Cette décision revêtait une importance particulière, dès lors que pour la première fois, la CJUE était amenée à préciser la notion de « Service de médias audiovisuels à la demande » (Smad), notion essentielle dès lors qu’elle conditionne le champ d’application de la directive « Service de médias audiovisuels » (SMA) 210/13/UE.
C’est dans le sens d’une interprétation large de la notion que la CJUE avait semblé trancher.
Certes, les autorités de régulation nationales de l’audiovisuel, à commencer par le CSA français lui-même [2], n’avaient pas attendu la Cour de justice pour adopter une interprétation relativement large de la notion, de manière à appréhender différents types de services vidéo en ligne.
Cependant, le CSA n’avait encore jamais, à notre connaissance, pris de mesures à l’encontre d’une chaîne YouTube sur ce fondement.
C’est désormais chose faite avec la décision du 3 novembre 2016, par laquelle le CSA a mis en garde la chaîne YouTube « Les recettes pompettes by Poulpe », la désormais célèbre adaptation web de l’émission de télévision canadienne éponyme, jugeant que ce programme était constitutif d’une propagande en faveur de la consommation d’alcool contraire à l’article L3323-2 du Code de la santé publique.
Cette décision se révèle particulièrement intéressante en ce qu’elle illustre parfaitement le phénomène de convergence des médias. Rappelons en effet que Monsieur Poupe s’est fait connaître dans le cadre du collectif Studio Bagel, collectif de jeunes comédiens humoristes Youtubers, producteur de cette émission et éditeur de la chaîne Youtube du même nom. Fort de son succès en ligne, Studio Bagel est racheté en 2014 par le groupe Canal Plus, qui a mis les membres de ce collectif - et Monsieur Poulpe lui-même - à l’honneur sur ses antennes.
Or, cette mise en garde du CSA démontre qu’à cette convergence des contenus et des acteurs, il entend bien répondre par la convergence des réglementations.
En effet, c’est vraisemblablement dans l’espoir de contourner la loi Evin, qui interdit la propagande en faveur de l’alcool à la télévision, qu’il a été décidé que le programme serait uniquement diffusé sur une chaîne YouTube, à la différence de l’émission québécoise, quant à elle diffusée à la télévision.
Le CSA a donc saisi cette occasion pour démontrer qu’il n’est pas si aisé de contourner la législation.
Rappelons en effet que l’émission « Les recettes pompettes by Poulpe » génère en moyenne un million de vues sur YouTube. Dans ces conditions, il devient difficile de justifier une plus grande tolérance par rapport à la télévision, alors que les émissions diffusées par les chaînes de télévision ne bénéficient pas toujours de telles audiences.
Cette décision du CSA intervient dans un contexte de révision de la Directive SMA/2010/13/UE. La Commission européenne a déjà déposé une première proposition de Directive [3], qui a notamment pour objectif de prendre en compte les mutations récentes du secteur des médias, et notamment la convergence.
Or, il ressort clairement de cette proposition que l’univers télévisuel n’est plus le seul point d’ancrage de cette réglementation et que les producteurs/éditeurs de vidéos sur le web font l’objet d’une attention croissante du législateur [4].
Ce ne devrait être qu’un début.