Un arrêt rendu le 16 octobre 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation présente un intérêt pour les avocats en droit de la santé car il concerne les difficultés de preuve pour la victime d’erreur médicale en cas d’absence ou d’insuffisance d’informations dans le dossier médical [1].
I. Les faits et la procédure.
La victime a subi une arthroscopie de la hanche.
Malheureusement, au cours de l’intervention, une rupture d’une broche guide métallique est survenue.
Après une expertise ordonnée en référé, la victime a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien, l’assureur de ce dernier étant intervenu volontairement à l’instance.
II. L’arrêt de la cour d’appel et la solution de la Cour de cassation.
Se fondant sur le rapport d’expertise, le cour d’appel a relevé que la Société française d’arthroscopie (SFA) recommandait lors d’une arthroscopie de hanche de commencer l’intervention par une introduction d’air puis de sérum physiologique dans l’articulation afin de faciliter la distraction articulaire et la mise en place des dilatateurs articulaires.
Cette introduction n’était pas retranscrite dans le compte-rendu opératoire mais lors de l’expertise le chirurgien avait indiqué y recourir systématiquement.
La cour d’appel a décidé que l’état séquellaire de la victime (en lien direct avec la rupture de la broche) pouvait avoir deux origines distinctes, soit sa constitution anatomique outre la présence d’arthrose, soit un manquement du chirurgien qui n’aurait pas suivi la recommandation de la SFA ce qui est une simple hypothèse, non avérée, de sorte que le patient n’établissait pas l’existence d’une faute du chirurgien.
Or, sur un moyen relevé d’office, la Haute juridiction casse l’arrêt au visa des articles L1142-1, I, alinéa 1ᵉʳ, du Code de la santé publique et 1353 du Code civil et énonce le principe selon lequel :
« dans le cas d’une absence ou d’une insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d’en rapporter la preuve ».
Selon l’arrêt, la cour d’appel a violé les textes susvisés car en l’absence d’éléments permettant d’établir que la recommandation de la SFA avait été suivie, il appartenait au médecin d’apporter la preuve que les soins avaient été appropriés.
III. Intérêt de l’arrêt pour les praticiens de la responsabilité médicale.
L’arrêt rapporté de la Cour de cassation est d’une importance considérable car l’avocat en droit de la santé est souvent confronté à une absence ou une insuffisance d’informations dans le dossier médical.
Outre l’article L1142-1, I, alinéa 1ᵉʳ, du Code de la santé publique, l’arrêt est prononcé au visa de l’article 1353 du Code civil aux termes duquel :
« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
La Cour de cassation rappelle le principe du premier alinéa de ce texte suivant lequel la preuve d’une faute comme celle d’un lien causal incombe au demandeur.
Néanmoins, pour la Haute juridiction, il y a une exception à ce principe dans le cas d’une absence ou d’une insuffisance d’informations sur la prise en charge, plaçant la victime ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés : dans ce cas, il incombe au professionnel de santé d’en rapporter la preuve.
D’une certaine manière, en cas de lacune dans le dossier médical, la Cour de cassation bascule dans le second alinéa de l’article 1353 du Code civil car le médecin qui se prétend libéré de son obligation doit apporter la preuve de la conformité des soins.
Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation se prononce sur ce type de difficulté de preuve pour la victime d’erreur médicale.
En effet, en 2012, en matière de responsabilité de la maternité lors d’un accouchement compliqué, la Cour de cassation a décidé [2] :
« Qu’en statuant ainsi, alors que, faute d’enregistrement du rythme fœtal pendant plusieurs minutes, il incombait à la clinique d’apporter la preuve qu’au cours de cette période, n’était survenu aucun événement nécessitant l’intervention du médecin obstétricien, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation des textes susvisés ».
Ainsi, en matière de responsabilité de la clinique, le défaut d’enregistrement ou la perte du tracé du rythme cardiaque fœtal n’empêche pas les parents d’obtenir réparation du préjudice subi par la jeune victime d’une infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale).
De même, en 2014, toujours en matière de responsabilité obstétricale, la Cour de cassation a décidé [3] :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence dans le dossier, par la faute du gynécologue-obstétricien, d’éléments relatifs à l’état de santé et à la prise en charge de la victime entre le moment sa naissance, où une hémorragie avait été constatée, et celui de son hospitalisation, il appartenait au médecin d’apporter la preuve des circonstances en vertu desquelles cette hospitalisation n’avait pas été plus précoce, un retard injustifié étant de nature à engager sa responsabilité, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation des textes susvisés ».
Cet arrêt précise explicitement que la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en cas d’absence dans le dossier de certains éléments.
Enfin, en 2018, dans le cadre d’une action récursoire de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM), la Cour de cassation a décidé [4] :
« Et attendu qu’ayant relevé que la polyclinique avait perdu le dossier médical de la victime et n’était pas en mesure d’apporter la preuve qu’aucune faute n’avait été commise lors de l’accouchement, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que l’ONIAM était fondé à exercer un recours subrogatoire à l’encontre de cet établissement de santé et de l’assureur ».
A travers ces décisions, la Cour de cassation tient compte des difficultés pour la victime d’apporter la preuve d’une faute lorsque cette preuve n’est pas possible en raison de la perte du dossier médical.
Malgré cette jurisprudence antérieure (sauf l’arrêt de 2014), l’arrêt rapporté a été publié au Bulletin peut-être parce qu’il ne s’agissait pas d’un dossier médical simplement perdu : en l’espèce, le compte rendu opératoire était bien présent dans le dossier mais le geste médical litigieux n’était pas retranscrit dans ce compte-rendu.
En tout cas, la solution de la Cour de cassation paraît logique car c’est le médecin qui rédige son compte rendu opératoire. Celui-ci est donc à l’origine de toute précision qui manque dans l’écrit.
Cette arme prétorienne devrait permettre à l’avocat de la victime d’erreur médicale de surmonter une absence ou une insuffisance d’informations dans le dossier médical.