Quelques précisions sur l’ordre public en droit international privé.

Par Mohamed Afif Bensedik, Juriste.

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Explorer : # ordre public # droit international privé # conflit de lois # application de la loi étrangère

La notion d’ordre public dans le domaine des relations internationales privées, notamment en ce qui concerne l’état civil des personnes et les litiges qui en résultent, n’est guère facile à désigner ou à définir. Par ailleurs, le législateur se permet de faire le point sur ses applications, à moins que le juge compétent soit capable de statuer sur ce genre de litige à la lumière des dispositions juridiques mises en œuvre dans un pays quelconque.
L’ordre public repose sur plusieurs facteurs qui ne se partagent que dans des pays ayant des systèmes et priorités juridiques semblables, lorsqu’il s’agit de l’adoption des règles de loi conformes aux valeurs de la société visée, y compris son aspect religieux, social et même culturel selon le cas.

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Alors que le juge national se trouve souvent dans des situations plus ou moins compliquées, en appliquant tout simplement la règle de conflit de la loi du for, qui l’oriente vers les règles matérielles applicables au litige, prenant en considération le critère désigné, que se soit celui de la nationalité ou du lieu du domicile de la personne considérée entre autres.

1) Les tentatives visant à définir l’ordre public en droit international privé :

Compte tenu du caractère flou de la notion d’ordre public international, il est impossible d’établir une liste exhaustive et limitative des hypothèses de mise en action. De plus les conceptions et valeurs fondamentales de la société française sont en perpétuelle évolution. Ce qui est prohibé un jour comme étant inconciliable avec l’ordre public sera admis demain [1].

Dans le même contexte, le législateur Algérien a évoqué la question de l’ordre public dans les relations internationales privées, dans le Code civil, étant donné que «  la loi étrangère, en vertu des articles précédents, n’est pas applicable si elle est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs en Algérie, ou s’il est prouvé qu’elle n’est devenue compétente que par suite d’une fraude à la loi  » [2].

Alors même si une loi étrangère doit régir le litige présenté devant la juridiction compétente, disons Algérienne, après le plein respect de ce que la règle de conflit dicte au juge national, et que cette règle confirme la compétence de ladite loi ; cela n’implique pas forcément l’application immédiate de ses règles juridiques matérielles.
En pratique, l’histoire du droit international privé montre que les tribunaux n’hésitent pas à refuser l’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit des lois, chaque fois que la loi étrangère parait trop incompatible avec les solutions différentes de la loi nationale du juge saisi. En droit international privé, cet incident est connu sous le terme d’exception d’ordre public : il appartient au tribunal d’apprécier si les effets de l’application concrète du droit matériel étranger désigné par la règle de conflits des lois sont acceptables au regard de conceptions essentielles propres à la société à laquelle le juge saisi appartient [3].

En d’autres termes, l’acceptation du renvoi par le juge national saisi en vue des règles de conflit de loi du for, peut se confirmer non seulement pour trouver une solution au litige, mais aussi pour qualifier ce dernier.
A titre d’exemple, le législateur Algérien permet au juge national compétent de soumettre au contenu des règles du droit matériel de la loi étrangère, au sujet des conceptions juridiques non reconnues dans la loi du for, telles que : la séparation de corps, et l’adoption des enfants, comme suit :
« La dissolution du mariage et la séparation de corps sont soumises à la loi nationale de l’époux, au moment de l’acte introductif d’instance » [4].
« Les effets du recueil légal (kafala ) sont soumis à la loi nationale du titulaire du droit de recueil (kafil).
L’adoption est soumise aux mêmes dispositions
 » [5].
Dans sa conception originaire, l’ordre public est consacré à la sauvegarde des principes fondamentaux du droit du for. Le problème de définition de l’ordre public international n’a jamais été résolu et ne le sera jamais. Mais il existe une convergence sur l’essentiel, nonobstant le fait que les tentatives pour l’exprimer ne vont guère plus loin que d’évoquer des principes essentiels, des règles fondamentales ou des concepts similaires [6].

Il s’agit comme le précise l’article 3081 du code civil du Québec, de l’ordre public « tel qu’il est entendu dans les relations internationales. » [7].
Le législateur Français, quant à lui, a pris des mesures protectrices afin de conserver les concepts constants de la société Française, ce qui est interprété par l’article 2060 du code civil France, comme suit :
« On ne peut compromettre sur les questions d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public… » [8].
De manière similaire, l’article 11, alinéa 1, de la convention de la Haye du 02 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires dispose que : « l’application de la loi désignée par la convention ne peut être écartée que si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public. » [9].
Malgré les divergences constatées entre chaque système juridique, le caractère répressif de l’ordre public garde son intensité à l’encontre des règles du droit matériel de la loi étrangère, quoiqu’il existe parfois des concepts qu’on n’arrive pas à adapter à la loi du for sans les avoir dénaturer.

