Le départ d’Alexis Kohler, en tant que secrétaire général de l’Elysée vers la direction de la Société Générale permet de mettre en lumière une institution que l’on connait très mal : le Secrétariat Général de l’Elysée. C’est un maillon essentiel du pouvoir politique sous la Vᵉ et de la gouvernance élyséenne. Il a son équivalent, encore moins connu, au niveau gouvernemental et administratif : le Secrétariat Général du Gouvernement.
Ce sont ces deux institutions, capitales dans le fonctionnement de l’Etat (on l’a noté depuis la dissolution et le concept de gouvernement démissionnaire), que l’on se propose de mettre en lumière.
1) Le secrétariat général de l’Elysée (SGE).
L’appellation précise est secrétariat général de la présidence de la République française. Le titre de secrétaire général apparaît pendant la IIe République, en 1849, sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte. Ce dernier veut organiser son cabinet.
Le secrétariat général civil de la présidence de la République, tel que connu à l’époque contemporaine, apparaît avec la IIIe République en 1879. Jusqu’en 1900 c’est un militaire qui en est à la tête. Il faut d’emblée préciser que, contre toute attente, aucun texte officiel ne prévoit l’existence ou les attributions du secrétaire général de la présidence de la République. Son rôle et son influence varient donc suivant les différentes présidences. Selon aussi les rapports noués entre le président et son plus proche collaborateur (César Armand et Romain Bongibault, Dans l’ombre des présidents : Au cœur du pouvoir, les secrétaires généraux de l’Élysée, Fayard, 2016). On a l’habitude de dire que le SGE a cinq principaux domaines d’action :
- direction et la coordination des membres du cabinet présidentiel. Ce dernier constitue l’équipe de conseillers au service du chef de l’État français pour l’assister dans ses prises de décisions. Il comprend le chef de l’état-major particulier, le conseiller diplomatique ainsi qu’un certain nombre de conseillers. Mis en place sous la IIIe République, le cabinet du président perdure sous la IVᵉ puis la Vᵉ bien qu’aucune règle de droit positif n’en fasse mention.
- coordination des décisions présidentielles avec les actions gouvernementales et de l’ensemble des administrations publiques. Le secrétaire général est le seul haut fonctionnaire qui a une vision d’ensemble de l’appareil politico-administratif.
- annonce de la composition du gouvernement lors de sa nomination (sur le perron de l’Elysée).
rédaction, au terme de chaque conseil des ministres, avec le secrétaire général du Gouvernement, d’un relevé de décisions ainsi qu’un compte rendu intégral des délibérations, qui ne sont pas rendus publics [1]. Le SGE a aussi un rôle de mémoire du Conseil des Ministres.
- prise de décisions (politiques ou administratives) dont il estime qu’elles vont dans le sens de la politique du président mais qui ne méritent pas d’être portées à son attention (Vincent Martigny, Thomas Wieder et autres, « Les secrétaires généraux de l’Élysée : Les sentinelles des Présidents », L’Atelier du pouvoir, sur radiofrance.fr, France Culture, 30 avril 2016). Précisons que de telles décisions, en principe, n’engagent pas le président qui, rappelons-le, est irresponsable au sens de l’art. 67 C.
Plusieurs particularités peuvent être relevées lorsque l’on regarde la liste des secrétaires généraux de la présidence de la République depuis 1958 :
- il y en a eu vingt-deux depuis 1958 (durée des fonctions : un peu plus de trois ans)
- aucune femme n’a occupé cette fonction
- la plupart des secrétaires généraux sont issus de la haute fonction publique et sortent essentiellement de l’ENA, à l’exception notable de Pierre Bérégovoy. Dans ce dernier cas, rappelons qu’il a été celui qui est le moins resté : 1981-1982. La gestion des rouages de la haute administration ne s’apprennent pas sur le tas. Bérégovoy sera remplacé pour près de dix ans (1982-1991) par JL Bianco, très influent auprès de F. Mitterrand.
- trois secrétaires généraux ont par la suite exercé la fonction de Premier ministre (Édouard Balladur, Pierre Bérégovoy et Dominique de Villepin)
Michel Jobert, Jean François-Poncet, Hubert Védrine et Dominique de Villepin ont par la suite exercé la fonction de ministre des Affaires étrangères.
Alexis Kohler est celui qui est le second à être resté le plus longtemps au SGE avec 8 ans (2017-2025). Juste derrière JL Bianco (1982-1991). Ce dernier a écrit un ouvrage qui relate ses années au SGE auprès de Mitterrand et décrit parfaitement la fonction (Mes années avec Mitterrand, Fayard, 2015). Un certain nombre d’autres secrétaires généraux de l’Elysée ont aussi écrit sur leur fonction ce qui permet d’appréhender mieux encore celle-ci. Le premier fut Bernard Tricot (1967-1969) qui (Mémoires, Quai Voltaire, 1994). Ensuite M. Jobert (1969-1973) avec ses Mémoires d’avenir (B. Grasset, 1974). Philippe Bas (2000-2002 adjoint ; 2002-2005) Avec Chirac (Éditions de l’Archipel, 2012 qui englobe aussi ses années en tant que ministre). Dans Quelques vérités à vous dire (éditions de l’Archipel, 2017) Claude Guéant (2007-2011) envisage aussi les années Elysée. Et puis Jean-Pierre Jouyet (2014-2017 aussi ministre sous N. Sarkozy de 2007 à 2008) énonce Quelques vérités à vous dire- Dans l’intimité de nos présidents (éditions de l’Archipel, 2020). Dans chacun de ces ouvrages, on découvre l’importance clef de ce SGE qui est au cœur des principales décisions élyséennes. Comme nous l’a confié l’un des anciens secrétaires, « le SGE, au fond, c’est le cœur du réacteur ». Et il apparait clairement que le mot clef de la relation entre président et secrétaire général, c’est « la confiance » qui doit être « mutuelle et totale ».
