Quand un haut magistrat devient avocat. Interview de François Falletti.

Quand un haut magistrat devient avocat. Interview de François Falletti.

Propos recueillis par Laurine Tavitian
La rédaction du Village de la Justice

François Falletti, ancien Procureur général de la Cour d’appel de Paris a décidé de devenir avocat après avoir effectué toute sa carrière dans la magistrature. Après avoir occupé des postes prestigieux, vécu des expériences à la fois passionnantes et enrichissantes, il rejoint à Lyon les équipes du cabinet d’avocats Carlara. Retour avec lui sur sa carrière et sa réflexion autour de ces deux professions.

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Pourquoi avez-vous souhaité devenir magistrat ?

J’avais pensé initialement à une carrière d’universitaire mais j’ai trouvé intéressante la synthèse que constituait le métier de magistrat entre l’affirmation du droit, l’analyse juridique et l’immersion dans l’action en tant qu’acteur judiciaire. J’ai ainsi présenté le concours de la magistrature et j’ai suivi le cursus de l’E.N.M. (Ecole nationale de la magistrature).

Pouvez-vous revenir sur votre carrière de magistrat et le poste qui vous a le plus intéressé ?

C’est une carrière riche, difficile à résumer en quelques phrases. Disons que j’ai fait plusieurs métiers en un, c’est ce qui m’a le plus séduit. Tous les postes que j’ai occupés m’ont apporté leur lot d’expérience à un moment donné et je n’en privilégierai aucun à cet égard. J’ai passé l’essentiel de ma carrière au Parquet (ministère public). Mon poste de début a été celui de substitut au parquet de Lyon. C’étaient des fonctions extrêmement riches et instructives.

Disons que j’ai fait plusieurs métiers en un, c’est ce qui m’a le plus séduit.

Ensuite, j’ai longtemps exercé comme légiste au ministère de la justice où je participais à la rédaction de la loi et des décrets. C’était encore une très belle expérience pour quelqu’un qui aime le droit. Puis, j’ai été directeur des affaires criminelles et des Grâces. J’ai trouvé que c’est l’un des plus beaux postes qu’on puisse occuper en administration centrale. C’est une fonction vraiment passionnante dans laquelle je me suis beaucoup épanoui. Ensuite, j’ai été plusieurs fois Procureur général, à Lyon, puis à Aix en Provence, fonctions qui m’ont passionné. Pour finir, le poste de Procureur général de la Cour d’appel de Paris a représenté une expérience tout à fait exceptionnelle, notamment en raison des compétences nationales de la cour dans des domaines comme le terrorisme, les crimes contre l’Humanité, les recours à l’encontre des Décisions des Autorités de régulation de la vie économique ou encore la création du parquet national financier… J’ai aussi été 4 années représentant de la France à Eurojust, c’est-à-dire le collège des procureurs européens basé à La Haye aux Pays-Bas, qui a constitué aussi une très belle expérience internationale cette fois.

Pourquoi avez-vous décidé de changer de carrière et de devenir avocat ?

La Cour de cassation est un échelon essentiel de décision sur la jurisprudence mais j’aime bien construire des dossiers, anticiper le déroulement des affaires.


J’aurais pu continuer 2 ans de plus à la Cour de cassation mais de toute façon pas très longtemps en raison de la limite d’âge des magistrats. J’apprécie le côté très vivant de la construction des dossiers. La Cour de cassation est un échelon essentiel de décision sur la jurisprudence mais j’aime bien construire des dossiers, anticiper le déroulement des affaires. J’ai toujours pratiqué ainsi comme parquetier et je trouve intéressant de le faire avec un regard différent en tant qu’avocat.

Qu’est-ce qu’un haut magistrat peut apporter à un cabinet d’avocats ?

Je pense apporter une vision complémentaire des fonctionnements judiciaires et juridictionnels. Cela peut aider à éviter les mauvaises compréhensions ou interprétations de certaines décisions ou procédures judiciaires et à définir une stratégie pour un dossier.

Pourquoi êtes-vous pour un rapprochement des professions d’avocat et de magistrat ?