Le législateur suisse ainsi, à l’aide de l’article 17 de la loi suisse sur le droit international privé, précise que : « l’application de dispositions du droit étranger est exclue si elle conduit à un résultat incompatible avec l’ordre public » [10].
Si on revient sur les lois belges, le code introduit une disposition sur l’ordre public, qui est conforme à la pratique belge et étrangère. Il consacre une conception de l’ordre public dit fonctionnel ou atténué, en ce sens que la mise en œuvre de l’exception doit comporter, non une condamnation du droit étranger en raison de son contenu, mais la constatation de l’impossibilité de procéder à son application en raison des effets de cette application dans le cas d’espèce. En ce sens, l’ordre public du droit international privé est plus restreint que celui de l’ordre public interne [11].

2) Les tendances vers un ordre public international plus adapté aux valeurs communes des états :

L’ordre public est enfin l’obstacle suprême, tant à l’application directe du droit étranger qu’à la simple reconnaissance des droits acquis à l’étranger sous son autorité : l’ordre public qui intervient pour « évincer » la loi étrangère, chaque fois qu’elle se révèle contraire à certains principes fondamentaux de ce dernier. Comme les institutions des pays du tiers monde sont souvent étrangères aux conceptions occidentales, on conçoit que l’obstacle de l’ordre public ne soit pas négligeable à leur égard [12].

On aperçoit encore la difficulté d’apporter des solutions souples, vis-à-vis à l’ordre public de loi du for, quand plusieurs facteurs sont réunis à la fois, dont on cite la religion.
L’application des règles matérielles du droit étranger par le juge national compétent s’étend vers toutes ces sources indiquées explicitement, comme quoi une source alternative peut bien combler le vide juridique, au cas où une certaine question ne fait pas le sujet des dispositions précisées par le législateur.
Le code civil Algérien se ressource effectivement, au regard des valeurs appréciées par la société Algérienne, d’une source principale en premier lieu et d’autres sources subsidiaires : «  La loi régit toutes les matières auxquelles se rapporte la lettre ou l’esprit de l’une de ses dispositions.
En l’absence d’une disposition légale, le juge prononce selon les principes du droit musulman et, à défaut selon la coutume.
Le cas échéant, il a recours au droit naturel et aux règles de l’équité.
 » [13].
Dans le même contexte, on met le point sur certains concepts juridiques qui s’attachent au droit musulman, que se soit dans le code civil ou dans le code Algérien de la famille, dont on cite entre autres :
- La polygamie,
- Le recueil légal (la kafala),
- La filiation sous des conditions restreintes,
- La répudiation moyennant indemnisation (kholaa).
… et ainsi de suite.

D’un point de vue juridique, certaines conceptions ne sont pas vraiment reconnues en occident. Cela suscite tant de soucis, qui s’interprètent à travers les litiges exposés devant le juge national dans le domaine des relations internationales privées.
En contrepartie, il existe d’autres conceptions juridiques, disons occidentales, telles que : le mariage des couples homosexuels, contradictoires au droit musulman qui se considère une source importante de loi dans la majorité des pays arabes.
Pour le code international privé, la reconnaissance du mariage célébré à l’étranger entre personnes du même sexe ne se distingue pas de celle d’un autre mariage. On peut toutefois souligner la disposition transitoire particulière énoncée par l’article 126 paragraphe 02. Si les règles du code relatives à l’efficacité des actes étrangers ne s’appliquent en principe qu’aux actes établis après leur entrée en vigueur. Un acte antérieur peut également recevoir effet en Belgique s’il satisfait aux conditions du code alinéa 02 [14].

Etant donné que le législateur Algérien a bien désigné la notion de mariage, à travers le 4ème (quatrième) article du code Algérien de la famille, précisant que : « Le mariage est un contrat consensuel passé entre un homme et une femme dans les formes légales. Il a, entre autres buts, de fonder une famille basée sur l’affection, la mansuétude et l’entraide, de protéger moralement les deux conjoint, et de préserver des liens de famille » [15].

