Les perspectives d’évolution du contentieux de la faute inexcusable à la suite des nouvelles règles régissant l’action récursoire des caisses.

Par Renaud Deloffre, Conseiller à la Chambre Sociale de la Cour d’appel de Douai.

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Explorer : # faute inexcusable # action récursoire # inopposabilité # sécurité sociale

Le contentieux de l’inopposabilité des décisions de prise en charge des caisses de sécurité sociale vient d’être bouleversé, en matière de faute inexcusable, par deux événements majeurs successifs, à savoir l’introduction d’un nouvel article L.452-3-1 dans le Code de la sécurité sociale puis, surtout, le revirement de jurisprudence constitué par l’arrêt de la deuxième chambre Civile du 30 mars 2016 (n° de pourvoi 14-300015 en cours de publication au Bulletin), revirement qui risque de modifier de manière considérable la physionomie du contentieux de la faute inexcusable en entraînant une diminution drastique du contentieux de l’inopposabilité dont il constituait jusqu’ici une branche fort importante et particulièrement foisonnante.

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Il convient de rappeler que les caisses de sécurité sociale disposent contre les employeurs ayant commis une faute inexcusable d’une action récursoire prévue par l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale en ce qui concerne la récupération, sous la forme prévue par cet article dans ses versions successives, de la majoration de rente d’accident du travail et par l’article L.452-3 du même Code en ce qui concerne les indemnisations complémentaires revenant à la victime sur le fondement de ce texte mais que, jusque l’introduction dans le code d’un nouvel article L.452-3-1, cette action récursoire se heurtait à la reconnaissance de l’inopposabilité à l’employeur des décisions de prise en charge de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle.

Une telle inopposabilité peut être retenue pour des motifs de fond ou de forme.

Les motifs d’inopposabilité de fond correspondent à la prise en charge injustifiée d’une maladie par la caisse dans l’hypothèse où les conditions prévues au tableau ne sont pas remplies.

Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 mai 2013 de la Cour de Cassation
(Cass.2è civ. ; 30 mai 2013, n°12-15501), le délai de prise en charge de sept jours visé au tableau n° 57 était expiré à la date de la première constatation médicale, ce qui a entraîné l’inopposabilité de la décision de prise en charge.

Dans le même registre, l’arrêt de la Cour de Cassation du 16 juin 2011 (Cass 2è Civ., 16 juin 2011, n°10-19932 ) relève que la durée minimum d’exposition au risque requise au titre du tableau n° 30 B n’est pas établie et « qu’ainsi la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie nécessitait qu’il soit établi aux termes de l’article L. 461-1 précité, que celle-ci a été directement causée par le travail habituel de la victime, l’avis préalable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles étant exigé par ce texte  » et elle en déduit l’inopposabilité de la décision de prise en charge.

De même, est inopposable la prise en charge sans saisine préalable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles s’agissant de travaux non visés au tableau 30 Bis (Cass 2è civ., 19 déc 2013, n°12-28724 ) .

Les motifs d’inopposabilité de forme tiennent quant à eux aux irrégularités commises par la caisse tant en ce qui concerne la phase d’instruction du dossier que la phase de consultation de ce dernier par l’employeur.

En ce qui concerne la phase d’instruction, il convient de rappeler qu’elle est obligatoire pour la caisse en matière de maladies professionnelles et, en cas de réserve motivées de l’employeur, en matière d’accident du travail.

Les irrégularités de procédure commises lors de cette phase peuvent consister en l’absence d’organisation d’une mesure d’instruction, alors qu’elle était obligatoire, ou en l’absence de respect du contradictoire dans la mise en œuvre de cette mesure.

Tel est le cas lorsqu’en matière de déclaration de maladie professionnelle ou de déclaration d’accident du travail accompagnée de réserves motivées de l’employeur, la caisse n’a pas adressé de questionnaire à l’employeur et au salarié ou procédé à une enquête auprès des intéressés conformément aux prescriptions de l’ancien article R.441-11 alinéa 2 pour les procédures d’instructions engagées avant le 1er janvier 2010 et du nouvel article R.441-11 III pour celles postérieures, la Cour de cassation, en déduisant que le principe du contradictoire n’a pas été respecté à l’égard de l’employeur ce qui justifie l’inopposabilité de la décision de prise en charge (Cass 2è civ 23 janvier 2014, n°12-35003 et plus récemment Cass 2è civ 26 mai 2016, n°15-18.955).

