Avocats en droit de la santé : lien entre IMC et faute obstétricale.

Par Dimitri Philopoulos, Avocat.

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Explorer : # erreur médicale # responsabilité médicale # infirmité motrice cérébrale # anoxie néonatale

La famille de la victime d’une infirmité motrice cérébrale (IMC) et son avocat ne manqueront pas de noter un arrêt du 28 juin 2021 rendu par le Conseil d’Etat car celui-ci revient sur les difficultés relatives au lien de causalité entre l’infirmité motrice cérébrale et le retard fautif de l’extraction de l’enfant à naître.

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Lors d’un litige concernant une anoxie (manque d’oxygène) subie pendant la naissance d’un enfant atteint d’une infirmité motrice cérébrale (IMC), parfois appelée paralysie cérébrale, des contestations sur le lien de causalité sont fréquentes.

En effet, les avocats spécialistes des erreurs médicales ont pour objectif de montrer que ce lien de causalité est établi. En revanche, les assureurs tentent systématiquement de rompre le lien causal ce qui évite la responsabilité de la sage-femme, du gynécologue-obstétricien ou de l’établissement de santé. A défaut de pouvoir le rompre totalement, ils tentent de convaincre le juge qu’il s’agirait plutôt d’une perte de chance. Lorsqu’une perte de chance est retenue d’emblée par les experts, ils tentent de la réduire à une faible proportion.

Malheureusement, les contestations des assureurs sont souvent infondées et font fi des données acquises de la science médicale [1] [2] [3].

En ce sens, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt topique du 28 juin 2021 [4].

I. Faits et procédure.

Une jeune victime a conservé un handicap lourd à la suite de complications survenues pendant sa naissance.

Dans ces conditions, agissant en qualité de représentants légaux de leur enfant et en leur nom personnel, ses parents ont saisi le tribunal administratif afin de condamnation du center hospitalier à une indemnisation de leurs préjudices.

Le premier juge a condamné l’hôpital pour une faute de surveillance pendant l’accouchement [5]. Cette faute médicale résulte de l’apparition d’anomalies du rythme cardiaque fœtal ce qui aurait dû motiver l’appel de la sage-femme au gynécologue obstétricien de garde. En outre, le risque important d’acidose métabolique (traduisant un manque d’oxygène de l’enfant à naître) aurait dû conduire le gynécologue obstétricien à pratiquer une extraction instrumentale rapide par forceps ou ventouse.

Pour le premier juge, les fautes commises au sein de la maternité sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier permettant l’allocation de diverses sommes pour indemniser la perte de chance d’éviter le handicap.

Le second juge a confirmé le principe de la responsabilité mais a réduit le taux de la perte de chance et dans cette proportion le montant des indemnités [6].

Dans ses motifs, le second juge a exposé :

« Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise judiciaire, qu’il existait des risques intrinsèques d’anoxie anténatale ou périnatale, tels que le diabète gestationnel dont souffrait la mère, l’hypotrophie de l’enfant, constatée à la naissance, ou la circonstance que cette dernière est porteuse d’une délétion chromosomique susceptible de provoquer un autisme ou une déficience intellectuelle avec paralysie cérébrale. Par ailleurs, les anomalies significatives du rythme cardiaque fœtal qui se sont prolongées durant l’accouchement, du fait du défaut de surveillance et du retard pris dans l’extraction, ont aggravé le risque de défaut d’oxygénation cérébrale, alors que cette aggravation aurait pu être minimisée par une extraction plus précoce. Dans ces conditions, l’enfant doit être regardée, en raison de la faute commise lors de l’accouchement, comme ayant perdu une chance de naître sans séquelles. Compte tenu des facteurs de risque tels qu’ils sont rappelés ci-dessus et des indications portées par les experts dans leur rapport, ce taux de perte de chance ne saurait excéder 50 %, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges qui ont retenu, sans l’étayer, un taux de 90 % ».

Les parents de la victime ont formé un recours devant le Conseil d’Etat afin de contester cette réduction du taux de la perte de chance.

II. Solution du Conseil d’Etat.

Dans sa décision du 28 juin 2021, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« Il résulte des termes de l’arrêt attaqué que, pour juger que le manquement fautif du centre hospitalier à son devoir de surveillance lors de l’accouchement de X... n’était en lien direct qu’avec une perte de chance pour la jeune Y... de se soustraire aux séquelles dont elle est atteinte, la cour s’est fondée sur la circonstance que le diabète gestationnel dont souffrait X..., l’hypotrophie du fœtus et la délétion chromosomique dont Y... est porteuse constituaient trois facteurs de risque susceptibles d’être chacun, même en l’absence de faute du service public hospitalier, la cause des dommages subis par l’enfant.

Toutefois, en estimant, pour fixer à 50% le taux de cette perte de chance, que la délétion chromosomique dont Y... est porteuse constituait, pour cet enfant, un facteur de risque d’anoxie lors de sa naissance, alors qu’un tel lien possible de causalité ne ressortait d’aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond et, notamment, ni de l’expertise ordonnée par le tribunal administratif, qui relevait l’absence de cas connus d’encéphalopathie néonatale précoce d’origine anoxique chez les personnes porteuses de cette délétion chromosomique, ni de l’avis du médecin généticien produit par les requérants, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, X... et Z... sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent en tant qu’il statue sur les préjudices de leur enfant mineure ».

III. Discussion.

Pour censurer l’arrêt du second juge, le Conseil d’Etat s’est fondé sur la dénaturation des pièces du dossier.