Notons que c‘est Emmanuel Moulin (ex directeur du Trésor et ancien collaborateur de N. Sarkozy) qui a succédé à Alexis Kohler.
2) Le secrétariat général du Gouvernement (SGG).
Le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) est un organisme administratif qui relève du Premier ministre. Il assure la continuité du travail gouvernemental et conseille juridiquement le Gouvernement. Nous dépassons ici le domaine du politique pour arriver dans la gestion administrative de l’Etat.
L’institution du SGG date de la fin de la IIIe République, mais c’est à partir de 1947 qu’il a commencé à fonctionner sous sa forme actuelle, après l’adoption par le Conseil des ministres du 3 février 1947 du règlement intérieur des travaux du Gouvernement. Le Secrétaire général a toujours été, jusqu’à aujourd’hui, un membre du Conseil d’État. L’institution est remarquable par sa grande stabilité. Onze secrétaires depuis 1947. Seuls dix secrétaires généraux se sont succédé depuis 1947 (près d’une vingtaine à l’Elysée). Depuis 2020, et pour la première fois, c’est une femme qui est en charge du SGG, Claire Landais.
Composé outre d’un secrétariat général et de hauts fonctionnaires, le SGG comprend une centaine d’agents. Le SGG relève du Premier ministre et travaille en étroite association avec son cabinet.
Le SGG a deux missions principales :
- Organisation du travail gouvernemental.
Le SGG est un organisme permanent, dont l’activité des membres est indépendante des changements de Gouvernement. Organe collégial composé du Premier ministre, des ministres et des secrétaires d’État, chargé de l’exécution des lois et de la direction de la politique nationale. Il est le garant de la bonne marche administrative du gouvernement et à la cohérence de son travail.
Il intervient à toutes les étapes de l’élaboration des décisions du Gouvernement. En particulier il assure le secrétariat du Conseil des ministres, pour lequel il prépare l’ordre du jour. Il est en charge de la préparation du décret de présentation du projet de loi, de son étude d’impact ainsi que du suivi de la procédure législative. De même il assure les relations administratives entre le Gouvernement et le Parlement.
Enfin, le SGG recueille les signatures prévues pour le vote d’une loi ou l’adoption des décrets, et assure la publication des textes au Journal officiel. Une fois qu’une loi est adoptée, il veille à ce que les décrets d’application prévus soient pris dans un délai raisonnable.
- Conseil juridique du gouvernement.
Le SGG remplit une mission de conseil juridique auprès du cabinet du Premier ministre et des ministères. Il assure la correction juridique et formelle des textes, et propose une expertise sur consultation des ministres ou de leurs cabinets. Le SGG effectue notamment une veille des positions juridiques du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, afin d’éviter une censure ultérieure des textes. En cas de recours contre une loi votée (devant le Conseil constitutionnel) ou un décret (devant le Conseil d’État), c’est le SGG qui est chargé de présenter les observations du Gouvernement. Lors de l’examen de la constitutionnalité d’une loi par le Conseil constitutionnel, c’est le SGG qui prépare les observations du gouvernement sur le recours.
A noter que lors du changement de gouvernement, le SGG est maintenu. Et c’est lui qui organise les transitions et fournit les moyens logistiques (bureaux, etc.) aux cabinets des ministres. Son rôle a été particulièrement utile lors de l’alternance de 1981 et des cohabitations. Des secrétaires généraux ont eu un rôle capital en ces moments. Citons Marceau Long (1975-1982, Les services du Premier ministre, conférences. Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1982). Ou encore Jacques Fournier qui fut secrétaire général de 1982 à 1986 (Le travail gouvernemental. Presses de la Fondation nationale des sciences politiques et Dalloz, 1987). Enfin, un de ceux qui est resté le plus longtemps, est Renaud Denoix de St Marc (1986-1995 ; L’État, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2004). Il a ainsi couvert deux cohabitations.
Le SGG est dirigé, on l’a dit, pour la première fois par une femme, Claire Landais depuis 2020. Elle a exercé une fonction capitale depuis la dissolution de 2024 et ce jusqu’à la mise en place d’un gouvernement pérenne. Entre ministres intérimaires, ministres inexpérimentés et censure, ce ne fut pas une sinécure.
A heure de conclure, on ne peut que souligner encore l’importance que le SGE et le SGG revêtent depuis la dissolution de 2024 et la cohabitation hybride qui s’en est suivie. Comme nous l’a confié un ancien député, « ce sont eux qui tiennent la baraque ». En temps ordinaires, la permanence de l’Etat passe essentiellement par eux. Mais en de pareilles circonstances, c’est encore plus prégnant.