Donc, le texte juridique précité ci dessus a été suffisamment clair, pour prohiber et interdire tout mariage conclu entre un couple homosexuel. C’est une interdiction de principe qui exige l’intervention de l’ordre public établi par la loi Algérienne autant que la loi du for.
Toutefois, la mise en œuvre des règles matérielles du droit étranger compétent, par le respect de la règle de conflit de la loi du for, ne provoque pas de soucis similaire, lorsque la loi du for et la loi étrangère applicable reconnaissent des conceptions juridiques similaires, ou semblables au moins.
En ce qui concerne la fonction de l’ordre public sous l’angle de la coordination des systèmes juridiques, on a écrit qu’une « soumission aveugle du juge à la règle de conflit » pouvait aboutir à des absurdités ou à des incohérences dans la recherche de la loi la plus apte à régler une situation si celle-ci différait de la loi du for. D’où le besoin de l’adapter par l’intervention de l’ordre public, non pas pour remplacer intégralement la loi étrangère par la loi du for, mais simplement pour éliminer de la loi étrangère les quelques éléments qui ne pouvaient pas s’adapter aux institutions du for mises en cause [16].
Les conventions dans le domaine des relations internationales privées représentent un outil considérable dans le but de réduire les effets répressifs de l’ordre public de la loi du for. On n’admet que le fait de mettre en valeur les points en commun entre la loi étrangère compétente et la loi du for et même de chercher en plus l’harmonisation des dispositions qui en resultent, semble efficace dans le but d’établir un ordre public plus convenable aux valeurs et principes des sociétés concernées.

Les traités et conventions européens du Conseil de l’Europe en la matière figurent comme un bon exemple dans la résolution des litiges à l’occasion des relations internationales privées, dont on indique à titre d’exemple :
- La Convention européenne en matière d’adoption des enfants,
- La Convention européenne sur le rapatriement des mineurs,
- La Convention relative à l’établissement d’un système d’inscription des testaments,
- La Convention européenne sur le statut juridique des enfants nés hors mariage,
- La Convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants,
- La Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants,
- La Convention sur les relations personnelles concernant les enfants.

Dans son appréciation de l’ordre public, le juge Français doit-il mesurer la loi étrangère à l’aune des droits de l’homme tels que, définis par des instruments internationaux que la France a ratifiés ? La question est en partie neuve. Sans doute, dans son arrêt Lautour considéré comme de principe, la Cour de cassation avait elle proclamé les lois étrangères contraires à l’ordre public international français, « uniquement en ce qu’elles heurtent des principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doté de valeur internationale absolue » [17].

MOHAMED AFIF BENSEDIK, Juriste Algérien
afif.bensedik chez gmail.com
http://afifconseilsjuridiques.blogspot.com/

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Notes de l'article:

[1Marie- Christine Meyzeaud-Garaud, Droit international privé, 2ème édition, Bréal édition, France, 2008, page 86-87.

[2Article 24 modifié par la loi 05-10, modifiant le code civil Algérien.

[3Marie-Claire Foblets, Les familles maghrébines et la justice en Belgique ; anthropologie juridique et immigration, Karthala éditions, France, 1994, page 31-32.

[4Article 12 paragraphe modifié par la loi 05-10, modifiant le code civil Algérien.

[5Article 13 ter nouveau paragraphe 02 et 03 ajouté par la loi 05-10, modifiant le code civil Algérien.

[6Andreas Bucher, La dimension sociale du droit international privé ; les livres de poche de l’Académie de Droit International de La Haye, La Haye (la Hollande), 2011, page 228.

[7Article 3081 du code civil du Québec.

[8Article 2060 paragraphe 01 du code civil Français.

[9Andreas Bucher, L’ordre public et le but social des lois en droit international privé, Académie de Droit International de La Haye, Lille (France), 1994, page 22.

[10Article 17 de la loi suisse sur le droit international privé.

[11Marc Fallon, La nouvelle loi sur le droit international privé : la loi du 16 juillet 2004, Editions Kluwer, Bruxelles (Belgique), 2004, page 99.

[12Pierre Mercier, Conflits de civilisations et droit international privé ; polygamie et répudiation, Librairie Droz, Genève (Suisse), 1970, page 28.

[13Article 1er du code civil Algérien.

[14Daniel Stercks, Le mariage en droit civil, Larcier Editions, Bruxelles (Belgique), 2004, page 85.

[15Article 04 du code Algérien de la famille.

[16Académie de Droit International de La Haye, Diversification, spécialisation, flexibilisation et matérialisation des règles de droit international privé, Académie de Droit International de La Haye, La Haye (La Hollande), 2002, page 335.

[17Raymond Goy, Du droit interne au droit international ; le facteur religieux et l’exigence des droits de l’homme, Publications de l’université de Rouen, Rouen (France), 1998, page 336.

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Discussion en cours :

  • par EDAEMI , Le 29 octobre 2014 à 00:13

    je vous remercie monsieur,
    c’est très claire, selon la loi algérienne, la question qui se pose, de quoi la situation de loi français ( droit international privé) .
    cordialemnt

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