Ces attitudes doivent toujours laisser place au respect mutuel car il n’y a pas de justice sans magistrat, et il n’y a pas non plus de justice sans avocat.


Ce sont deux professions qui se côtoient tous les jours et qui sont soumises à certaines exigences communes. Au-delà du Droit pur, un contact humain s’établit nécessairement à l’occasion des audiences. Bien sûr, dans le cadre du contentieux, on s’oppose. Pour autant, ces attitudes doivent toujours laisser place au respect mutuel car il n’y a pas de justice sans magistrat, et il n’y a pas non plus de justice sans avocat. Chacun apporte sa contribution à une œuvre commune. Voilà des personnes qui se sont côtoyées à la faculté, qui se séparent au stade de la formation initiale et qui se retrouvent dans des contextes très différents : d’un côté, l’administration de la justice et de l’autre, une profession libérale.
Je suis convaincu que de nombreux besoins de connaissance mutuelle se font jour.

Est-ce que vous pensez à un rapprochement de ces professions au niveau de la formation ou au niveau de l’exercice professionnel ?

Il y a deux niveaux, le niveau de la formation continue et celui de la formation initiale. Je crois qu’il faut développer des espaces pour l’approfondissement des questions juridiques ou des questions de bonnes pratiques y compris de déontologie dans le cadre de la formation continue. C’est certain. Cela a déjà commencé. Quand j’étais à la Cour d’appel de Paris, un important travail se faisait en commun dans le cadre de la formation continue du barreau. Il faut encore le renforcer en lien avec l’ENM. Il y a encore beaucoup à faire. Au stade de la formation initiale, c’est un peu plus compliqué car nous vivons en France sur des mécanismes assez cloisonnés, et il faut que chacun apprenne son propre métier au mieux dans un temps limité. On gagnerait surement à développer ces relations au-delà de ce qui se fait déjà.

Au Canada, il faut avoir été avocat pendant un certain nombre d’années pour devenir magistrat. Pensez-vous que c’est une bonne solution ?

Les passerelles à renforcer ne peuvent l’être que de façon bien réfléchie dans une approche plus large dans l’intérêt des deux métiers.


Rien n’est figé, mais c’est aujourd’hui un système qui n’est pas le nôtre. En France, nous recrutons la grande majorité des magistrats directement à la sortie de l’ENM. Pour autant, la démarche que vous évoquez existe déjà avec la procédure d’intégration directe dans la magistrature. On pourrait sans doute la développer davantage mais il faut qu’on soit certain que la magistrature offre toujours une capacité d’attraction suffisante pour des éléments de qualité à tous les stades de la vie professionnelle, alors que, par exemple, au bout de quelques années d’exercice, on est normalement en plein développement de son cabinet. Ce n’est pas si simple à envisager. Les passerelles à renforcer ne peuvent l’être que de façon bien réfléchie dans une approche plus large dans l’intérêt des deux métiers.

Pourquoi ce rapprochement pourrait être bénéfique au justiciable ?

Je crois qu’on a toujours intérêt à mieux se connaître, à s’écouter et que c’est dans l’intérêt du justiciable véritablement.


Je crois qu’on a toujours intérêt à mieux se connaître, à s’écouter et que c’est dans l’intérêt du justiciable véritablement. L’intérêt du justiciable c’est d’arriver à une solution de son litige. Est-ce que l’ignorance ou l’insuffisante connaissance est le meilleur moyen de servir le justiciable, je n’en suis pas du tout convaincu, bien au contraire. Par exemple, je crois qu’il y a une place vraiment très grande pour les mécanismes de conciliation, de médiation dans lesquelles la profession d’avocat a tout son rôle à jouer et à se renforcer. C’est évidemment une approche précieuse pour l’institution judiciaire dans son ensemble. C’est aussi et surtout dans l’intérêt du justiciable parce que si cette démarche lui permet de dénouer son conflit dans des délais plus rapides avec une qualité de résultats à la hauteur, tout le monde y gagne et en premier lieu le justiciable.

Propos recueillis par Laurine Tavitian
La rédaction du Village de la Justice

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