Enfant et handicap : l’école est finie ?

Par Laurent Bézie, Avocat et Valentin Vacher, Elève-avocat.

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Explorer : # handicap # scolarisation # égalité des chances # référé-liberté

L’ accompagnement des élèves en situation de handicap dans les écoles de la République Française pose (parfois) problème aux familles. Les budgets contraints et les effectifs en moins conduisent (de plus en plus) à porter atteinte à une liberté fondamentale : le droit pour chaque enfant de disposer d’une scolarisation.
Une récente ordonnance de référé du Tribunal administratif de Nantes, en date du 9 novembre 2021 (TA Nantes, Ord. 9 novembre 2021, n°211294), vient rappeler, dans le cadre d’une procédure de référé liberté, ce principe fondamental qu’il n’est pas inutile d’analyser, en cette veille de rentrée scolaire.

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I- La scolarisation pour tous : un droit fondamental.

En France, tout enfant dispose d’un droit à la scolarisation. Il s’agit là d’une des garanties fondamentales permettant d’assurer l’une des devises fondamentales de notre République, l’Egalité.

Si en pratique, il appartient au système éducatif d’assurer une telle égalité, la question se pose toutefois de manière plus prégnante lorsque l’enfant scolarisé doit recourir à l’aide d’une tierce personne, à savoir un AESH, en raison d’un handicap.

L’attribution d’un AESH constitue l’étape initiale et la plus importante dans l’accompagnement de l’enfant handicapé.

Les besoins en heures d’accompagnement sont déterminés par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) commission de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), puis il appartient à l’Académie d’affecter un AESH auprès de l’enfant handicapé, conformément aux dispositions de l’article L351-3 du Code de l’éducation.

Cependant, les contraintes budgétaires voire les difficultés de recrutement des AESH ont pour conséquence de régulièrement priver les enfants dans le besoin d’un tel accompagnement, portant in fine atteinte à l’égalité dans l’enseignement scolaire.

Il s’agit pourtant d’une liberté fondamentale de disposer d’un égal accès à l’éducation, principe garanti par les dispositions constitutionnelles, dont les conséquences peuvent se révéler particulièrement lourdes pour l’enfant handicapé, allant du redoublement au décrochage scolaire.

En pratique et malgré les engagements du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse de recruter 4 000 AESH supplémentaires pour la rentrée scolaire 2022, force est de constater que l’accompagnement des élèves disposant d’un droit à l’AESH n’ait pas assuré de manière à permettre l’attribution d’un accompagnement à tous les élèves disposant d’une décision de la CDAPH.

L’Éducation nationale méconnaît régulièrement le droit pour tout élève de disposer d’un accompagnement, afin d’assurer l’égalité des chances dans l’enseignement, et il est certain qu’un nombre important d’élèves demeure soumis au risque de connaître une situation d’échec scolaire.

Il est ainsi à craindre un redoublement, voire pire un décrochage scolaire et une perte de confiance en l’ensemble du système éducatif de l’élève ne disposant pas d’un accompagnement.

II- La scolarisation pour tous : protégée par le juge administratif.

La procédure de référé liberté permettant au juge des référés de statuer dans un délai de 48 heures ouvre aux familles concernées une voie pour faire respecter les droits de leurs enfants par le truchement des dispositions de l’article L521-2 du Code de justice administrative et dont les conditions sont les suivantes :
- L’atteinte à une liberté fondamentale,
- Une atteinte grave et manifestement illégale,
- L’urgence pour le juge des référés à statuer dans un délai de 48 heures.

1°) En ce qui concerne l’atteinte à une liberté fondamentale, il résulte du treizième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958, que :

« La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».

Ce droit à l’égal accès des enfants à l’instruction est par ailleurs confirmé par l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Hommes qui dispose que :

« Nul ne peut se voir refuser l’instruction. L’Etat dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».

Par la suite, les dispositions législatives, et plus particulièrement les articles L111-1 et L111-2 du Code de l’éducation rappellent que :

« le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative ».

L’article L112-1 du Code de l’éducation, organise en pratique cette garantie fondamentale en permettant l’octroi d’aides aux élèves et étudiants handicapés.

Aussi, un enfant souffrant d’un handicap doit pouvoir bénéficier d’un accompagnement adéquat afin de lui garantir une scolarisation adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction.

Cependant, il n’est pas rare que des élèves disposant d’un tel droit se voient privés de tout ou partie des heures attribuées.