Les juges du fond peuvent interpréter souverainement les termes des écrits, comme un rapport d’expertise, notamment lorsqu’il contient des énonciations ambiguës. L’interprétation souveraine ne relève pas du contrôle du Conseil d’Etat (ni de la Cour de cassation). En revanche, cette souveraine appréciation n’est pas sans limite. Le juge du fond ne peut dénaturer le sens des écrits ce qui relève de la censure.

Dans l’affaire rapportée, ni l’expertise, ni l’avis du médecin généticien n’a soulevé un lien entre l’anomalie génétique et le handicap de l’enfant. Ces pièces sont dépourvues d’ambiguïté sur ce point.

Dans ces conditions, la cour administrative d’appel n’a pas interprété des termes clairs de ces pièces mais a déformé le sens de celles-ci. La censure par le Conseil d’Etat était donc justifiée.

Cette dénaturation des pièces montre bel et bien que les prétentions de l’hôpital n’étaient pas fondées sur des données scientifiques avérées.

Il convient de rappeler que pour attribuer une encéphalopathie néonatale ou une paralysie cérébrale à une asphyxie per-partum, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a publié en 2007 neuf critères d’imputabilité dont les quatre premiers sont obligatoires.

Ces quatre critères cumulatifs sont les suivants :

1) une acidose métabolique mise en évidence par un prélèvement au cordon sur l’artère ombilicale ou précocement chez le nouveau-né ;

2) une encéphalopathie précoce modérée à sévère chez un enfant né au moins à 34 semaines d’âge gestationnel ;

3) une infirmité motrice d’origine cérébrale (paralysie cérébrale) de type quadriplégie spastique ou de type dyskinétique ;

4) l’exclusion des autres causes telles que traumatisme, troubles de la coagulation, pathologie infectieuse, problème génétique.

C’est donc le quatrième critère qui a posé une difficulté dans l’espèce rapportée puisque le centre hospitalier a allégué que le problème génétique pourrait être à l’origine du handicap de l’enfant.

Cependant cette allégation n’était pas fondée sur des preuves scientifiques mais sur de simples hypothèses contredites clairement par l’expertise et l’avis du médecin généticien.

Le second juge devait donc dénaturer ces preuves écrites pour faire droit à la prétention du centre hospitalier. Cette dénaturation permet au Conseil d’Etat n’annuler l’arrêt attaqué.

Quant à son homologue judiciaire, la Cour de cassation a déjà sanctionné le juge du fond d’avoir écarté le lien de causalité entre le handicap et le retard dans l’extraction de l’enfant dans un contexte où l’acidose métabolique n’a pu être vérifiée faute de prélèvement, où l’enfant n’a pas présenté de paralysie cérébrale de type quadriplégie ou de type dyskinétique et où l’enfant était atteint d’un retard de croissance intra-utérin [7].

IV. Côté pratique.

L’arrêt rapporté montre que l’avocat spécialiste en droit médical doit vérifier à ce que le juge ne déforme pas le sens d’un rapport d’expertise dépourvu d’ambiguïté ce qui traduit la dénaturation.

En amont, il faut également vérifier que les énonciations des experts sont étayées par des études scientifiques de bonne qualité méthodologique et de taille adéquate.

En tout état de cause, l’avocat spécialisé en droit de la santé sera confronté à ces critères d’imputabilité d’une infirmité motrice cérébrale à une asphyxie fœtale.

Afin de pouvoir défendre efficacement l’enfant atteint d’une infirmité motrice cérébrale et sa famille, il est important de se familiariser avec ces critères.

Plus d’informations sur ces critères sont disponibles en ligne [8].

D’autre part, un traitement par l’hypothermie contrôlée dans les premières heures de vie de la victime peut mettre en alerte son avocat car ce traitement renforce la probabilité que l’enfant a subi une anoxie lors de l’accouchement.

Il en est ainsi car les critères de sélection pour ce traitement ont pour objectif de cibler les enfants qui ont réellement subi un manque d’oxygène pendant l’accouchement afin qu’il puisse en bénéficier dans les meilleurs délais après la naissance.

Enfin, il est important de travailler avec un médecin conseil rodé dans ce type d’affaire de responsabilité médicale car les données acquises de la science médicale en ce domaine subissent de fréquentes modifications importantes.

Dimitri PHILOPOULOS
Avocat à la Cour de Paris
Docteur en médecine
https://dimitriphilopoulos.com

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Notes de l'article:

[1D Philopoulos, Critères d’imputabilité d’une infirmité motrice d’origine cérébrale à un manque d’oxygène pendant l’accouchement, Médecine & Droit, 2009 (97) : 115-119.

[2D Philopoulos, Réponse à l’article : Est-il possible de prévenir l’infirmité motrice d’origine cérébrale ?, Gynécologie Obstétrique & Fertilité, 2008 (36) : 494-498.

[3D Philopoulos, Critères américains d’imputabilité médicolégale d’une infirmité motrice d’origine cérébrale à un manque d’oxygène pendant le travail d’accouchement, Médecine & Droit, 2008 (88) : 14-16.

[4CE, 5e ch., 28 juin 2021, n° 440981

[5Tribunal administratif de Caen, 28 mai 2018, jugement n° 1501984.

[6CAA Nantes, 3e ch. 2 avril 2020, n° 18NT02851.

[7Cass. Civ. 1e, 24 octobre 2019, pourvoi n° 18-19459

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