L’accès aux origines ou les enfants du secret : la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2023.

Par Laurent Bézie, Avocat.

811 lectures 1re Parution: 4 juillet 2023 4.97  /5

Dans sa décision du 9 juin 2023 (n°2023-1052 QPC), le Conseil constitutionnel a validé - à l’occasion d’une Question prioritaire de constitutionnalité - les dispositions du Code de la santé publique organisant la communication de l’identité du donneur de gamètes.

-

Le développement de la médecine de la reproduction a bousculé le périmètre de la confidentialité, l’intimité du tiers donneur devant être désormais conjuguée avec la nécessité pour les personnes qui sont nées de son don de trouver « leur pièce « manquante » de sorte que l’offre de procréation est désormais confrontée à deux obligations, celle - ancestrale - du secret et celle - capitale - du droit à l’information.

A la faveur d’une question prioritaire de constitutionnalité, le conseil constitutionnel a eu l’occasion de rendre une importante décision, en date du 9 juin 2023, sur le droit d’accès aux origines ... encore en construction (décision du 9 juin 2023 n°2023-1052 QPC).

I - Les termes du débat.

a) L’anonymat du tiers-donneur en question(s).

Avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, le don de gamètes était encadré par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

Cette loi a instauré un principe de l’anonymat du don traduit à l’article 16-8 du Code civil :

« Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur.
En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci
 ».

La réforme entreprise par la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 a consacré une évolution importante en matière d’anonymat du donneur en instaurant l’article L2143-6 du Code de la santé publique tout en conservant le principe édicté à l’article 16-8 du Code civil.

Désormais, et par un changement de paradigme, le droit d’accès à l’identité du donneur est inscrit dans la loi (article L2143-5 du Code de la santé publique) et dont l’encadrement pratique a été confié à la Commission d’accès des personnes nées d’une Assistance Médicale à la Procréation aux données des tiers Donneurs (CAPADD), le législateur tentant de trouver un équilibre entre l’anonymat du donneur et l’exigence de traçabilité biologique.

Pour l’application de cette loi, un décret en date du 25 août 2022 (décret n°2022-1187) ainsi qu’un arrêté en date du 29 août 2022 ont été adoptés dont la plupart des dispositions sont entrées en vigueur à la date du 1er septembre 2022.

Instaurée par l’article L2143-6 du Code de la santé publique, la CAPADD est cette nouvelle instance de régulation et d’intermédiation (au même titre que le CNAOP pour l’accouchement de la secret) qui peut être saisie par les personnes conçues par don, mais également par les tiers donneurs, qui organise et qui régule les demandes d’accès à l’identité des tiers donneurs.

Seulement, au cours des débats parlementaires, est apparue une difficulté majeure qui était celle du sort, du fait du principe de non-rétroactivité de la loi, de personnes conçues par un don qui a été effectué avant l’entrée en vigueur de la loi.

Sachant que loi est entrée en vigueur à la date du 1er septembre 2022, la question était donc la suivante : les personnes conçues par un don, avant cette date, devaient-elles être privées de la possibilité de rechercher leurs origines dans le cadre de la nouvelle CAPADD ?

Cette difficulté juridique n’est pas théorique car elle concerne - aujourd’hui - 50.000 à 70.000 personnes et c’est ainsi qu’il est apparu, comme crucial, d’intégrer le point 6 de l’article L2143-6 du Code de la santé publique instaurant une sorte de régime spécial pour les personnes qui souhaiteraient connaitre leurs origines biologiques et qui sont nées grâce à un don effectué avant le 1er septembre 2022 et duquel il résulte que :

« Une commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur est placée auprès du ministre chargé de la santé. Elle est chargée :
(...)
6° De contacter les tiers donneurs qui n’étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don, lorsqu’elle est saisie de demandes au titre de l’article L2143-5, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu’à la transmission de ces données à l’Agence de la biomédecine. Afin d’assurer cette mission, la commission peut utiliser le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques et consulter ce répertoire. Les conditions de cette utilisation et de cette consultation sont fixées par un décret en Conseil d’Etat pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. La commission est également autorisée à consulter le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie afin d’obtenir, par l’intermédiaire des organismes servant les prestations d’assurance maladie, l’adresse des tiers donneurs susmentionnés
 ».

C’est ce nouveau dispositif qui a pu être perçu comme une espèce de trahison de la parole donnée aux tiers donneurs, comme une atteinte qui serait insoutenable à la garantie de leur anonymat de telle sorte qu’il serait contraire aux droits constitutionnellement garantis par les alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 ainsi que par les articles 2 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

b) La remise en cause d’une situation légalement acquise ?

