Dans la continuité des réformes engagées par ordonnances, le Gouvernement a confié le 16 octobre 2017 à Jean-Cyril Spinetta une mission pour proposer une stratégie d’ensemble pour une refondation du modèle de transport ferroviaire.
Le 26 février 2018, le Premier ministre annonce une réforme ferroviaire conduite avant l’été par ordonnances avec les objectifs suivants :
Réformer l’organisation du groupe public ferroviaire, pour y introduire plus d’efficacité et de souplesse, et construire un groupe véritablement intégré dans lequel l’unité sera renforcée, dans le respect d’une concurrence équitable.
Moderniser le secteur ferroviaire au regard de la concurrence pour conduire à supprimer le statut de cheminot et un recrutement pour les nouveaux entrants selon les dispositions du Code du travail.
Améliorer l’efficacité industrielle et réduire les coûts.
Réussir l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.
Cette réforme n’est malheureusement pas au goût de tous et l’intersyndicale des cheminots de la SNCF a opté pour un mouvement original de grève, à la fois drastique et pénible, par un rythme de deux jours sur cinq étalés sur trois mois, voire plus.
Après un aperçu sur le droit de grève, il conviendra de s’attacher à la licéité du mouvement au regard de l’abus du droit de grève au vue de la désorganisation de l’entreprise.
I- Le droit de grève, un droit constitutionnel.
Le droit de grève est inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et maintenu en vigueur par celle du 4 octobre 1958 selon les termes suivants : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Droit constitutionnel sans pour autant recevoir de définition constitutionnelle, ni même légalement, c’est aux juges que ce travail revient. En effet, la grève a été définie comme « une cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles » [1]
Dès lors, la grève est licite seulement si deux conditions sont remplies : d’une part, une cessation collective et concertée du travail et, d’autre part, l’existence de revendications professionnelles.
En l’absence d’une de ces conditions, il n’y a pas d’exercice normal du droit de grève et le mouvement est alors illicite. Les salariés ne sont donc pas protégés et peuvent être sanctionnés selon les règles de droit commun. A contrario, lorsque la grève répond aux conditions, l’employeur ne peut sanctionner les salariés grévistes seulement s’ils commettent une faute lourde.
Une cessation collective et concertée du travail.
La grève est un arrêt de travail avec cessation totale d’activité, même si elle est brève et répétée.
Ainsi, est un exercice licite du droit de grève, des arrêts de travail courts et répétés, même s’ils sont dommageables pour la production [2] Sont également admis, les arrêts de travail qui affectent successivement dans l’entreprise les catégories professionnelles, les secteurs d’activité, les services ou ateliers, sauf abus.
Toutefois, des débrayages répétés et de courte durée qui se succèdent à un rythme variable constituent un abus d’exercice du droit de grève lorsqu’ils procèdent d’une volonté de désorganiser l’entreprise, et non plus seulement de la production [3], ou encore de nuire à la situation économique de l’entreprise [4]
De même, l’exercice normal du droit de grève n’est pas caractérisé et le salarié est passible de sanctions en cas de ralentissement du travail, des baisses de cadence et du travail effectué volontairement dans des conditions défectueuses.
Aussi, pour qu’il y ait grève, il faut que l’arrêt de travail soit collectif et concerté.
Ainsi, il ne faut pas un seul salarié. Si un seul salarié s’arrête de travailler, il ne peut être considéré comme gréviste, à moins qu’il participe à une grève nationale à objectif professionnel [5]
Le mouvement doit être un arrêt de travail collectif et concerté sans que les salariés aient besoin d’obtenir des formalités préalables pour se mettre en grève. Néanmoins, si un accord de fin de grève a été signé par les représentants du personnel et qu’ils continuent le mouvement, alors ils ne seront pas considérés comme grévistes [6]
Il n’existe pas de préavis, sauf dans le secteur public ou les services de transport de voyageurs. En effet, dans le secteur du service public de transports terrestres de voyageurs, le dépôt d’un préavis de grève de 48 heures est obligatoire par un ou plusieurs syndicats après une négociation avec l’employeur [7], sans le besoin de respecter une forme particulière [8]
L’existence de revendications professionnelles.
La grève doit obligatoirement s’appuyer sur des revendications professionnelles dont l’employeur doit avoir eu connaissance au moment de l’arrêt de travail [9]
Ainsi, constituent des revendications d’ordre professionnel, une pétition dans laquelle le personnel conteste le plan de restructuration de l’entreprise [10], la défense de l’exercice du droit syndical [11], la revendication salariale du règlement d’heures supplémentaires [12], ou encore pour améliorer les conditions de travail [13]
Dès lors, en prenant appui sur la grève qui touche le transport ferroviaire, les conditions sont remplies avec d’une part, une cessation collective et concertée du travail et, d’autre part, des revendications professionnelles avec un dépôt de préavis dans les règles relatives au service public de transports terrestres de voyageurs. Néanmoins, le rythme du mouvement, à raison de deux jours d’arrêt de travail sur cinq sur une période de trois mois, voir plus, interroge sur sa licéité, par l’abus du droit de grève qui se caractérise par la désorganisation de l’entreprise.
II- La désorganisation de l’entreprise, l’abus du droit de grève.
La seule unique limite au droit de grève est l’abus, qui ne peut être reconnu que lorsqu’il y a désorganisation de l’entreprise. [14]
Ainsi, comme relevé précédemment, les débrayages répétés et de courte durée qui se succèdent à un rythme variable constituent un abus d’exercice du droit de grève lorsqu’ils procèdent d’une volonté de désorganiser l’entreprise, et non plus seulement de la production [15], ou encore de nuire à la situation économique de l’entreprise. [16]
Il faut donc que l’entreprise soit mise en péril. Ainsi, des pilotes doivent assurer la continuité des vols [17] Mais l’abus du droit de grève n’avait pas été reconnu au pilote qui n’avait assuré que l’aller et s’était mis en grève ensuite car il avait suffisamment prévenu à l’avance son employeur pour prévoir son remplacement. [18]
Par transposition au transport terrestre, les conducteurs de trains doivent assurer la continuité des transports des passagers, à moins d’aviser à l’avance leur employeur de se mettre en grève.
