Rétablissement de la prescription décennale pour les victimes d’hépatite C post-transfusionnelle agissant devant l’ONIAM. Par Emeline Sellier, Avocat.

Emeline SELLIER
Avocat à la Cour

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Explorer : # prescription décennale # indemnisation des victimes # hépatite c post-transfusionnelle # oniam

C’est une modification qui semble être passée inaperçue lors des débats relatifs au projet de loi de modernisation de notre système de santé et qui revêt pourtant une importance capitale pour les victimes d’hépatite C post-transfusionnelle, à savoir le rétablissement de la prescription décennale pour les actions en indemnisation introduites devant l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et son application rétroactive.

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Evoquer une prescription décennale en matière de contamination post-transfusionnelle peut apparaître comme une évidence depuis l’harmonisation des régimes de prescription applicables en matière de dommage corporel et opérée par la loi dite « Kouchner » du 4 mars 2002 [1].

Et pourtant, la question du délai de prescription applicable aux actions en indemnisation introduites devant l’ONIAM par des victimes d’hépatite C post-transfusionnelle était loin d’appeler une réponse unanime d’où l’intervention législative du 26 janvier dernier qui mérite d’être remarquée.

Rappelons-nous qu’aux lendemains du scandale du sang contaminé, des milliers de victimes contaminées par le virus de l’immunodéficience humaine et le virus de l’hépatite C ont souhaité obtenir l’indemnisation de leurs préjudices auprès des centres régionaux de transfusion sanguine qui avaient fourni les culots incriminés.

Puis, devant l’ampleur des victimes et afin de faciliter leur indemnisation, les pouvoirs publics avaient institué, par la loi du 31 décembre 1991 [2], un fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles, plus connu sous le nom de « FITH » chargé d’indemniser les victimes des préjudices résultant d’une contamination par le VIH causée par une transfusion.

Aucun fonds, en revanche, n’avait été créé pour les victimes contaminées par le VHC dont l’indemnisation était toujours recherchée auprès des centres régionaux de transfusion sanguine.

A l’occasion d’une importante réforme législative, la loi du 1er juillet 1998 [3] a créé l’Etablissement français du sang (EFS) et avait transféré à cet établissement national les obligations pesant sur les anciens centres régionaux.

A compter du 1er janvier 2000, date d’entrée en vigueur de la réforme, les victimes d’hépatite C post-transfusionnelle devaient donc porter leur action devant l’EFS qui, responsable même sans faute des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits sanguins, était tenu de les indemniser.

Conformément à l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique issu de la loi dite « Kouchner », le délai dans lequel les victimes devaient exercer cette action était de dix ans à compter de la date de consolidation de leur état de santé.

La loi du 9 août 2004 [4] finissait par créer l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et le substituait au FITH dans la prise en charge de l’indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH.

Une fois de plus, rien n’avait été prévu pour les victimes contaminées par le VHC, dont l’indemnisation relevait toujours de l’EFS. Ce n’est qu’au 17 décembre 2008 [5] que l’ONIAM était substitué à l’EFS et devenait seul compétent, à compter de l’entrée en vigueur de la loi soit au 1er juin 2010, pour connaître des actions en indemnisation des victimes d’hépatite C post-transfusionnelle.

Or, cette substitution et l’absence de dispositions transitoires a eu pour conséquence de modifier le régime de prescription applicable aux actions en indemnisation engagées par les victimes contaminées par le VHC : alors que les actions en indemnisation portées devant l’EFS se prescrivaient par dix ans, l’ONIAM a considéré que les actions portées devant lui étaient soumises à un régime de prescription quadriennale.

Le raisonnement invoqué par l’ONIAM était le suivant : l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 [6] prévoit que les créances au profit de l’Etat se prescrivent « dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis » tandis que l’article L. 1142-28 du Code de la Santé publique qui prévoit une prescription décennale est réservé aux actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé à raison d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins.
Or, l’ONIAM agissant en matière de contamination transfusionnelle par le VHC au titre de la solidarité nationale et non en qualité de responsable des conséquences dommageables de la mauvaise qualité du sang (comme l’était l’EFS), le régime de prescription applicable est celui de l’article 1er de la loi de 1968 et non celui de l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique.

La position adoptée par l’ONIAM, qui avait été vivement critiquée par les associations de victimes d’hépatite C post-transfusionnelle, finissait par être validée par le Conseil d’Etat estimant que « si (…) la loi du 17 décembre 2008 (…) (confie) à l’ONIAM l’indemnisation des personnes contaminées par certains agents pathogènes à l’occasion de transfusions de produits sanguins ou d’injections de médicaments dérivés du sang, les actions fondées sur ces dispositions ne peuvent être regardées comme entrant dans le champ de la prescription décennale dès lors que l’ONIAM n’est pas appelé à assurer une réparation en lieu et place du professionnel ou de l’établissement de santé qui a procédé à l’administration des produits sanguins, la responsabilité de ce professionnel ou de cet établissement n’étant pas normalement engagée en pareil cas ; que, dès lors que l’ONIAM est un établissement public doté d’un comptable public, ces actions sont soumises à la prescription quadriennale » [7].