Au cours de la procédure, le Conseil constitutionnel a entendu soulever d’office le grief suivant :

« En prévoyant que les tiers donneurs, qui ont réalisé leur don à une époque où leur anonymat était garanti, peuvent être contactés afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leur données non identifiantes et leur identité, les dispositions contestées seraient susceptibles de remettre en cause les effets que les donneurs pouvaient légitimement attendre de la situation née sous l’empire des dispositions antérieures en méconnaissance de la garantie des droits découlant de l’article 16 de la déclaration de 1789 ».

En réalité, il est invoqué (d’office par le Conseil constitutionnel) le principe de sécurité juridique ou le respect du principe de confiance légitime, fondés sur l’article 16 de la Déclaration de 1789 qui a déjà été très largement constitutionnalisé en ce qu’il implique, par exemple, une certaine qualité de la loi (accessibilité, intelligibilité…) ainsi que sa prévisibilité.

c) L’atteinte aux libertés fondamentales ?

Le requérant alléguait deux moyens essentiels tenant au fait que le nouveau dispositif porterait atteinte aux droits et libertés des donneurs garantis par la Constitution, notamment en ce qui concerne la protection de la vie privée des donneurs de gamètes et leur droit de mener une vie familiale normale.

Par la modification du droit antérieur qui garantissait (non de manière absolue) l’anonymat du donneur, il était donc reproché au dispositif critiqué de porter atteinte à sa vie privée en raison d’un don qu’il a effectué, avant le 1er septembre 2022, et en permettant qu’il soit contacté par la CAPADD afin de recueillir son consentement pour le dévoilement de ces données (identifiantes ou non identifiantes).

De manière encore plus précise, il a été allégué par le requérant que ce nouveau dispositif ne permettait pas aux donneurs de refuser, de manière préventive, d’être contacté par la Commission et que, par ailleurs, le texte rendait possible que le donneur soit exposé à de multiples demandes et répétées.

il n’est pas inutile de rappeler que le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 garantit à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et le onzième alinéa du même préambule garantit à tous, notamment aux enfants, aux mères et aux travailleurs âgés, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.

L’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 énonce quant à lui que « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme » et parmi ces droits, figure le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.

II - La décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2023 et sa réserve d’interprétation.

a) L’absence d’atteinte à une situation légalement acquise par la primauté du consentement du donneur.

La décision du conseil constitutionnel du 9 juin 2023 s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle en ce qui concerne la possibilité pour le législateur de modifier des textes antérieurs tout en ne portant pas atteinte aux situations légalement acquises et en ne remettant pas en cause les effets pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes précédents.

En effet, le conseil constitutionnel (point 6 de la décision) rappelle le principe suivant :

« 6. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs ».

Rien de nouveau sous le soleil constitutionnel français puisqu’il s’agit, ici, de rappeler, notamment, la décision 2011-173 QPC du 30 septembre 2011 [1].

En revanche, le soleil brille - un peu plus - en ce qui concerne la construction du droit d’accès aux origines et la décision du conseil constitutionnel est à mettre en relief avec celle qui a été rendue le 16 mai 2012 (décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012) concernant l’accouchement dans le secret en ayant permis aux enfants d’accéder à leurs origines en contactant leur mère de naissance.

En ce qui concerne les personnes conçues par don, le conseil constitutionnel a jugé que la levée de l’anonymat du donneur ne portait pas atteint aux dispositions de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen au motif que la communication des données non identifiantes et de son identité est subordonnée à son consentement.

b) L’absence d’atteinte au droit au respect de la vie privée du donneur sous réserve de...

Toujours dans la continuité de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il ne lui appartient pas de prendre la place du législateur en ce qui concerne « la recherche de l’équilibre entre les intérêts du tiers donneur et ceux de la personne née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ».

En revanche, et tel que cela ressort des débats qui ont eu lieu pendant l’audience publique, le Conseil constitutionnel se libre à une réserve d’interprétation en ces termes :

« 14. En premier lieu, les dispositions contestées se bornent à prévoir que le tiers donneur peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur en vue de recueillir son consentement à la communication de ces informations. Elles n’ont pas pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles est donné le consentement et ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus, de soumettre le tiers donneur à des demandes répétées émanant d’une même personne ».

C’est donc, sous cette réserve, que le Conseil constitutionnel a déclaré, conformes à la Constitution, les dispositions du point 6 de l’article 2143-6 du Code de la santé publique.