Pour s’attacher à caractériser la désorganisation de l’entreprise, il faut étudier la finalité de la grève et l’objectif poursuivi par le Gouvernement avec la réforme ferroviaire.
La finalité de la grève est de faire renoncer le gouvernement à la mise en œuvre de la réforme ferroviaire par ordonnances, qui a pour objectif la refonte du système par le constat d’une double impasse selon le rapport de Jean-Cyril Spinetta remis le 15 février 2018 au Gouvernement : « celle d’un service public ferroviaire surendetté, dont la qualité se dégrade, et celle d’une entreprise publique, la SNCF, qui n’a pas les moyens de se transformer pour répondre aux attentes de ses clients » car « au cours des dix prochaines années, les moyens consacrés aux investissements sur le réseau existant vont connaître une augmentation sans précédent : à hauteur de 36 milliards d’euros, soit 50 % de plus que sur la dernière décennie ».
La réforme est donc dans un objectif de pérennité du système ferroviaire, de son amélioration par un nouveau pacte ferroviaire entre la Nation, la SNCF et les cheminots. L’objectif est la viabilité économique du système ferroviaire afin de le moderniser pour un service public plus fiable, plus efficace et capable de faire face à l’ouverture de la concurrence.
Dès lors, la grève entamée par l’intersyndicale des cheminots de la SNCF est-elle licite ? Autrement dit, n’y-a-t-il pas abus du droit de grève par une désorganisation de l’entreprise ou une volonté de nuire à sa situation économique ?
Certes, le mouvement remplit les conditions de la grève, mais il est plausible de s’interroger sur ses finalités réelles. En effet, il y a une position affichée des syndicats de tenter de tout faire pour faire fléchir le gouvernement afin qu’il renonce à sa réforme ferroviaire par ordonnances avant l’été en menant une grève de deux jours sur cinq sur trois mois, voire plus, dans un objectif de désorganiser fortement les transports et les travaux, et non pas la simple production.
Sur le plan juridique, la désorganisation de l’entreprise est une situation à laquelle les juges refusent de donner une interprétation extensive. Il faut une véritable mise en péril de l’existence de l’entreprise.
Il a été considéré que le fait que l’exploitation de l’entreprise soit devenue plus onéreuse ne suffit pas à caractériser un abus de droit, à moins que les difficultés financières auxquelles se trouve confrontée l’entreprise du fait de la grève soient de nature à compromettre son existence. [19]
Aussi, la désorganisation de l’entreprise peut se caractériser par la perte de clients. Il a été jugé que des arrêts successifs de travail qui ont provoqué seulement une désorganisation de la production tandis que l’entreprise, qui n’a pas perdu sa clientèle, n’a pas été désorganisée ne permettent pas de caractériser un abus [20]
Par ailleurs, la désorganisation doit être manifeste et anormale. Il a été jugé que s’agissant de salariés ayant observé un arrêt de travail d’un quart d’heure toutes les heures pendant dix jours, la cour d’appel a constaté à bon droit, après avoir constaté qu’aucune désorganisation manifeste et anormale n’avait résulté de ce mouvement, que les salariés n’avaient fait qu’exercer le droit de grève. [21]
Cette jurisprudence concerne une grève courte sans incidence majeure. Elle ne peut donc s’appliquer à la grève de l’intersyndicale des cheminots de la SNCF, qui concerne plusieurs arrêts de travail en cascade de deux jours sur cinq pendant trois mois, voire plus. L’originalité du mouvement drastique, la longueur et la volonté affichée de faire plier le Gouvernement pour qu’il renonce à la réforme ferroviaire sont des éléments exprimant la désorganisation de l’ensemble des transports, et non la simple production, une volonté de nuire à l’entreprise au regard d’une réforme de l’entreprise, qui se veut juste pour redonner une stabilité économique, financière et mieux faire face à la concurrence.
En outre, face à la longueur de la grève, ce mouvement demande une réorganisation complète du transport ferroviaire en essayant d’impacter le moins les clients. L’entreprise peut donc perdre ses clients, dont la perte reste à prouver. En effet, ces derniers peuvent se tourner vers des alternatives au transport ferroviaire, des moyens de transports via des plateformes comme le covoiturage ou Uber, ou encore la mise en place du télétravail entre l’employeur et le salarié afin de limiter les déplacements en transport.
En conséquence, la grève est un droit mais qui n’est pas absolu. La limite à ne pas franchir est l’abus de droit par la désorganisation de l’entreprise ou la volonté de nuire à sa situation économique.
Discussion en cours :
Selon vous,"cette réforme n’est malheureusement pas au goût de tous et l’intersyndicale des cheminots de la SNCF a opté pour un mouvement original de grève, à la fois drastique et pénible".
Dans le cas présent, il n’y a aucune désorganisation de l’entreprise qui a continué à fonctionner.
Donc la grève est licite.
Arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2011, n° 09-69030 : Vu l’alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, Attendu que des arrêts de travail courts et répétés, quelque dommageables qu’ils soient pour la production, ne peuvent, en principe, être considérés comme un exercice illicite du droit de grève.
D’autre part vous prenez pour argent comptant les motifs de la réforme gouvernementale sur la SNCF : il convient d’avoir un esprit critique qui permet de discerner les motifs sérieux de ceux qui le sont moins.