En ce qui concerne la phase de consultation du dossier par l’employeur, il convient de rappeler qu’elle est organisée par l’article R.441-11 alinéa 1 du Code de la sécurité sociale et, depuis la réforme résultant du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 relatif à la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et maladies professionnelles, par l’article R.441-14 alinéa 3 du même code, les deux textes prévoyant selon des modalités différentes l’obligation pour la caisse d’aviser l’employeur de la clôture de la procédure d’instruction et de la possibilité de venir consulter le dossier et de lui faire parvenir ses observations avant l’intervention d’une décision sur la prise en charge.

L’on mentionnera également que l’obligation à la charge de la caisse de permettre à l’employeur de consulter le dossier est également prévue par la jurisprudence de la Cour de Cassation au visa des articles L.461-1, D.461-29 et D.461-30 du Code de la sécurité sociale avant transmission du dossier au CRRMP (Cass.2è civ. ; 7 juillet 2016 n°15-18.681).

Les deux cas d’inopposabilité de forme se réfèrent donc à des manquements bien distincts de la caisse commis à des stades différents du traitement de la déclaration d’accident du travail ou de la maladie professionnelle.

L’inopposabilité pour non-respect des règles tenant à l’instruction des dossiers sanctionne l’absence de mise en œuvre de la procédure d’instruction par la caisse ou l’absence de respect du contradictoire par la caisse lors de la mise en œuvre de cette instruction tandis que l’inopposabilité pour non-respect de son obligation d’information de l’employeur par la caisse correspond à l’hypothèse dans laquelle la caisse aurait transmis le dossier au CRRMP sans en permettre la consultation par l’employeur et surtout à l’hypothèse dans laquelle la caisse a mis en œuvre une procédure d’instruction mais n’a pas informé l’employeur, conformément aux prescriptions du texte applicable, de la clôture de cette procédure et de la possibilité de venir consulter le dossier dans ses services dans le délai imparti.

L’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale introduit dans ce code par l’article 86 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 et applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant les tribunaux de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, prévoit que « quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3. »

Il résulte clairement de ce texte qu’en cas d’inopposabilité pour manquement de la caisse à son obligation d’information, cette dernière conserve son action récursoire contre l’employeur.

Le libellé du texte amène à retenir que lorsque n’est pas en cause l’application des dispositions précitées des articles R.441-11 alinéa 1 puis R.441-14 alinéa 3 organisant l’information de l’employeur, la décision d’inopposabilité continue d’entraîner la perte de son action récursoire par la caisse.

L’on pouvait donc penser que si l’entrée en vigueur du nouveau texte était de nature, en matière de faute inexcusable, à tarir le contentieux de l’inopposabilité des décisions de prise en charge des caisses à raison de leurs manquements à l’obligation d’information de l’employeur prévue par les articles précités, il n’en irait pas de même en ce qui concerne les inopposabilités de forme au titre des irrégularités commises par les caisses au stade de l’instruction des dossiers ni en ce qui concerne les irrégularités de fond tenant à la prise en charge injustifiée

Dans l’arrêt du 31 mars 2016, qui est destiné à être publié au Bulletin, la Cour de Cassation modifie sensiblement les perspectives que l’on pouvait dégager à la lecture du texte précité.

La Cour y indique que « l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge, par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, qui est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle  ».

Il convient de relever que dans l’affaire faisant l’objet du pourvoi, l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur avait été engagée le 2 septembre 2011 devant le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale et que les dispositions de l’article L.452-3-1 du Code de la sécurité sociale ne s’appliquaient pas, ce nouveau texte ne concernant que les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduite devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013.

Il s’ensuit que la Cour de Cassation a entendu poser la règle générale selon laquelle les irrégularités de procédure ne privent pas la caisse de son action récursoire et que cette règle générale se substitue en quelque sorte, pour les actions concernées, aux dispositions de l’article L.453-2-1 dont on peut penser qu’elle les rend sans objet.

Il convient de relever que la formulation retenue par la Cour de Cassation ne fait pas référence, comme l’article L.452-3-1 du Code, aux irrégularités commises par la caisse dans l’information de l’employeur mais, de manière générale, aux irrégularités de procédure.

