Village de la Justice : Comment agissez-vous concrètement ?
Noanne Tenneson : « L’AADH (ci-après l’Alliance) met en relation ses 150 ONG "Partenaires" [1], qui nous transmettent leurs besoins juridiques, avec nos 41 cabinets d’avocats membres [2] afin qu’ils puissent répondre à ces besoins. Nous envoyons les demandes des associations aux avocats, qui se portent volontaires par retour de courriels.
- Noanne Tenneson
Nous attribuons le dossier en fonction des situations et compétences requises. Les dossiers dits "sensibles" pour lesquels nombre des cabinets membres sont en conflit d’intérêts répondent à une procédure distincte permettant de préserver les intérêts de nos ONG Partenaires. L’Alliance reçoit en moyenne 300 demandes d’aides par an, couvrant tous les domaines de compétences (droit fiscal, droit social, droit international pénal, etc.) ainsi que tous les sujets (environnement, femmes, populations autochtones, enfants, etc.). »
V.J : Quels sont vos “chevaux de bataille” principaux ?
N.T : « Nous sommes particulièrement engagés pour la protection de l’enfance, à travers la gestion des requêtes de nos ONG de protection de l’enfance ou via l’intervention des avocats dans nos programmes.
Concrètement, les avocats, toujours sur la base d’un volontariat, peuvent :
- Répondre à une simple question juridique dans leurs domaines de compétence.
- Gérer des contentieux à différents niveaux : en assistant et ou/en représentant nos Partenaires associatifs [3] et/ou les victimes qu’ils représentent. L’Alliance est présente dans une vingtaine de contentieux par an devant les juridictions nationales ou internationales (CEDH, Comité des Nations Unies...). L’Alliance assiste également les associations dans les contentieux dits "stratégiques".
- Bénéficier d’une formation juridique préalable afin de pouvoir assister, accompagner, conseiller, représenter des personnes particulièrement vulnérables, telles que les enfants, à travers nos programmes déployés en leur faveur. Depuis 14 ans, les avocats de l’Alliance ont porté une attention particulière envers les mineurs non accompagnés (des enfants étrangers seuls sur le territoire français), les enfants victimes de traite, de violences sexuelles, les enfants trans, les mineurs sous-main de justice, etc.
A titre d’illustration, dans le cadre du programme "Enfance Précarité Zéro" (aide aux Mineurs Non Accompagnés, ci-après MNA), nous formons en interne nos avocats sur l’asile et les titres de séjour et accompagnons 200 mineurs par an dans leurs procédures de régularisation (demande d’asile, de titres de séjours, accompagnement en préfecture, devant l’OFPRA, devant la CNDA...).
Les avocats peuvent également s’investir aux côtés de leurs clients : ils peuvent travailler avec des juristes et salariés d’entreprises sur des ateliers de droit social, pendant lesquels ils sensibilisent les MNA sur leurs droits et obligations vis-à-vis de leurs employeurs. L’AADH organise également des simulations d’entretiens d’embauche à destination des jeunes, afin qu’ils se préparent à leur entrée sur le marché du travail. Des ateliers de sensibilisation au droit pénal existent également.
- Travailler en coopération avec leurs confrères issus d’autres filiales de leur cabinet ou de cabinets distincts pour répondre à des demandes d’études de droit comparé en vue d’activités de plaidoyer et de défense de cas individuels.
- Assurer des formations au profit 1) des représentants de nos ONG Partenaires sur des sujets déterminés par ces dernières (responsabilité des dirigeants d’associations, télétravail...), 2) de confrères (la QPC, recours devant la CEDH...), de diplomates et consuls (la détention arbitraire, le procès équitable...).
- Participer à des programmes européens autour de la protection de l’enfance. A titre d’exemple, certains de nos avocats pénalistes ont participé au programme "Clear Rights" en faveur de l’amélioration de l’assistance juridique des mineurs en conflit avec la loi. Cette opportunité leur a permis de se former, de partager leurs compétences avec des confrères de différents barreaux français, de rencontrer et échanger avec des confrères européens de même spécialisation... »
V.J : Quelle collaboration à l’internationale (ONG, autres associations) avez-vous mise en place ?
N.T : « L’Alliance a établi de nombreux partenariats à l’international, avec :
- KIND ("Kids In Need of Defense") afin de développer en Europe (France, Italie, Grèce, Irlande, Pologne) un accès au droit pour les mineurs non accompagnés.
- PILNet (Public Interest Law Network4) qui fédère à l’échelle mondiale des avocats et juristes d’entreprises soucieux de partager leurs compétences au profit des ONG et des personnes les plus vulnérables. A titre d’illustration, l’Alliance et PILnet viennent de créer la "Pro Bono Children Europe" [4], une structure permettant aux mineurs en difficulté et isolés traversant une frontière d’avoir accès à un avocat gratuit, de qualité et impliqué.
- "European Pro Bono Alliance" : collectif regroupant toutes les "clearing house"présentes en Europe
- L’Alliance est un des membres fondateurs de la "Plateforme des Droits de l’Homme", créée en 2017 qui fédère des ONG françaises qui permet d’échanger et de coopérer sur des enjeux actuels relatifs à la protection des droits et libertés fondamentales.
- CFJ- EN (Child-friendly justice European Network), qui est un collectif d’acteurs européens engagés en faveur d’un meilleur accès au droit des mineurs et une participation plus effective de ces derniers dans les procédures juridiques et judiciaires. Ce réseau européen de très grande qualité permet de fédérer diverses compétences et savoir-faire européens autour de programme initiés notamment par la commission européenne.
V.J : Avocats et pro bono, est-ce une évidence, une valeur intrinsèque à la profession ?
N.T : « Le "pro bono publico" (expression originelle signifiant "pour le bien public") qui désigne le travail réalisé à titre gracieux par des avocats au profit des ONG et des plus démunis a de tout temps existé au sein de la profession d’avocat mais s’est métamorphosé au fil du temps. Rappelons d’ailleurs que l’aide à autrui est au cœur même du serment d’avocat qui rappelle que parmi les devoirs de ces derniers, figure celui "d’exercer... ses fonctions avec humanité".
Si les avocats français l’ont de tout temps et depuis toujours intégré dans leur exercice, et pour certains "quasi quotidiennement", le pro bono a changé de visage avec les cabinets anglo-saxons qui l’ont élevé au rang de "devoir", valorisé et intégré dans leur politique interne. C’est ainsi, qu’aujourd’hui, les collaborateurs.rices de certains cabinets se doivent d’assurer un minimum de 150 heures de pro bono par an.
Le barreau de New York exige l’accomplissement de 50h de pro bono pour valider le diplôme. Depuis peu, le pro bono élargit encore son spectre en trouvant écho au sein des entreprises et se confond parfois avec le mécénat de compétences dans l’enceinte de la RSE et/ou de l’ESG. Il dépasse ainsi le cadre de la profession et s’inscrit dans un mouvement plus global de responsabilisation et d’implication individuelle face aux nouveaux défis sociétaux et environnementaux. Nous ne pouvons que nous en féliciter. »