Le syndrome du bébé secoué (SBS) désigne un traumatisme crânien non-accidentel (TCNA) grave provoqué par un secouement (seul ou associé à un impact). Il s’agit d’une forme grave de maltraitance infantile.
En France, la Haute autorité de la santé estime qu’une centaine de bébés en sont victimes chaque année. Le syndrome du bébé secoué survient le plus souvent chez un nourrisson de moins d’un an et dans 2/3 des cas de moins de six mois.
Les conséquences peuvent être très lourdes : décès, séquelles de traumatisme crânien (retard mental, paralysie, cécité, épilepsie,…).
Les autorités publiques tentent de sensibiliser les jeunes parents et les professionnels de l’enfance au syndrome du bébé secoué notamment à travers des politiques publiques tels que « les 1 000 premiers jours » ou en diffusant des vidéos de sensibilisation.
Malgré ces efforts de sensibilisation, le syndrome du bébé secoué continue de faire des victimes, ouvrant droit à réparation (I.). Avant d’envisager les actions en réparation possibles (III.), il faut étudier l’étendue de cette réparation (II.).
L’indemnisation est une compensation financière destinée à réparer le dommage subi du fait du traumatisme. Elle permet notamment de faire face aux besoins actuels et futurs de l’enfant.
I. Le droit à réparation.
Qui peut prétendre à une indemnisation ?
D’abord, le bébé qui a directement subi le préjudice est une victime directe et peut donc prétendre à une indemnisation. Un mineur ne disposant pas de la capacité juridique pour ester en justice, c’est alors aux représentants légaux d’agir à sa place.
Toutefois, lorsque l’auteur des violences est un des représentants légaux, il est nécessaire de désigner un administrateur ad hoc [1]. Indépendant des représentants légaux, il est le référent et l’accompagnateur du mineur. Sa mission consiste notamment à agir en justice aux fins d’indemnisation.
Par ailleurs, les proches du bébé, notamment les parents, peuvent être considérés comme des victimes indirectes et, à ce titre, prétendre également à une indemnisation.
II. L’étendue de la réparation.
Avant d’envisager les différents postes de préjudices indemnisables tant pour les victimes directes que pour les victimes indirectes (B.), il faut s’intéresser à l’évaluation des préjudices (A.).
A. L’évaluation des préjudices.
Le recours à l’expertise médicale est systématique pour l’évaluation des préjudices de la victime directe.
Choisi parmi les professionnels de santé figurant sur la liste près de la cour d’appel, l’expert évalue la cause, les circonstances et les préjudices du mineur [2]. Il se prononce sur l’imputabilité des séquelles que présente le mineur au syndrome du bébé secoué.
Ainsi, l’expert s’appuie notamment sur l’imagerie médicale (scanner, IRM, radiologie) et l’examen du fond d’œil qui sont des techniques essentielles pour détecter le traumatisme.
Pour aider le praticien, la Haute autorité de santé a émis des recommandations en 2011, réactualisées en 2017 détaillant notamment les critères diagnostiques.
L’une des recommandations rappelle qu’un diagnostic du syndrome du bébé secoué porte uniquement sur les éléments de nature médicale afin d’évaluer le préjudice, et est totalement distinct de la qualification pénale.
Conformément au principe de présomption d’innocence, ce n’est pas aux professionnels de santé de déterminer l’auteur du traumatisme [3].
Si une expertise est en défaveur de la victime, une contre-expertise ou une nouvelle expertise peut être demandée.
En outre, l’expert judiciaire, disposant de l’ensemble du dossier médical, précise la date exacte du secouement.
Enfin, pour obtenir l’indemnisation définitive de son préjudice corporel, la victime doit être consolidée, c’est-à-dire que la situation médicale de la victime directe doit être stabilisée, ne plus être susceptible d’évoluer.
Etant donné que la consolidation intervient souvent après l’âge de 18 ans, des expertises d’étape sont ordonnées pour évaluer régulièrement l’évolution de la situation du mineur avant sa consolidation.