L’on peut donc penser, au vu de cette formulation, que toutes les irrégularités de procédure commises par la caisse laissent subsister l’action récursoire de cette dernière, qu’elles résultent de la méconnaissance par elle des règles d’information de l’employeur posées par les articles R.411-11 puis R.411-14 du Code de la sécurité sociale mais également de ses obligations en matière d’instruction des dossiers.

L’on peut également penser, au vu de la même formulation de l’arrêt, que les inopposabilités des décisions de prise en charge pour des motifs de fond tirés de l’absence d’une ou plusieurs des conditions requises par un tableau des maladies professionnelles continuent à faire obstacle à l’action récursoire de la caisse, la réponse positive semblant s’inférer de l’expression « irrégularité de procédure » employée par la Cour de Cassation puisque l’absence d’une des conditions en question ne semble pas devoir s’analyser en une telle irrégularité.

Quoi qu’il en soit des interrogations qui pourraient encore se poser sur la portée de l’arrêt précité, il apparaît certain que les nouvelles règles posées en la matière vont considérablement diminuer l’intérêt pour les employeurs d’effectuer une contestation de l’inopposabilité des décisions de prise en charge dans le but de faire obstacle à l’action récursoire des caisses en matière de recouvrement par ces dernières des indemnisations complémentaires versées aux victimes de fautes inexcusables.

Certes, le contentieux de l’inopposabilité ne disparaîtra pas pour autant puisque la nouvelle jurisprudence de la Cour de Cassation est limitée au contentieux de la faute inexcusable et n’affecte pas les conséquences de l’inopposabilité des décisions prises par les caisses sur l’inscription des coûts moyens correspondants au compte employeur.

Il n’en demeure pas moins que cette nouvelle jurisprudence risque de modifier de manière considérable la physionomie du contentieux de faute inexcusable en entraînant une diminution drastique du contentieux de l’inopposabilité dont il constituait jusqu’ici une branche fort importante et particulièrement foisonnante.

Renaud Deloffre
Conseiller à la Chambre Sociale de la Cour d’Appel de DOUAI
Docteur de troisième cycle en sciences juridiques

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  • Bonjour,

    Voila je viens vers vous car j’ai eu 4 accidents du travail , donc un ou j’ai du subir une intervention avec complication d’une algodystrophie et depuis 1 mai 2015 je suis en invalidité seconde catégories. je vous donne les dattes de mes accidents un en 2005 , 2007 , 2008 et le dernier mai 2009 opération en juillet 2009 pour l"accident du 05/11/2008. Mon employeur m’a licenciée en juillet 2013 ,suis a cet opération la CPAM a consolidée en 2012 et je reçois une rente tout les trimestres . Par contre concernant la faute inexcusable de l’employeur la CPAM na rien fais , et je ne comprend pas a ce jour . J’ai envoyé mon employeur au prud’homme et en appel a DOUAI ou j’attend le délibéré le 29 septembre 2017, j’ai un avocat bien-sur et celui si m’a dit qu’il ne s’occupais pas de la faute inexcusable .J’aimerai savoir vers qui aller pour mes droits.
    Je vous remercie vivement de me répondre.
    Cordialement

    Madame JACOB Marie

    • par TRIBOUT , Le 20 décembre 2024 à 08:09

      Bonjour,
      Tout d’abord, merci pour les articles commentés de Monsieur Renaud DELOFFRE.
      On parle du respect du contradictoire, d’inopposabilité, d’action récursoire, vis à vis de la Caisse et de l’employeur.
      Mais quand est-il, en matière de reconnaissance de maladie professionnelle, du non-respect du principe du contradictoire de la caisse envers la victime, résultant ensuite à l’inopposabilité de la faute inexcusable à l’employeur, et de l’impossibilité de l’action récursoire de la Caisse envers l’employeur ?
      Est-ce qu’il existe des articles sur le sujet et des jurisprudences montrant les fautes de la Caisse envers la victime et des arguments appropriés pour la victime pour se défendre auprès de la Cour, contre la Caisse et l’employeur ?
      Merci de bien vouloir me répondre.
      Prenez soin de vous. Patrice TRIBOUT.

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