La question du régime de prescription applicable semblait donc avoir été résolue. Pourtant, il demeurait un point sur lequel le Conseil d’Etat n’avait pas eu l’occasion de se prononcer et qui devait entrainer des conséquences dramatiques pour certaines victimes : la détermination par l’ONIAM du point de départ de ce délai de prescription.

Alors que la Cour de cassation avait considéré pour des victimes contaminées par le VIH suite à une transfusion, que le point de départ du délai ne pouvait être fixé antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi instaurant la nouvelle prescription quadriennale, le traitement réservé aux victimes d’hépatite C post-transfusionnelle fut une fois de plus divergeant, l’ONIAM considérant que le point de départ du délai devait être fixé au premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle était intervenue la consolidation, quand bien même cette consolidation aurait eu lieu antérieurement à la loi qui avait instauré un régime de prescription quadriennale.
Autrement dit, l’ONIAM a fait rétroagir un délai de prescription plus court à des situations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi qui l’avait substitué à l’EFS ce qui a eu pour conséquence de priver certaines victimes d’hépatite C post-transfusionnelle de tout droit à indemnisation et ce, du jour au lendemain.

Prenons l’exemple de Monsieur X., victime du VHC dont l’état de santé est considéré comme consolidé le 31 décembre 2005. A cette date, Monsieur X. disposait d’un délai de dix ans pour solliciter l’indemnisation de ses préjudices devant l’EFS. Il devait donc agir avant le 31 décembre 2015.

Or, la substitution de l’ONIAM à l’EFS le 1er juin 2010 (date d’entrée en vigueur de la loi du 17 décembre 2008) entrainait ipso facto la prescription de l’action de Monsieur X. En effet, au 1er juin 2010, Monsieur X., pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices, devait porter son action devant l’ONIAM qui considérait que la prescription applicable n’était plus de dix ans mais de quatre ans, à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle était intervenue la consolidation. Dans le cas de Monsieur X, la prescription courrait donc au 1er janvier 2006 et pour un délai de quatre ans, soit jusqu’au 1er janvier 2010.

La conclusion était donc la suivante : le 31 mai 2010, Monsieur X. disposait encore de quatre ans et demi pour obtenir, devant l’EFS, l’indemnisation de ses préjudices. Le lendemain, 1er juin 2010, l’action de Monsieur X. pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices devant l’ONIAM était prescrite…

C’est précisément pour restaurer les victimes comme Monsieur X. dans leur droit à indemnisation que le 13 mars 2015, l’Assemblée nationale a adopté, sur amendement présenté par le gouvernement, un article 45 ter modifiant l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique et dont l’objectif clairement affiché consistait à « réparer la solution de continuité qu’a induite, dans le délai de prescription des actions en indemnisation introduites par les victimes d’hépatites transfusionnelles, le transfert des dossiers de l’EFS, qui appliquait la prescription décennale, à l’ONIAM, dont les créances se prescrivent dans un délai de quatre ans. »

Une solution qui a rapidement fait l’unanimité chez nos députés et sénateurs puisque, adopté dès la première lecture par l’Assemblée nationale, le nouvel article L. 1142-28 du Code de la santé publique n’a fait l’objet d’aucune modification jusqu’à son adoption définitive, ni été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel qui avait pourtant été saisi le 21 décembre 2015 afin de se prononcer sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions contenues dans le projet de loi [8].

Entré en vigueur le 28 janvier 2016, le nouvel article L. 1142-28 du Code de la santé publique met donc fin à l’application d’une prescription quadriennale pour les demandes d’indemnisation des préjudices résultant d’une contamination par le VIH ou le VHC formulées devant l’ONIAM pour rétablir un délai de prescription de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage.

Enfin, l’article 188 de la loi dite « Santé » prévoit des dispositions particulières pour les demandes présentées devant l’ONIAM sous l’empire de la loi ancienne puisqu’il est précisé que « toutefois, lorsqu’aucune décision de justice irrévocable n’a été rendue, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales applique le délai prévu au I (délai de dix ans) aux demandes d’indemnisation présentées devant lui à compter du 1er janvier 2006. »

Le législateur a donc fini par harmoniser les régimes de prescription applicables et offre la possibilité aux victimes d’hépatite C post-transfusionnelle qui auraient saisi l’ONIAM depuis le 1er janvier 2006 et qui se seraient vu opposer une déchéance quadriennale, de saisir à nouveau l’ONIAM afin d’obtenir l’indemnisation des préjudices résultant de leur contamination. Et ce n’est que justice.

Emeline SELLIER
Avocat à la Cour

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Notes de l'article:

[1Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

[2Article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions d’ordre social.

[3Loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme.

[4Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

[5Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.

[6Loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics.

[7Conseil d’État, 23 juillet 2011, n° 375829.

[8Conseil Constitutionnel, Décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016.

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