Les titulaires des droits d’exploitation sur la photographie reproduite ci-dessus l’avaient déposée à titre de marque communautaire en janvier 2002 [3], pour désigner des produits et services des classes 16 (articles de papeterie et photographies), 25 (vêtements) et 41 (services en lien avec l’éducation et le divertissement). Ayant découvert que la photographie apparaissait en fond de scène lors d’un concert du groupe français Trust qui était commercialisé sur DVD, ils actionnèrent le producteur en contrefaçon de leurs droits patrimoniaux, sur le fondement du droit d’auteur, et en contrefaçon de marque [4].
Dans le cadre de cette dernière action, infirmant en cela le jugement du tribunal, la cour d’appel avait accueilli la demande reconventionnelle en nullité formée par le producteur, estimant que la marque en cause était dépourvue de caractère distinctif. Les juges du fond avaient notamment pris soin de rappeler "que l’exigence de distinctivité intrinsèque du signe déposé est ainsi autonome par rapport à l’exigence d’une absence de caractère descriptif ; que la distinctivité d’un signe ne se déduit pas de son absence de caractère descriptif ; qu’elle suppose en application de la jurisprudence communautaire et nationale, que le signe déposé ait l’aptitude à remplir la fonction qui est celle de la marque ; qu’il permette donc au consommateur de distinguer les produits par leur entreprise d’origine et qu’il lui garantisse ce faisant, l’identité et l’origine du produit ou du service concerné".
Appliquant ce raisonnement (encore relativement rare en jurisprudence française, contrairement à la jurisprudence communautaire) à la marque constituée de la seule photographie du Che, la cour en avait déduit que, bien qu’arbitraire par rapport aux produits et services désignés, elle serait perçue comme "une sorte d’icône, une photo emblématique d’un personnage historique et à travers le destin tragique de celui-ci, d’une époque de l’histoire contemporaine". Elle en conclut, fort justement à notre sens, "que le consommateur concerné […] percevra la marque communautaire litigieuse non pas comme un signe lui désignant l’origine des produits ou services auxquels il s’intéresse, mais comme une référence faite, à des fins politiques ou artistiques à l’œuvre de [Korda] qui magnifie Che Guevara ; qu’en d’autres termes la perception de cette photo par le consommateur est exclusive de son utilisation pour désigner à ses yeux l’origine des produits et services pour lesquels elle a été enregistrée" [5].
Les demandeurs déboutés cherchèrent à contester cette décision devant les juges du droit, selon un moyen qui, selon nous, trahissait quelque peu les motifs de la cour d’appel. Ils estimaient que la cour avait déduit le défaut de caractère distinctif de la marque invoquée du seul fait que la photographie qu’elle reproduisait à l’identique avait reçu un écho mondial et serait donc évocatrice d’un personnage historique et d’une époque de l’histoire contemporaine.
Mais la Cour de cassation rejeta le pourvoi, s’appuyant en cela sur la motivation très complète, et selon nous irréprochable en droit, de la cour d’appel, car celle-ci avait bien "examiné la marque tant par rapport à la perception qu’en avait le public pertinent que par rapport aux produits et services pour lesquels elle était enregistrée, pour en déduire qu’elle était dépourvue de tout caractère distinctif".
Ernesto Guevara n’aurait peut-être pas renié cette décision qui, au final, privilégie le message politique révolutionnaire, véhiculé par la photographie qui lui a donné un visage, à la récupération de son image à des fins commerciales.