendant la rupture du 17 octobre 2019 postérieure à cette protection.
Cette analyse méconnaissait les principes établis par la jurisprudence de la Cour de cassation concernant la persistance de la protection jusqu’à la visite de reprise effective.
3.3. La censure de la Cour de cassation.
La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant les principes fondamentaux de la protection des salariés en AT/MP.
Elle souligne que la protection contre le licenciement subsiste tant que l’examen de reprise obligatoire avec le médecin du travail n’a pas eu lieu.
En l’espèce, l’arrêt de travail ayant duré plus de 30 jours, une visite de reprise était obligatoire et la cour d’appel aurait dû vérifier si celle-ci avait effectivement eu lieu avant de statuer sur la nature de la rupture.
L’absence de cette vérification constituait une violation des dispositions protectrices et justifiait la cassation de l’arrêt.