Par ailleurs, des provisions sont accordées dans l’intervalle. Ces provisions visent à couvrir les besoins de la victime au fur et à mesure de leur apparition afin d’éviter l’aggravation du préjudice. Il est en effet nécessaire de pouvoir faire face par exemple aux frais d’assistance par tierce personne ou d’aménagement du domicile rendus nécessaires avant la consolidation du préjudice de l’enfant.
B. Les postes de préjudices indemnisables.
La nomenclature Dintilhac est un référentiel non exhaustif et non obligatoire des différents postes de préjudices. En pratique, il est très utilisé par les professionnels de santé et de justice.
1. Les préjudices indemnisables de la victime directe.
1.1. Les préjudices patrimoniaux indemnisés sont :
Les dépenses de santé actuelles et futures : frais hospitaliers, médicaux (ergothérapie, psychomotricité, kinésithérapie), paramédicaux et pharmaceutiques ; suivi médical.
Le préjudice scolaire, universitaire ou de formation : indemnisation de la renonciation à une certaine scolarité ; coût de l’aide personnalisée ou de l’éducation spéciale ou structure spécialisée.
Dans certaines hypothèses, la gravité du handicap de l’enfant empêche toute scolarisation.
Le préjudice scolaire doit être évalué et réparé même si on retient par ailleurs que la victime sera dans l’impossibilité d’occuper une activité professionnelle rémunérée.
L’incidence professionnelle : indemnisation en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, perte de chance professionnelle, augmentation de la pénibilité.
Dans les cas les plus graves de bébé secoué, est réparée l’impossibilité totale pour la victime d’accéder à un emploi rémunéré.
Les pertes de gains professionnels futurs : il s’agit de la perte de revenus subie à compter de la consolidation. Elle peut être évaluée en prenant pour base une perte de chance de percevoir le salaire moyen mensuel selon l’INSEE [4].
Les frais divers : frais de transport, frais de médecin-conseil pour être assisté lors des expertises, assistance par tierce personne avant consolidation [5].
Assistance par tierce personne après consolidation : Le syndrome du bébé secoué pouvant entraîner des lésions particulièrement sévères, il peut être nécessaire pour la victime d’être assistée à vie par une ou plusieurs tierces personnes.
Frais de logement adapté : en présence d’un enfant très lourdement handicapé pris en charge au domicile, des aménagements du domicile sont indispensables (aménagement de la salle de bains, lit médicalisé). Il peut être aussi nécessaire de changer de logement.
Frais de véhicule adapté : il est souvent nécessaire d’aménager le véhicule pour pouvoir transporter l’enfant handicapé.
1.2. Les préjudices extrapatrimoniaux indemnisés sont :
Le déficit fonctionnel temporaire : indemnisation de l’invalidité subie par le bébé, de la perte de qualité de vie (séparation avec sa famille pendant les hospitalisations, la privation de certaines activités ou la réduction définitive du potentiel physique, psychique ou intellectuel).
Le déficit fonctionnel permanent : Il s’agit d’indemniser le préjudice permanent résultant de l’incapacité.
Le pretium doloris : souffrances endurées physiques et psychiques.
Le préjudice esthétique temporaire et permanent : altération de son aspect physique.
Le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent [6].
Le préjudice d’agrément : impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement un activité spécifique sportive ou de loisirs.
Le préjudice sexuel : perte de plaisir, perte de capacité physique (appréciation in concreto.
Le préjudice d’établissement : indemnisation en raison de la difficulté d’avoir un projet de vie familiale « normale », perte de chance de se marier, de fonder une famille, d’élever des enfants.
2. Les préjudices indemnisables de la victime indirecte.
a. Préjudices indemnisables en cas de décès de la victime directe.
