Dire qu’avant d’avoir reçu, il faut avoir été livré est un truisme tant, dans le langage commun l’action de recevoir est indissociable de celle de livrer. Réception et livraison correspondent à l’exécution d’une même action, dans le même trait de temps, entre les mêmes personnes.
En droit de la construction, et plus spécialement en matière de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) plus communément appelée vente sur plans, la réception et la livraison constituent deux notions essentiellement distinctes et mettant en jeu des conséquences différentes, comme vient de le rappeler fort opportunément et avec une grande orthodoxie la Cour de Cassation (Cass., civ., 3è, 8 septembre 2010, n°08-22.062).
Schématiquement, dans la vente en l’état futur d’achèvement, un immeuble est construit à l’initiative d’un promoteur, maître de l’ouvrage, qui :
confie la réalisation des travaux à une ou plusieurs entreprises, dénommées également locateurs d’ouvrage : la fin des travaux et l’achèvement de l’ouvrage est marqué par la « réception de l’ouvrage » ;
puis livre aux acquéreurs le lot dont ils ont fait l’acquisition pendant l’édification de l’immeuble, au terme de la signature d’un contrat de réservation puis d’un acte authentique ; le vendeur exécute ainsi son obligation de délivrance d’un bien conforme aux stipulations contractuelles, propre à toute vente : c’est la « livraison ».
Réception et livraison marque ainsi dans la VEFA deux temps différents, entre des acteurs différents, aux conséquences différentes.
1. La réception est définie par l’article 1792-6 du code civil comme : « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves ». Cette réception prend la forme d’un document intitulé procès-verbal régularisé entre le maître de l’ouvrage et les entreprise ayant réalisées les travaux.
Cette étape est commune à toutes les opérations de construction d’un ouvrage immobilier.
En matière de VEFA, c’est le vendeur (le promoteur), qui conserve les pouvoirs de maître de l’ouvrage de manière exclusive jusqu’à la réception des travaux, qu’il a seul qualité pour prononcer (article L 261-3 du code de la construction et de l’habitation). Dans ces conditions, la réception des travaux intervient normalement dans les seuls rapports entre la société venderesse et les différents locateurs d’ouvrage, les acquéreurs n’ayant pas vocation à participer aux opérations de réception.
A l’occasion de la réception, le maître de l’ouvrage doit faire mentionner au PV de réception, sous forme de réserves, l’ensemble des désordres (défaut de conformité ou vice de construction) alors apparents, sous peine de les voir purgés de toute garantie et de rester par conséquent à leur égard sans aucun recours contre les entreprises-locateurs d’ouvrages.
La réception de l’ouvrage par le maître de l’ouvrage purge l’ensemble des désordres apparents à la réception dès lors qu’ils ne sont pas réservés.
2. La livraison des locaux vendus, au cours de laquelle l’acquéreur prendra possession du bien intervient directement entre le vendeur (promoteur) et les différents acquéreurs.
C’est à l’occasion de l’établissement du procès-verbal de livraison, document établi contradictoirement entre le vendeur et l’acquéreur, et qui ponctue cette livraison, que l’acquéreur formulera, concomitamment à la prise de possession, ses réserves, qui peuvent concerner tant des non-conformités (aux stipulations contractuelles ou aux dispositions règlementaires) que des vices apparents (défaut intrinsèque de l’ouvrage ou de la partie d’ouvrage).
L’acquéreur aura alors, par l’effet combiné des articles 1642-1 et 1648 al 2 du code civil, un délai d’une année à compter de la plus tardive des deux dates que constitueront la réception ou la livraison, pour dénoncer (et interrompre par une action en justice la prescription annale) l’ensemble des désordres apparents.
En somme :
le maître de l’ouvrage doit dénoncer dès la réception l’ensemble des désordres apparents sous peine de perdre tous ses recours ;
l’acquéreur dispose d’un délai d’un an à compter de la réception ou de la livraison pour dénoncer l’ensemble des désordres apparents.
La réception et la livraison concerne ainsi deux étapes différentes et produisent des conséquences distinctes.
3. Dans l’arrêt précité, un syndicat de copropriétaires, qui allait prendre possession des parties communes d’un immeuble construit et commercialisé sous forme de VEFA, et qui était donc dans la position de l’acquéreur, avait préalablement participé aux opérations de réception entre le maître de l’ouvrage (le vendeur-promoteur) et les entreprises.
Et ce bien que, comme rappelé précédemment, l’acquéreur ne joue, juridiquement, aucun rôle à la réception de l’ouvrage.
La réception avait été prononcée sans réserve : de sorte qu’à l’égard du maître de l’ouvrage (vendeur), la réception avait purgé les désordres alors apparents de toute garantie due par les entreprises.
Pourtant le syndicat de copropriétaires (dans la position de l’acquéreur) allait solliciter, postérieurement à la réception, puis à la livraison, la condamnation du vendeur à effectuer des travaux de reprises sur les façades de l’immeuble qui présentaient en l’espèce des non-conformités aux plans, lesquelles étaient apparentes à la réception.
Le vendeur se prévalait alors de la participation du syndicat des copropriétaires, acquéreurs, à la réception, et prétendait en conséquence que cette réception, intervenue sans réserves avait purgé les désordres apparents (en l’espèce les défauts affectant les façades) de toute garantie, y compris à l’encontre de l’acquéreur.
La Cour de Cassation rejette donc l’argumentation du vendeur aux motifs que « la réception des travaux prononcée sans réserve par le vendeur en l’état futur d’achèvement est sans effet sur son obligation de livrer un ouvrage conforme aux stipulations contractuelles et que la participation des acquéreurs à cette réception n’a aucun effet juridique. »
Ce qui est parfaitement logique puisque, sur un plan juridique, l’acquéreur ne participe pas à la réception, mais simplement à la livraison.
La Cour de Cassation réaffirme ainsi très clairement les domaines respectifs de la réception et de la livraison en matière de vente en l’état futur d’achèvement.
L’acquéreur ne peut juridiquement pas recevoir avant d’être livré.
Raphaël BERGER
Avocat au barreau de Lyon, spécialisé en droit de la construction