1. L’ARA, un exhausteur de l’article 21 du CPC.
L’ARA, audience de règlement amiable, vient réveiller la mission de conciliateur du magistrat.
En effet le juge national ne s’est que peu emparé des dispositions de l’article 21 du Code de procédure civile qui énonce, depuis le 1ᵉʳ janvier 1976 qu’« il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».
L’ARA confère à un tiers, qui est un juge dédié, le rôle d’amener les parties à trouver un accord pour mettre fin au litige qui les oppose, c’est la mise en œuvre de sa fonction de conciliation.
Or depuis la loi n° 95-125 du 8 février 1995 est entré dans notre dispositif législatif un mode amiable de résolution des différends, la médiation.
Il s’agit de délaisser le juge, parfois à sa demande, pour rencontrer un tiers, neutre, impartial et indépendant, le médiateur.
Souvent mal comprise par les juges et les avocats, qui voient en elle une justice privée payante, elle peinera à s’imposer dans le cadre judiciaire.
Le juge d’instance, juge de proximité, connait et pratique la conciliation, qu’il délègue souvent à un conciliateur de justice.
Ce conciliateur travaille dans l’ombre du juge, ce qui lui confère une AURA proche de l’ARA.
2. Aimable n’est pas toujours amiable.
2.1. L’ARA et les MARD.
- 2.1.1. L’ARA.
L’audience de règlement amiable peut se définir ainsi :
"L’audience de règlement amiable a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties." (Article 774-2 CPC)
"L’audience de règlement amiable a pour finalité […] la compréhension des principes juridiques applicables au litige." (Article 774-2 CPC)
L’intégration et la prise en compte des principes juridiques applicables au litige dans sa résolution fait de l’ARA un outil différent des MARD actuels.
Ainsi où l’ARA se situe-t-elle dans la fratrie de l’amiable ?
• Elle n’est pas la sœur de la médiation.
• Elle n’est pas cousine avec la procédure participative.
• Elle a cependant un lien de parenté avec la conciliation.
• Elle a également un lien quasi gémellaire avec le juge du fond.
Le juge de l’ARA comme le conciliateur de justice est délégué par le juge du fond.
Le juge de l’ARA énonce aux parties les principes juridiques applicables au litige.
"Le juge [du fond] tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables."
L’office du juge du fond consiste à déterminer la solution de droit applicable au litige qu’il lui est demandé de trancher.
Le juge de l’ARA invite les parties à la recherche d’une solution créative et satisfaisante mais dans la limite de la compréhension des principes de droit applicables au litige.
Le ministère de la Justice sur son site (justice.gouv.fr) présente l’ARA de la façon suivante :
"Le juge tient un rôle central : il rappelle les grands principes de droit applicables à la matière, pour permettre aux parties d’affiner leurs positions et de les faire converger vers un accord."
Ainsi la colonne vertébrale de l’ARA c’est un juge et le droit applicable.
Le juge de l’ARA, comme le juge du fond, siège au tribunal et s’attache à trouver une solution conforme aux principes juridiques applicables au litige.
Il est à craindre que le justiciable ne fasse pas la différence entre les deux et ne se sente pas dans un espace amiable et confidentiel.
- 2.1.2. Les MARD.
Les MARD sont connus sous l’appellation de Modes Amiables de Règlement des Différends.
Mais ils sont aussi des Modes Apaisés de Restauration du Dialogue.
"La médiation régie par le présent chapitre s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends".
Le médiateur n’a ni pour mission ni pour finalité la résolution du différend.
Il est distant de la règle de droit.
Il aide les parties à résoudre par elle-même leur différend dans un environnement différent du tribunal.
C’est une solution choisie, consentie, satisfaisante, non contrainte.
Alors que le juge de l’ARA comme le conciliateur ont un rôle plus directif et moins créatif en traçant la solution sur les pas du droit.
Si le juge de l’ARA a bien pour mission la résolution du différend, il entend y parvenir, comme le juge du fond, par la résolution du litige.
Ainsi le juge de l’ARA est plus aimable qu’amiable.
2.2. L’ARA et les parties.
Lorsque le différend des parties se transforme en litige, elles saisissent le juge du fond et prennent la qualité de justiciables, d’adversaires.
Celui-ci peut désormais se défausser du litige sur son collègue le juge de l’ARA qui hérite aussi bien du litige que du différend.