Les préjudices patrimoniaux indemnisables sont :
Les frais d’obsèques ;
La perte de revenus des proches : diminution ou suppression de revenus supportée par le proche qui abandonne temporairement son emploi pour assurer jusqu’au décès de la victime directe une présence constante ;
Les frais divers : frais de déplacement à l’hôpital, d’hébergement notamment
Les préjudices extrapatrimoniaux indemnisables sont :
Le préjudice d’accompagnement : ressenti des proches en cas de décès, troubles dans les conditions d’existence - sous condition d’avoir partagé une communauté de vie avec le bébé ;
Le préjudice d’affection : retentissement psychologique pour les proches
b. Préjudices indemnisables en cas de survie de la victime directe.
Les préjudices patrimoniaux indemnisables sont :
La perte de revenus des proches : diminution ou suppression de revenus supportée par le proche qui abandonne temporairement son emploi pour assurer une présence constante ;
Les frais divers : frais de déplacement à l’hôpital, d’hébergement notamment.
Les frais de transport peuvent en effet être conséquents si la victime séjourne dans un hôpital éloigné de la résidence de sa famille.
Les préjudices extrapatrimoniaux indemnisables sont :
Le préjudice d’affection : retentissement psychologique pour les proches à la suite de la survie handicapée de la victime directe. C’est un préjudice moral subi par ces proches à la vue de la souffrance, de la déchéance de la victime directe ;
Les préjudices extrapatrimoniaux exceptionnels : il s’agit ici de réparer le bouleversement dans les conditions de l’existence dont sont victimes les proches de la victime pendant sa survie handicapée.
III. L’action en réparation.
Pour être indemnisé, la victime doit agir soit devant le juge civil ou pénal soit devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions. Plusieurs possibilités s’offrent à elle.
A. L’action civile.
La victime dispose d’un droit d’option entre la voie civile et la voie pénale.
La victime peut donc saisir le juge civil pour demander que le responsable soit condamné à l’indemniser.
Contrairement au juge pénal, le juge civil ne se prononcera pas sur la culpabilité ou sur la peine et ne statuera que sur la question de la responsabilité et de l’indemnisation.
Si la victime choisit la voie pénale, elle peut se constituer partie civile devant les juridictions pénales soit par voie d’intervention (jusqu’à l’audience) soit par voie d’action (plainte avec constitution de partie civile).
En principe, l’auteur de l’acte de secouement est condamné à indemniser directement les victimes.
Cependant, il arrive que l’auteur ne puisse pas être identifié ou soit insolvable.
De plus, dans les cas les plus graves, les indemnisations peuvent représenter plusieurs millions. Il est alors peu probable que le responsable soit en capacité d’indemniser la victime.
Il faut aussi noter que l’assurance responsabilité civile du responsable ne prendra pas en charge les condamnations car les actes intentionnels ne sont pas assurables.
Pour ces raisons, il est permis à la victime de saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI).
B. L’indemnisation devant la CIVI.
La commission d’indemnisation des victimes d’infractions est une juridiction civile spécialisée présente dans chaque tribunal judiciaire.
La saisine de cette commission est soumise à certaines conditions concernant notamment la gravité des conséquences corporelles ou la nature de l’infraction [7].
Il existe notamment un délai de forclusion de 3 ans à compter de la date de l’infraction ou d’un an après la décision définitive rendue par la juridiction pénale. Pour les mineurs, le point de départ de la prescription est suspendu jusqu’à l’âge de la majorité, ce qui laisse au bébé secoué la possibilité d’agir jusqu’à ses 21 ans.
Sa saisine permet à la victime directe et à la victime indirecte de l’infraction de percevoir, plus rapidement, des indemnités versées par le fonds de garantie des victimes (FGTI) qui se retournera ensuite contre l’auteur.
L’un des avantages de la CIVI est que l’expertise médicale est gratuite, contrairement à l’expertise réalisée devant les juridictions pénales qui est payante, à moins que la victime ne bénéficie de l’aide juridictionnelle.
Si la juridiction pénale accorde à la victime une indemnisation supérieure à l’indemnisation accordée par la CIVI, il est possible de saisir de nouveau la CIVI pour demander le versement du complément par le Fonds de garantie.