2°) Pour caractériser l’atteinte grave à l’égal accès à l’instruction, le juge des référés se rapporte traditionnellement aux moyens mis en œuvre par l’administration pour attribuer un AESH à l’enfant handicapé.


Le Conseil d’Etat, saisi en référé, a ainsi pu juger que :

« Considérant que la privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’un handicap, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, pouvant justifier l’intervention du juge des référés sur le fondement de cet article, sous réserve qu’une urgence particulière rende nécessaire l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures ; qu’en outre, le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part de l’âge de l’enfant, d’autre part des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose » [1].

Autrement dit, il appartient, dans le cadre de la procédure de référé, de démontrer que la privation de l’AESH constitue, au regard du handicap de l’enfant et de son âge, une atteinte importante au droit d’égal accès à l’instruction.

Mais surtout, que l’Académie n’a pas mis en œuvre l’ensemble des mesures nécessaires afin d’attribuer un AESH à l’enfant handicapé.

Cette position a pu être rappelée par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice :

« 2. L’égal accès à l’instruction est garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958. Ce droit, confirmé par l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est en outre rappelé à l’article L. 111-1 du code de l’éducation, qui énonce que « … le droit à l’éducation est garanti à chacun … » et, s’agissant des enfants présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant, à l’article L112-1 du même code selon lequel « … tout enfant … est inscrit dans l’un des établissements mentionnés à l’article L351-1 le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence… ». L’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction est mise en œuvre par les dispositions de l’article L131-1 de ce code, telles que modifiées par la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 aux termes desquelles : « L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans… ».
3. La privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’un handicap, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L521-2 du Code de justice administrative, pouvant justifier l’intervention du juge des référés sur le fondement de cet article, sous réserve qu’une urgence particulière rende nécessaire l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures. En outre, le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part de l’âge de l’enfant, d’autre part des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose
 » [2].

Ou encore, plus récemment, par le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes [3].

Ainsi, il est régulièrement rappelé par le juge des référés que l’atteinte au principe d’égal accès à l’instruction est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens des dispositions de l’article L521-2 du Code de justice administrative, pouvant justifier le recours au référé-liberté.

3°) Enfin, il convient de justifier de l’urgence à requérir l’intervention du juge des référés dans le délai de 48 heures.

Pour ce faire, il est jugé de manière constante que l’urgence est caractérisée par la nécessité immédiate de permettre la scolarisation pérenne de l’enfant [4].

Notamment, l’urgence se justifie, au regard de l’âge et du handicap de l’enfant, par la nécessité de mettre un AESH à disposition dans de brefs délais, afin d’éviter tout décrochage scolaire, isolement voire qu’il soit porté atteinte aux relations avec l’ensemble de la communauté scolaire.

Une telle situation d’urgence peut notamment se caractériser pour un enfant âgé de 9 ans atteint d’un trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et dont la privation d’accompagnement a « des impacts sur ses relations avec l’ensemble de la communauté scolaire, sur le déroulement de sa scolarité, ainsi que sa réussite scolaire, risquant d’entraîner un redoublement » [5].

En tout état de cause, le référé-liberté permet de solliciter du juge, de prendre, en urgence, toute mesure utile à la sauvegarde d’une liberté fondamentale, notamment lorsqu’il est porté atteinte à l’égalité dans l’instruction.

III- Conclusion.

Le recours au juge administratif, en tant que protecteur des libertés fondamentales, n’est pas toujours vain si les conditions de sa saisine sont retenues. En matière de protection des élèves en situation de handicap pour leur permettre une scolarité normale, force est de constater que l’urgence et l’atteinte une liberté fondamentale sont, la plus part du temps, acquises.

Toutefois, il est reste tout de même la délicate question de l’exécution de la décision de la justice, la juridiction administrative ne condamnant pratiquant jamais les académies à des astreintes laissant ainsi un sentiment que tout cela ne sert à rien !

Protéger les libertés c’est bien ! Exécuter c’est mieux !!!

Laurent Bézie, Avocat et Valentin Vacher, Elève-avocat,
Barreau d’Angers,
Cabinet COGEP Avocats.

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Notes de l'article:

[1CE, ordonnance, 15 décembre 2010, n° 344729.

[2TA de NICE, ord., 15 octobre 2019, n° 1905359.

[3TA de Nantes, Ord., 4 juin 2021, n° 2106010 ; TA de Nantes, Ord., 9 novembre 2021, n° 2112394.

[4TA de Nice, ord., 15 octobre 2019, n° 1905359.

[5TA de Nantes, Ord., 9 novembre 2021, n° 2112394.

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