« Modernisation » du marché du travail : le licenciement conventionnel, entre espoirs et réalité.

Par Frédéric Matcharadzé, Avocat.

5300 lectures 1re Parution: Modifié: 4.33  /5

Explorer : # rupture conventionnelle # inégalité des parties # droit du travail # réforme

1. Un retour aux bases du droit des contrats : le mutus dissensus. Ce que les parties ont fait, elles sont libres de le défaire de par leur consentement mutuel. Tel était l’objet poursuivi – entre autres - par le projet de loi baptisé pompeusement Modernisation du marché du travail.

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Exercice périlleux : les règles fondamentales du droit des contrats ont été élaborées dans le naïf espoir d’une égalité entre les parties à la négociation, afin que chacune d’entre elles en retire un avantage ; une situation absolument exclue en droit du travail.

Plusieurs mécanismes de rupture négociée ont tout de même été tentés : la transaction, qui intervient nécessairement après le litige (et dont la pratique révèle de très nombreux risques), et même le départ négocié, créé comme mode de rupture autonome par la Cour de cassation, sans avoir eu, loin s’en faut, le succès des modes créés postérieurement (résiliation judiciaire et prise d’acte de la rupture).

La greffe n’a pourtant jamais pris, et ces mécanismes ne sont utilisés que de manière résiduelle, en raison de l’écueil évoqué plus haut : l’inégalité flagrante entre les parties à la négociation.

Les contractants ont imaginé d’autres pratiques, notamment celle consistant pour le salarié à commettre une faute qui sera qualifiée de grave par l’employeur (abandon de poste par exemple), celui-ci « s’engageant » à indemniser l’employé par le biais d’une indemnité transactionnelle. Rien n’obligeant juridiquement l’employeur à s’exécuter, et la faute étant constituée, cette pratique nécessite une certaine confiance du salarié…

2. C’est dans ces conditions que se présente la rupture conventionnelle, présenté comme l’un des éléments phares de la réforme. L’analyse ci-dessous se base toutefois sur le projet, tel qu’il se présentait après le vote en première lecture par les sénateurs.

Ce projet prévoit ainsi la possibilité pour le salarié et l’employeur de convenir d’une rupture consensuelle, par la conclusion d’une convention négociée après un ou plusieurs entretiens. Il n’est plus besoin pour le donneur d’ordres d’invoquer l’existence d’une cause réelle et sérieuse ; celle-ci est de fait remplacée par l’existence d’un consentement mutuel. S’agissant des représentants du personnel, l’employeur devra préalablement demander l’autorisation auprès des services de l’Inspection du travail.

Cette rupture ouvre droit, pour le salarié bénéficiant d’une ancienneté d’au moins un an, au paiement de l’indemnité légale de licenciement, dans les conditions prévues à l’article L 1234-9 du Code du travail, d’application immédiate. Le montant de celle-ci équivaut à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté.

D’autre part, il percevra les prestations de chômage versées par l’Assédic, après homologation de la convention.

En effet, l’une ou l’autre des parties pourra se rétracter dans les 15 jours de la signature de l’acte ; à l’expiration de ce délai, l’une ou l’autre devra transmettre la convention à « l’autorité administrative compétente », donc l’Inspection du travail, qui est tenue de s’assurer dans un délai de 15 jours du « respect des conditions prévues et de la liberté de consentement des parties ». La convention ne sera homologuée et considérée comme définitive et valable qu’à l’issue de ce contrôle.

3. Il convient d’apporter d’importantes réserves à ce mécanisme.

Tout d’abord, comme nous l’avons évoqué plus haut, le problème de l’inégalité entre les parties demeure un écueil fondamental. Comment s’assurer que le salarié dispose d’une connaissance de ses droits pleine et entière, et que son consentement est libre et éclairé ? Comment éviter que l’employeur n’abuse de la situation du salarié, en procédant à des licenciements déguisés qui auraient du être qualifiés de ruptures sans cause réelle et sérieuse ? Qu’est-ce qui empêchera ainsi l’employeur d’échapper aux obligations contraignantes du licenciement économique, en octroyant « généreusement » une indemnité majorée au salarié concerné, qui ne bénéficiera d’aucune proposition de reclassement, ni d’une CRP ?

Jusqu’à présent, il avait été mis l’accent sur l’existence d’une négociation et d’une conciliation après que la rupture soit définitivement intervenue, devant le Bureau de conciliation du Conseil de prud’hommes. Les conseillers devaient ainsi s’assurer, en cas d’accord, que les parties connaissaient leurs droits.

Désormais, la négociation aura lieu avant la rupture, entre deux parties très fortement inégalitaires. L’employeur ayant très souvent recours a un avocat, le fait qu’il propose lui-même une rupture conventionnelle permet de douter de la validité du licenciement qui aurait été prononcé en lieu et place. Par ailleurs, le contrôle de la validité du consentement sera à présent effectué par des services administratifs déjà surchargés, et qui ne disposerons pour cela que d’un délai de quinze jours. Notons que le projet prévoit que la convention sera réputée homologuée en cas d’absence de réponse de l’administration au-delà d’un délai de 15 jours : c’est dire si l’absence pure et simple de contrôle a déjà été prévue…

Par ailleurs, on peut s’interroger sur les conséquences qu’entraînera la modification de l’autorité de contrôle. En effet, la validité du consentement sera appréciée par des services administratifs composés de professionnels du droit, ce qui vient en contradiction totale avec l’histoire et la nature très particulières de la juridiction prud’homale, composée quant à elle de salariés et d’employeurs. Ceux-ci ont sans nul doute une vision bien différente du respect des droits des parties à la convention. L’évolution « naturelle » du droit du travail en sera très probablement affectée, puisque les revirements importants et réguliers que connaît la matière sont permis par la composition très originale de ses « législateurs », les conseillers prud’hommes, qui sont des personnes confrontées directement aux difficultés quotidiennes du monde du travail.

Enfin, relevons que les sénateurs viennent de modifier le projet, en votant un amendement disposant que le Conseil de prud’hommes, saisi d’un litige relatif à une convention de rupture, statuerait en premier et dernier ressort : cela signifie que la seule voie de recours contre le jugement sera un pourvoi en cassation, l’appel étant exclu.

Le but de la réforme semble donc de « déjudiciariser » le contentieux du licenciement, en laissant aux personnes concernées le soin de régler elles-mêmes leur différend. C’est faire fi de l’inégalité qui existe entre leurs situations respectives, d’autant plus que désormais, le juge ne viendra plus au secours de la partie « abusée ». On peut, dans ces circonstances, rester dubitatif sur la préservation des droits des salariés entraînée par cette loi. Ou l’on peut simplement constater que « modernisation du marché du travail » ne rime par forcément avec « progrès social »…

Frédéric Matcharadzé.
f.matcharadze chez saric-avocats.fr

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