Les parties passent alors d’une pièce à l’autre mais demeurent face au juge et conservent leur étiquette de justiciables.
Lorsque la représentation est obligatoire, la présence de l’avocat l’est aussi.
Rien ne change ou presque.
Au lieu de trancher le juge de l’ARA demande aux parties de trouver une solution sous la forme d’un rapprochement dans la compréhension des principes de droit applicables au litige.
La recherche de solutions ainsi enfermée risque d’être moins créative que dans les autres MARD et surtout de n’aborder que le litige, c’est-à-dire de ne soigner que les effets du conflit sans s’attacher à leur cause.
Les avocats et les parties resteront plutôt figés dans leurs postures habituelles plutôt que celle de partenaire pour concourir à la solution.
3. Quand l’amiable chancelle.
Le garde des Sceaux est-il sincère quand il affirme que l’ARA et la césure sont deux nouveaux modes amiables venant élargir l’offre actuelle de déjudiaricisation des conflits ?
Assurément non.
L’objectif est l’accélération du déstockage des dossiers que la chancellerie croyait pouvoir atteindre par les MARD qui n’en sont pas en capacité en raison des réticences de la famille judiciaire et de leur nature même.
Les magistrats, sauf les convertis à l’amiable, défendent une justice gratuite contre une justice payante.
Or si le juge a le sentiment que sa prestation est "gratuite" pour le justiciable, il ne l’accomplit pas bénévolement et le justiciable la finance indirectement par l’impôt.
Il faut encore distinguer gratuit et moins cher.
La justice est chère, le justiciable doit payer l’avocat pour sa prestation de base à laquelle peut s’ajouter divers incidents, un postulant, l’éventuel recours à des techniciens, un appel, un pourvoi, un droit de plaidoirie, un timbre de justice, qui génèrent des coûts parfois très élevés alors qu’ils peuvent être très largement réduits et maitrisés dans l’exercice des MARD, notamment en médiation ou en procédure participative.
Les avocats, sauf les convertis à l’amiable, croient perdre des honoraires en réglant trop vite les conflits, alors qu’ils en gagnent par la rotation plus rapide des dossiers, par les économies des temps de recherches juridiques et jurisprudentielles, par l’absence de rédaction de conclusions, par la neutralisation des temps non facturables, par le traitement d’un plus grand nombre de dossiers.
La césure comme l’ARA visent à garder dans l’enceinte judiciaire ses propres modes de déstockage afin de rassurer magistrats et avocats.
Par son côté directif et solennel l’ARA pousse le justiciable à la signature d’un accord "gagnant / gagnant" ou "gagnant / perdant" mais plus difficilement "satisfait / satisfait".
Le juge de l’ARA et un magistrat honoraire ou un magistrat à titre temporaire qui est appelé en soutien de ses collègues et qui se fera un devoir de les aider en restreignant le renvoi des dossiers au fond en faisant signer des accords même imparfaits.
4. L’ARA qui rit.
Il n’a rien à voir avec son homonyme japonais radical.
Le déstockage des dossiers dans les juridictions est une légitime préoccupation et une nécessaire préoccupation dans l’intérêt des magistrats exsangues et des justiciables désespérés, d’une justice désavouée.
La chancellerie désargentée veut redorer le blason de la justice à effectifs et moyens constants.
Il n’est à n’en pas douter que les magistrats convaincus de la puissance de l’amiable et au fil du temps leurs collègues qui s’en imprègneront se saisiront de l’ARA non pas pour rendre une justice accélérée à n’importe quel prix mais pour une justice apaisée et donc plus efficace en termes de pérennité et d’image.
Le juge de l’ARA aura besoin de temps, le magistrat honoraire en a.
Le décret de financement de l’ARA va lui permettre de se développer jusqu’à sa vitesse de croisière.
Il n’est à n’en pas douter que le juge de l’ARA saura faire valoir son impartialité et sa mesure dans le rappel des principes juridiques applicables au litige afin de laisser toute la place aux parties pour confronter leurs positions, exprimer leurs besoins et rechercher des solutions "satisfait / satisfait" avec l’aide d’avocats de mieux en mieux formés.
Souhaitons qu’avec l’ARA qui rit, la justice aussi, d’avoir retrouvé la confiance des justiciables.