Procédure de Clawback : quels risques de recouvrement pour les clients français des entreprises cryptos ? Par Romain Chilly, Avocat et Damien Triballeau, Elève-Avocat.

Procédure de Clawback : quels risques de recouvrement pour les clients français des entreprises cryptos ?

Par Romain Chilly, Avocat et Damien Triballeau, Elève-Avocat.

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Explorer : # clawback # recouvrement # crypto-monnaies # faillite

Au beau milieu de l’été 2023, le plan de redressement de la société FTX a été publié par les administrateurs chargés d’apurer la situation de l’exchange, tandis que celui de la société Celsius Network vient d’être présenté pour homologation au Tribunal de New-York. Ces deux plans prévoient l’utilisation d’une procédure prévue par le chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, laquelle permet de recouvrer les fonds retirés de la plateforme peu avant la déclaration de faillite (clause dite de Clawback).
Quels sont les risques que des créanciers européens ayant retiré leurs fonds dans ces circonstances puissent être poursuivis en restitution des fonds retirés dans les jours précédant la déclaration de faillite par les administrateurs, et avec quelles chances de succès ?
Premiers éléments de réponse dans l’article ci-après.

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Contexte général des risques de recouvrement forcé.

En 2022, plusieurs sociétés d’échanges et de prêts de cryptomonnaies [1], dont la fameuse société FTX, ont déposé une requête devant les juridictions américaines après s’être déclarées en faillites, afin d’être placées en redressement judiciaire, conformément aux dispositions du chapitre 11 (Chapter 11, title 11, United States Code) du Bankruptcy Act, la loi américaine sur les faillites [2] et ce, dans un contexte de grande difficulté du secteur.

Dans cette procédure, des administrateurs (syndic trustees) sont chargés de redresser la situation financière et comptable de la société, afin de lui permettre de poursuivre son activité. À cette fin, l’objectif principal de ces administrateurs est d’apurer le passif de la société, c’est-à-dire réduire ses dettes au moyen des biens et valeurs qu’elle possède encore (l’actif disponible).

Parmi ces actifs, il y a évidemment les fonds déposés sur ces plateformes. Cependant, ces derniers ont, parfois, été retirés avant la faillite, pour les préserver des conséquences de celle-ci, et notamment du gel de tout paiement de créances nées antérieurement à la déclaration de faillite.

Par exemple, s’agissant de l’affaire FTX, un volume important de ces fonds, à hauteur d’au moins 6 milliards de dollars [3], ont été retirés par des investisseurs dans les 72 heures précédant la faillite [4], et ce afin de les préserver des conséquences de celle-ci.

Une fois la procédure collective de redressement judiciaire ouverte, la loi américaine sur les faillites autorise les administrateurs chargés de redresser la société à réintégrer des fonds ainsi transférés à l’actif de la société afin de faciliter sa restructuration financière.

C’est la clause dite de clawback, prévue tant par le chapitre 7 que par le chapitre 11 du Bankruptcy Act.

Aux termes de son plan de redressement publié le 31 juillet 2023 [5], les administrateurs chargés de redresser la société FTX vont chercher à réintégrer des fonds ainsi transférés à l’actif de la société afin de faciliter sa restructuration financière.

Le célèbre exchange n’est pas le seul à prévoir une réintégration d’ampleur de fonds retirés avant la faillite : le plan de redressement de la plateforme Celsius Network a été voté par ses créanciers le 25 septembre 2023 [6], et celui-ci prévoit, à des conditions variables au regard du statut des clients et des planchers de retrait, de recouvrer plusieurs centaines de millions de dollars retirés par ses clients avant le déclenchement de la procédure collective.

C’est dans ce contexte que nous proposons, sous toutes réserves des suites juridictionnelles et évolutions législatives à venir, une analyse préliminaire des risques de poursuites en recouvrement des français et citoyens européens, depuis les Etats-Unis et en France, ayant retiré leurs fonds avant la faillite des sociétés FTX et consorts.

La procédure américaine de Clawback.

Les définitions de la procédure de Clawback.

En premier lieu, il importe de se saisir de la procédure de Clawback (stricto sensu, “récupération”) elle-même.

Cette procédure est prévue, tant par le chapitre 7 (liquidation judiciaire) que par le chapitre 11 (redressement judiciaire) de la loi américaine sur les faillites : il s’agit d’une procédure de recouvrement de créances.

Pour la comprendre, il est possible d’opérer une analogie avec le droit positif français : lorsqu’un redressement judiciaire est ouvert, le tribunal de commerce fixe la date de cessation des paiements au vu des éléments qui lui sont remis par le débiteur et ses créanciers de l’entreprise et il est fait interdiction à l’entreprise débitrice de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture (Article L622-7 par renvoi de l’article L631-14). La période entre la date de cessation des paiements et le jugement d’ouverture du redressement judiciaire est alors appelée période suspecte : durant cette période, l’article L632-1 du Code de commerce prévoit que certains transferts de fonds à titre de paiement de créances non encore exigibles à la date de cessation des paiements peuvent être annulés et réintégrer au profit des comptes de l’entreprise en difficulté.

C’est un mécanisme identique qui est à l’œuvre avec la procédure américaine de Clawback.

Concrètement, de la même manière que la procédure en nullité de certains actes intervenus au cours de la période suspecte en droit français des procédures collectives, elle permet de procéder à la saisie de fonds qui ont été retirés d’une entreprise peu de temps avant sa déclaration de faillite, dès lors que ceux-ci sont des actifs susceptibles de l’aider à assainir son bilan comptable. Cette procédure est commune dans la législation applicable aux entreprises en difficulté.

