37 agences de mannequins et leur syndicat pro condamnés pour entente... et l’Etat dans tout ça ?

Par Martin Lacour, Avocat.

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Explorer : # entente anticoncurrentielle # agences de mannequins # autorité de la concurrence # responsabilité de l'État

Dans les années 2000, on a pu constater que des grilles tarifaires syndicales sont utilisées comme base de référence pour les négociations avec les clients des principales agences de mannequins du marché français (annonceurs, maisons de couture, magazines de mode, etc…). Le phénomène était particulièrement visible lors de l’organisation des Fashion weeks, avec un recours quasi systématique à ces grilles, le plus souvent sans négociation. En forçant le trait, on pourrait être tenté d’affirmer que les agences pratiquaient toutes le même taux de commission et le même montant facturé ! Cela ne pouvait pas laisser le gendarme de la concurrence indifférent.

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Par une décision du 29 septembre 2016, l’Autorité de la concurrence sanctionne ces ententes. Les différents protagonistes, dont les plus grandes agences de mannequins de la place font partie, sont sanctionnés, à hauteur de 2.381.000 euros d’amende au total, tenant compte à la fois de la gravité des pratiques et du dommage causé à l’économie.

Chaque année, après la négociation annuelle obligatoire sur les minimas salariaux, le principal syndicat professionnel du secteur d’activité élaborait et diffusait des grilles tarifaires, qui fixaient le prix total des prestations de mannequinat à facturer au client, incluant non seulement la rémunération du mannequin mais aussi la marge de l’agence. Dès lors, les tarifs syndicaux étaient clairement déconnectés des minima sociaux. En outre, des réunions étaient organisées pour l’élaboration des grilles avec les agences, et ces dernières se seraient même interdit de diffuser leurs propres grilles tarifaires !

-* I. Condamnation sur le fondement de l’article L. 420-1 du Code de commerce

Sans véritable surprise, l’Autorité de la concurrence vient de considérer que le syndicat et les agences en question ont porté atteinte à la concurrence sur le marché des prestations d’agences de mannequins, au détriment des clients.
La décision est fondée sur l’article L. 420-1 du Code de commerce, qui prohibe expressément les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché. C’est notamment le cas lorsque l’entente fait obstacle à la fixation des prix par le jeu libre du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse, ou en limitant ou contrôlant la production.

Ce qui est regrettable, en revanche, c’est que l’Autorité considère, sur le terrain de la preuve, que les comparaisons effectuées par les services de la DGCCRF entre les grilles syndicales et les factures de plusieurs agences de mannequins sur une certaine période ne sont pas nécessaires à la démonstration de l’adhésion des entreprises à l’entente. L’autorité considère en effet que l’adhésion des agences concernées au règlement intérieur – et en particulier à son article 8 dont l’objet est anticoncurrentiel en ce qu’il interdit toute possibilité pour les agences de promouvoir des barèmes tarifaires autres que ceux du Syndicat – suffit à établir l’entente. On aurait pu espérer que cette circonstance suffise à établir une simple présomption…. réfragable.

Évidemment, le raisonnement de l’Autorité est transposable à bien d’autres secteurs. A bon entendeur…

-* II. Quid de la responsabilité de l’État et des pouvoirs publics ?

Sur la question de la responsabilité de l’État et des pouvoirs publics, l’Autorité de la concurrence ne dévie pas de ce qu’elle a déjà affirmé à l’occasion de l’affaire des « Banques », considérant que le fait que des pratiques anticoncurrentielles aient été approuvées ou encouragées par les pouvoirs publics n’est pas suffisant pour dégager les entreprises mises en cause de leur responsabilité. En se fondant sur la décision du Conseil de la concurrence n°05-D-10 du 15 mars 2005, l’Autorité considère en effet que l’intervention publique ne peut constituer une telle cause d’exonération que si le cadre juridique qu’elle fixe est contraignant.

Elle considère ainsi que la circonstance selon laquelle les pouvoirs publics avaient connaissance des pratiques anticoncurrentielles n’est pas de nature à dégager les entreprises mises en cause de leur responsabilité (§269).

L’Autorité va même plus loin, en considérant qu’il ne relève pas de la compétence des autorités chargées de délivrer les licences d’État aux agences de mannequins de vérifier la conformité des grilles tarifaires syndicales au droit de la concurrence, mais de s’assurer de la viabilité économique du projet sur la base d’un budget prévisionnel et d’une étude de marché produite par les candidats à la licence d’État (§270).

Cela nous paraît très discutable, et une évolution du droit en la matière est souhaitable. L’État ne peut se montrer schizophrène à ce point. Il en va de la viabilité des projets portés par les entrepreneurs.

D’autant qu’en l’espèce un cadre contraignant a bien existé, et que l’Autorité de la concurrence refuse de le prendre en compte en tant que « circonstance atténuante ». Le régime de prix administrés des prestations de services afférentes aux mannequins a été instauré par l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix et l’ordonnance n°45-1484 relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la réglementation économique. Mais ces ordonnances ayant été abrogées par l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. La formulation adoptée par l’Autorité est particulièrement dure, et laisse peu de place à l’interprétation : « le fait que l’élaboration et la diffusion de grilles tarifaires s’inscrivent dans la continuité d’une ancienne pratique autorisée de prix administrés n’enlève pas à cette pratique son caractère anticoncurrentiel dès lors que celle-ci a perduré alors que les prix du secteur n’étaient plus encadrés » (§266).

Reste à voir si le Syndicat et les agences concernées tenteront tout de même d’engager la responsabilité de l’État dans cette affaire.

Martin Lacour
Avocat au barreau de Paris.

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