Fumer au cours de l’émission Rive Droite diffusée par Paris Première n’est pas un délit.

Par Julien Grosslerner, Avocat, et Victoria Aknin, Élève-avocat.

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Explorer : # tabac # télévision # publicité # législation

Vers un retour des plateaux enfumés de Michel Polac ?

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Le 21 février 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé une décision rendue à l’encontre de la chaîne Paris Première, et ce faisant a indirectement autorisé la présence de la cigarette sur un plateau de télévision [1].

Lors de l’émission Rive Droite du 9 novembre 2011, les invités du présentateur Guillaume Durand – Virginie Effira, Benjamin Biolay et Philippe Tesson – avaient été filmés en train de discuter autour d’un dîner – format de l’émission – certains invités fumant également des cigarettes. L’association de lutte contre le tabagisme « Droits des Non-Fumeurs » avait alors fait citer devant le tribunal correctionnel de Paris la présidente de la chaîne et le directeur de la publication du site sur lequel l’émission était diffusée en replay, pour publicité illicite en faveur du tabac.

Pour rappel, depuis l’adoption de la loi Evin en 1991, il est interdit de faire de la publicité, directe ou indirecte, pour le tabac en vertu de l’article L.3511-3 du Code de la santé publique (devenu l’article L.3512-4) ; de même que de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (article L.3512-8 du CSP aujourd’hui).

Il faut également noter que sur la base de ces articles et de la loi de 1986 sur la liberté de la communication, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a pris une délibération sur le sujet, les deux législations se complétant.

Ainsi, aux termes de sa délibération du 17 juin 2008 [2], le CSA a considéré qu’« il est possible de faire apparaître des produits du tabac ou des personnes en consommant [dans les journaux télévisés, les émissions d’information ou les documentaires], sous réserve que ces images ne soient pas promotionnelles et qu’elles ne puissent être assimilées à de la propagande » - les autres formats TV, l’émission dite de plateau notamment, semblant être exclus a priori. Le CSA estime par ailleurs que l’interdiction de fumer sur un plateau TV se fonde sur l’interdiction de propagande mais également sur l’interdiction de fumer dans un lieu collectif.

Le CSA a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la consommation de tabac à la télévision, notamment à l’occasion d’une émission du Petit Journal de Yann Barthès en 2011. Le présentateur avait démarré son émission en fumant une cigarette avec Catherine Deneuve.

Pour le CSA, la diffusion à l’antenne de la consommation d’un produit du tabac « promue par son association à l’image d’une artiste renommée » avait constitué un acte de propagande, et valu une mise en demeure à la chaîne Canal+ de respecter les dispositions légales concernées [3]. Il est vrai que l’animateur valorisait ironiquement la qualité relaxante de la cigarette, même si cela ne ressort pas de la décision.

Dans l’affaire Rive Droite, l’association a préféré se placer sur le terrain du droit pénal, peut-être perçu comme plus signifiant que la procédure devant le CSA.

En première instance, le tribunal correctionnel avait relaxé les prévenus en estimant que « les faits critiqués n’avaient pas eu vocation de valoriser la consommation du tabac ni d’inciter le spectateur à céder à une telle consommation », et en relevant que les propos échangés avaient été étrangers à l’action de fumer, et n’avaient évoqué ni une marque de cigarette ni le plaisir lié à l’action de fumer.

La cour d’appel de Paris avait pour sa part condamné la chaîne Paris Première. Selon elle, « dans le contexte particulièrement festif de ce dîner, la séquence donnant lieu à la visualisation de trois personnes d’une certaine notoriété consommant du tabac en cours de repas et dont l’action de fumer s’inscrivait dans un moment de plaisir, a été de nature à constituer la diffusion d’images participant à la promotion du tabac et de propagande illicite, et ce même en l’absence de tout propos ou expression complémentaire valorisant cet instant ».

Ce raisonnement n’a pas été suivi par la Cour de cassation, qui a procédé à une cassation sans renvoi de l’arrêt d’appel. Pour la chambre criminelle, « le seul fait de montrer des personnes dans une émission en train de fumer ne constitue pas une publicité prohibée en faveur du tabac ».

Cette décision peut sembler surprenante au regard de la sévérité usuelle dont cette chambre a déjà pu faire preuve, notamment dans un arrêt du 18 mai 2016, certes dans contexte différent, celui d’une revue d’amateurs de cigare et non dans le cadre télévisuel [4].

Le CSA aurait-il eu une position plus stricte, considérant à l’instar de la cour d’appel, que voir des célébrités fumer dans un cadre festif est une forme de propagande ? Ou que la table des convives – sorte de plateau intimiste et sans public – aurait pu être considérée comme un lieu à usage collectif, comme n’importe quel plateau ?

Il sera quoi qu’il en soit intéressant de voir si cette décision de la Cour de cassation entraînera un assouplissement de la part de chaînes TV à ce sujet et si l’on risque de voir revenir les plateaux enfumés de la mythique émission de débat Droit de Réponse.

Dans un registre voisin, il sera également intéressant de voir la réaction du CSA à la dernière provocation de la chaîne YouTube « Les Recettes Pompettes ». La chaîne, déjà dans le viseur de l’autorité de régulation, a diffusé le 9 février dernier une séquence durant laquelle l’animateur et son invité, Guillaume Canet, fument un joint sur le plateau – vraisemblablement un pied de nez au CSA qui avait mis en garde la chaîne contre la diffusion de séquences de propagande en faveur de la consommation d’alcool (voir à ce sujet notre article du 4 janvier 2017).

Julien GROSSLERNER
Avocat au barreau de Paris

Victoria AKNIN
Elève-avocat

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Notes de l'article:

[1Cass. crim., 21 février 2017, n°15-87688.

[2CSA, délibération du 17 juin 2008 relative à l’exposition des produits du tabac, des boissons alcooliques et des drogues illicites à l’antenne.

[3CSA, décision n°2011-1132 du 11 octobre 2011 mettant en demeure la société d’édition de Canal Plus.

[4Cass. crim., 18 mai 2016, n°15-80922.

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