Partant, les administrateurs de la société en redressement peuvent intenter des actions en annulation et en recouvrement (Preference claims), qui ont pour objet l’annulation de certaines transactions antérieures à la faillite et la réintégration de leur valeur au profit de l’actif du débiteur.

Le champ d’application de la procédure de Clawback.

En second lieu, il convient d’arrêter le champ d’application de la procédure de Clawback.

En effet, cette procédure vise un large spectre d’actifs susceptibles d’être recouvrés.

Il en résulte que de nombreuses personnes sont susceptibles de faire l’objet d’une procédure en recouvrement dans le contexte d’un redressement judiciaire aux Etats-Unis.

En la matière, la disposition la plus importante concernant les citoyens européens est prévue par l’article 547 (b) du chapitre 11 du Bankruptcy Act [7], lequel dispose que tous les transferts de fonds intervenus au titre de paiement de créance, dans les 90 jours précédant la déclaration de faillite (l’équivalent de la date de cessation des paiements et de la période suspecte subséquente, en droit français), peuvent faire l’objet d’une annulation et d’un recouvrement au profit de leur réintégration à l’actif de la société débitrice en redressement.

Dans ces conditions, le principe est clair : toutes les personnes ayant retiré des fonds de leur plateforme crypto pendant cette période suspecte de 90 jours peuvent faire l’objet d’une procédure de recouvrement ; laquelle peut aboutir, en théorie, à la saisie des montants correspondants sur leur compte en banque.

En pratique toutefois, une décision ordonnant la saisie de tels fonds à l’égard d’un client français ne résidant pas sur le territoire fédéral ne lui sera pas opposable de plein droit.

L’opposabilité d’un Clawback aux résidents français et européens.

L’absence de caractère exécutoire d’une procédure de Clawback auprès des clients résidents en France et sur le territoire de l’Union européenne.

En droit français, l’on sait qu’une décision rendue par une juridiction étrangère n’est pas automatiquement applicable (“exécutoire”) à un français ou à un citoyen européen résidant en France ou dans l’un des Etats-membre de l’Union européenne : la force exécutoire de la décision étrangère n’est reconnue qu’au terme de la procédure d’exequatur.

C’est la raison pour laquelle les juridictions françaises décident de manière constante que des décisions américaines relatives à une procédure de faillite doit être revêtue de l’exequatur en France pour être exécutoire.

Dès lors, les chances de succès qu’une saisie américaine des actifs retirés avant la faillite des plateformes cryptos sur le fondement du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites soit susceptible d’intervenir en France dépend, entre autres, de l’issue de la procédure d’exequatur.

La procédure d’exequatur.

L’exequatur, ou procédure de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire, est prévue par les articles 509 et suivants du Code de procédure civile.

Comme son nom l’indique, elle a pour objet de permettre la reconnaissance, en France, de la force exécutoire d’un jugement rendu par une juridiction étrangère.

Concrètement, il s’agit de faire produire à cette décision étrangère des effets juridiques en France, permettant d’exécuter ses prescriptions sur le territoire français et à l’encontre des nationaux (par exp., en saisissant un commissaire de justice [ancien huissier de justice] ou, en cas de conflit, le juge de l’exécution).

En cas d’échec de la procédure, la décision étrangère n’est pas revêtue de l’exequatur : elle n’a pas force exécutoire à l’égard du justiciable français résidant sur le territoire de la République : cette décision ne peut être valablement exécutée à son égard et, en pratique, elle ne le sera pas.

Obtenir une telle décision n’est pas chose aisée, y compris en matière de recouvrement de créances, dans la mesure où l’exequatur requiert la satisfaction de six conditions distinctes.

D’abord, trois conditions de forme : le jugement doit satisfaire aux conditions de l’authenticité de la décision juridictionnelle étrangère, être revêtu de la forme exécutoire selon la loi étrangère et le demandeur à l’exequatur doit avoir qualité et intérêt à agir.

Ensuite, trois conditions de fond : le juge français doit contrôler la compétence du juge étranger pour rendre le jugement faisant l’objet de la demande d’exequatur, sa conformité à l’ordre public international français et enfin l’absence de fraude.

Ainsi, avant toute saisie des fonds retirés sur les échangeurs ou prêteurs cryptos, un syndic trustee devra satisfaire ces conditions pour introduire un recouvrement à l’encontre des français et d’autres citoyens européens concernés, et résidant en France.

En l’état des informations préliminaires à notre disposition, et sous toutes réserves des suites juridictionnelles et évolutions législatives à venir, l’exécution d’une procédure américaine de Clawback en France apparaît très contraignante.

Dans ces conditions, si l’exécution d’une procédure américaine de Clawback en France apparaît particulièrement contraignante, elle demeure cependant possible et envisageable, notamment au regard d’autres conditions, relatives aux seuils de recouvrement, de la qualité de la personne ayant retiré les fonds, de son lieu de résidence, du lieu de détention des fonds et des délais dans lesquels l’action en recouvrement est introduite ; conditions qui peuvent avoir une incidence sur la satisfaction, ou non, d’une ou plusieurs conditions de fond exigées au titre de l’exequatur.

Pour déterminer dans quelles mesures vous êtes susceptible, ou non, de faire l’objet d’une procédure de clawback, il est conseillé de s’adresser à un professionnel du Droit.

Romain Chilly, Avocat associé
Barreau de Paris
et Damien Triballeau, Elève-avocat
Cabinet Orwl Avocats
https://www.orwl.fr/

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Notes de l'article:

[1Par expemple, Terraform Labs, Voyager Digital, Celsius Network, BlockFi, Genesis.

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