Ainsi, un donneur ayant procédé à un don avant le 1er septembre 2022, qui ferait part de son refus de levée son anonymat, devra être considéré comme définitif et opposable à la personne qui a saisi la CAPADD sauf à porter atteinte au droit au respect de la vie privée du tiers donneur.

III - La portée de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2023.

a) La portée pratique.

Au regard de la réserve d’interprétation émise, la question se pose de savoir si un donneur ayant exprimé son refus de lever son anonymat, pourrait revenir sur ce refus. Nous n’y voyons pas d’obstacle dans la mesure où les dispositions de l’article R2143-7 du Code de la santé publique prévoit que tout tiers donneur peut - par sa propre démarche - saisir la CAPADD afin de consentir au dévoiement de son identité.

Ensuite, et à une époque où le nombre d’enfants nés par un don n’était pas limité à 10 pour un même donneur [2], les donneurs de l’ancien droit ne seront donc pas prémunis de demandes possiblement répétées en provenance de personnes conçues par don différentes.

Ceci étant, et tel que cela été rappelé par l’auteur de ces lignes au conseil constitutionnel, c’est sans compter sur le rôle de régulation dévolu à la CAPADD.

b) La fin du secret des origines ?

Assurément, la décision du Conseil constitutionnel participe à la construction du droit d’accès aux origines sans mettre fin au secret des origines, le législateur ayant fait prévaloir la primauté de son consentement sur la levée de son anonymat.

En réalité, il y aurait eu comme un paradoxe assez gênant à déclarer l’article L2143-6 6° du Code de la santé publique comme portant atteinte aux droits des donneurs dans la mesure où il institue - pour la première fois - une procédure de nature à protéger les droits énoncés dans le dixième et onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

En effet, l’abrogation totale ou partielle de l’article L2143-6 du Code de la santé publique aurait empêché, nettement, l’expression du consentement des donneurs et cela aurait signifié, de jure, la fin précoce de l’accès légal aux origines biologiques.

Aussi, le seul fait pour un tiers donneur de recevoir un courrier recommandé de la part de la CAPADD lui demandant son consentement pour qu’une personne conçue par don puisse accéder à ses origines n’est pas de nature à porter atteinte à la sécurité juridique ou au principe de confiance légitime dans la mesure où la personne qui procède à un don de sperme ou d’ovocytes ne peut que s’attendre à ce que ce don donne, un jour, naissance à un enfant et non pas à un embryon de poulet.

La possibilité donnée aux personnes conçues par don d’accéder à leurs origines, après un parcours du combattant non négligeable, ne serait-elle, en effet, pas justifiée par « un motif d’intérêt général suffisant » selon l’expression jurisprudentielle du Conseil constitutionnel ?

Permettre l’accès aux origines, sous certaines conditions, répond précisément à une demande sociétale que personne ne peut nier et l’évolution législative apportée par la loi du 2 août 2021 reflète ce changement de paradigme, l’accès aux origines étant désormais conçu comme un droit essentiel et fondamental ce que la cour constitutionnelle allemande reconnaît depuis 1989.

N’oublions pas que la personne conçue par don est frappée d’un double secret, celui du donneur mais également celui du receveur - de ses parents - car rien n’oblige de divulguer leur mode de conception qui ne figure pas en marge de son acte de naissance. Ainsi, le législateur a compris que le droit français devait évoluer pour permettre aux personnes conçues par don, qui le veulent, de trouver leur pièce manquante, cette pièce, celle de leur puzzle biologique, qui fera d’eux des femmes et des hommes debout.

Laurent Bézie, Avocat
Barreau d’Angers
Cabinet DMT Avocats - COGEP

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

1 vote

Notes de l'article:

[1Décision 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres Conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d’actions en matière de filiation, cons. 3 ; voir également la décision 2012-249 QPC du 16 mai 2012, Société Cryo-Save France Prélèvement de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta à propos de l’interdiction de conserver, à titre préventif, le sang du cordon ombilical, cons. 7.

[2Article L1244-4 du Code de la santé publique.

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit, certifié 6e site Pro en France: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 154 100 membres, 25242 articles, 126 860 messages sur les forums, 4 340 annonces d'emploi et stage... et 1 400 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Podcast] Procès de Monique Olivier : interview de Jacques Dallest, spécialiste des cold cases (épisode 3).

• 14ème concours des Dessins de justice 2023, imaginez les "vœux du Droit" !




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs