Les ultramarins seraient-ils des français à part entière ? Par Patrick Lingibé, Avocat.

Les ultramarins seraient-ils des français à part entière ?

Par Patrick Lingibé, Avocat.

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Explorer : # discrimination # inégalités sociales # droits sociaux # outre-mer

Ce que vous allez lire ici :

La Charte sociale européenne, adoptée en 1961 et révisée en 1996, protège les droits fondamentaux. La FIDH a impliqué le Comité sur des violations présumées des droits en Guadeloupe et Martinique. Malgré des preuves d'inégalités, la France n'a pas étendu la Charte aux territoires ultramarins, créant des discriminations persistantes.
Description rédigée par l'IA du Village

Cette question, régulièrement posée dans les débats et surtout lors de crises sociétales, se trouve relancée par la décision rendue par le comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe le 19 mars 2025 [1]. Elle constate une discrimination de la France envers les populations d’outre-mer quant à l’application de la charte sociale européenne.

Cette Charte est une convention du Conseil de l’Europe [2] qui a été signée le 18 octobre 1961 à Turin. Elle a été révisée le 3 mai 1996 à Strasbourg. C’est un instrument juridique qui vise à garantir les droits sociaux et économiques fondamentaux des individus dans leur vie quotidienne. L’objectif de la Charte sociale européenne est de compléter les dispositions de la Convention Européenne des Droits de l’Homme signée à Rome le 4 novembre 1950 [3].

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Dans sa version originelle de 1961, la Charte sociale européenne énonce 19 droits fondamentaux, dont notamment le droit au travail pour toute personne de pouvoir gagner sa vie par un travail librement entrepris, la protection sociale avec le droit à la Sécurité sociale, à l’assistance sociale et médicale pour les personnes démunies, la protection des enfants et adolescents avec les garanties contre les dangers physiques et moraux et le droit à la santé avec l’accès aux mesures permettant d’atteindre le meilleur état de santé possible.

Dans la version révisée en 1996, d’une part, sont ajoutés à la Charte, d’une part, 11 nouveaux droits qui tiennent compte de l’évolution des besoins sociaux depuis 1961, notamment la protection contre le harcèlement sexuel et moral au travail avec un article 26, la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale avec un article 30 et d’autre part, la protection de certains droits posés en 1961 est renforcée.

Il revient au Comité européen des droits sociaux (CEDS) de déterminer si les législations et pratiques nationales sont conformes à la Charte. Il se compose de 15 membres, indépendants et impartiaux, élus par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pour un mandat de six ans, renouvelable une fois.

Ce comité a été saisi par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) d’une réclamation collective contre la France concernant des violations présumées des droits sociaux et économiques en Guadeloupe et en Martinique.

La FIDH invoquait plusieurs articles de la Charte sociale européenne révisée, notamment les articles 11 (droit à la protection de la santé), 17§1 (droit des enfants à une protection), 30 (protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale), 31 (droit au logement) et E (non-discrimination) dont nous reproduisons le contenu pour une meilleure compréhension du présent commentaire :

« Article 11 - Droit à la protection de la santé :
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection de la santé, les Parties s’engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques et privées, des mesures appropriées tendant notamment :
1 à éliminer, dans la mesure du possible, les causes d’une santé déficiente ;
2 à prévoir des services de consultation et d’éducation pour ce qui concerne l’amélioration de la santé et le développement du sens de la responsabilité individuelle en matière de santé ;
3 à prévenir, dans la mesure du possible, les maladies épidémiques, endémiques et autres, ainsi que les accidents
 ».

« Article 17 - Droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique :
En vue d’assurer aux enfants et aux adolescents l’exercice effectif du droit de grandir dans un milieu favorable à l’épanouissement de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques et mentales, les Parties s’engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques ou privées, toutes les mesures nécessaires et appropriées tendant :
a à assurer aux enfants et aux adolescents, compte tenu des droits et des devoirs des parents, les soins, l’assistance, l’éducation et la formation dont ils ont besoin, notamment en prévoyant la création ou le maintien d’institutions ou de services adéquats et suffisants à cette fin ;
b à protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation ;
c à assurer une protection et une aide spéciale de l’Etat vis-à-vis de l’enfant ou de l’adolescent temporairement ou définitivement privé de son soutien familial ;
2 à assurer aux enfants et aux adolescents un enseignement primaire et secondaire gratuit, ainsi qu’à favoriser la régularité de la fréquentation scolaire. Partie I 17 de la Charte : "Les enfants et les adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée"
 ».

« Article 30 - Droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale :
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, les Parties s’engagent :
a à prendre des mesures dans le cadre d’une approche globale et coordonnée pour promouvoir l’accès effectif notamment à l’emploi, au logement, à la formation, à l’enseignement, à la culture, à l’assistance sociale et médicale des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d’exclusion sociale ou de pauvreté, et de leur famille ;
à réexaminer ces mesures en vue de leur adaptation si nécessaire
 ».

« Article 31 - Droit au logement :
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au logement, les Parties s’engagent à prendre des mesures destinées :
1 à favoriser l’accès au logement d’un niveau suffisant ;
2 à prévenir et à réduire l’état de sans-abri en vue de son élimination progressive ;
3 à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes
 ».

« Article E - Non-discrimination :
La jouissance des droits reconnus dans la présente Charte doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, la santé, l’appartenance à une minorité nationale, la naissance ou toute autre situation
 ».

Les principales allégations soulevées par la FIDH portaient d’une part, sur l’accès inadéquat à l’eau potable en Guadeloupe, où jusqu’à 80% de l’eau produite est perdue en raison de fuites dans les réseaux vétustes et d’autre part, sur la contamination généralisée au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, affectant les sols, l’eau, l’alimentation et la santé d’une grande partie de la population.

Dans son argumentation, la FIDH affirmait que les situations dénoncées étaient des violations graves des droits humains protégés par la Charte et que le refus de l’Etat de garantir ces droits aux populations ultramarines constituait une discrimination fondée sur le lieu de résidence.

La FIDH demandait donc au Comité d’accorder une priorité à cette réclamation et d’adopter des mesures immédiates pour garantir l’accès à l’eau potable et prévenir les atteintes graves à la santé qui seraient causées par le chlordécone.

En réponse, le Gouvernement français contestait la recevabilité de la réclamation en soulevant le fait que la France n’avait pas étendu l’application territoriale de la Charte sociale européenne à ses territoires ultramarins, conformément à l’article L§2 de la Charte et que par conséquent, les dispositions invoquées ne peuvent pas s’appliquer à la Guadeloupe et à la Martinique.

Il est à noter que le Comité a reconnu que la réclamation formulée par le FIDH était conforme aux exigences procédurales de recevabilité prévues par le Protocole additionnel à la Charte.

Cependant, il a indiqué qu’il a dû retenir l’objection du Gouvernement concernant l’application territoriale limitée de la Charte. En effet, selon l’article L§2, un État doit explicitement déclarer que les dispositions de la Charte s’appliquent à ses territoires non-métropolitains. La France n’ayant pas fait une telle déclaration expresse pour ses départements d’outre-mer, le Comité en a donc conclu que la Charte des droits sociaux ne s’applique pas à ces territoires.

Pour rappel, cet article L intitulé « Application territoriale » de la Charte dispose en ses 1 et 2 :

1 La présente Charte s’applique au territoire métropolitain de chaque Partie. Tout signataire peut, au moment de la signature ou au moment du dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation, préciser, par déclaration faite au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, le territoire qui est considéré à cette fin comme son territoire métropolitain.

2 Tout signataire peut, au moment de la signature ou au moment du dépôt de l’instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation, ou à tout autre moment par la suite, déclarer, par notification adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, que la Charte, en tout ou en partie, s’appliquera à celui ou à ceux des territoires non métropolitains désignés dans ladite déclaration et dont il assure les relations internationales ou dont il assume la responsabilité internationale. Il spécifiera dans cette déclaration les articles ou paragraphes de la partie II de la Charte qu’il accepte comme obligatoires en ce qui concerne chacun des territoires désignés dans la déclaration.

Cette disposition d’application territoriale limitant la Charte au seul territoire hexagonal figurait à l’origine dans le texte de 1961. Il convient de rappeler qu’à cette date, le principe d’égalité pourtant garanti par la loi du 19 mars 1946 (Loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française) était très loin de trouver une application notamment au niveau social. Il existait des discriminations héritées de l’histoire coloniale auxquelles une loi ne pouvait régler d’un trait de plume dans chacune des anciennes colonies. Ainsi, il existait une différence salariale entre les salariés ultramarins et ceux de l’hexagone, les premiers étant rémunérés sur la base d’un SMIC inférieur. Ce n’est finalement qu’au 1ᵉʳ janvier 1996, soit 50 années après la départementalisation, que le SMIC outre-mer s’est aligné sur le niveau du SMIC de la France hexagonale. Le principe d’égalité est donc loin d’être une réalité ultramarine, ce d’autant qu’il existe toujours actuellement un écart évident puisque le SMIC outre-mer ne tient nullement compte des différences de coûts existant dans chacun des territoires ultramarins.

Dans son considérant n° 12, le Comité a noté qu’il était bien compétent pour traiter sur le fond la réclamation de la FIDH portant sur des questions touchant à la protection de la santé, la protection des enfants, le droit au logement, la situation des catégories défavorisées et vulnérables, celles-ci étant couvertes par la Charte européenne des droits sociaux.

Malheureusement, il a estimé qu’il ne pouvait statuer sur cette demande, car la Charte ne s’applique pas aux territoires ultramarins, la France l’ayant exclu expressément dès 1961.

En réplique aux observations opposées du Gouvernement français touchant à l’irrecevabilité, le FIDH soulevait des arguments pertinents en droit interne. En premier lieu, elle indiquait que le principe d’égalité des territoires et peuples français dits « d’outre-mer » dans la Constitution française, notamment à la suite d’une révision constitutionnelle en 2003, l’article 72-3, alinéa 1ᵉʳ de la Constitution française « reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». En deuxième lieu, elle mentionnait l’article 73 de la Constitution française qui consacre le système dit « d’identité législative », en vertu duquel les lois et règlements nationaux sont applicables de plein droit, sauf exceptions, aux départements et régions d’outre-mer (DROM), dont font partie la Guadeloupe et la Martinique. En troisième lieu, elle rappelait que l’article 1 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique pose en son premier alinéa que « La République reconnaît aux populations des outre-mer le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français ». En quatrième lieu, la FIDH soulevait un argument de droit conventionnel, à savoir, elle demandait au Comité d’adopter une interprétation progressiste de l’article L de la Charte sur l’application territoriale et qui n’aboutirait pas à l’exclusion d’une partie de la population française de son application.

Le Comité a rappelé que l’article L§2 constitue une exception au principe général d’application automatique des traités internationaux sur tout le territoire d’un État qui s’impose à lui. En conséquence, sans déclaration explicite et expresse de la France, les garanties offertes par la Charte des droits sociaux ne peuvent être étendues aux départements d’outre-mer.

Le Comité s’est arrêté à une lecture et interprétation très stricte de la convention, ce alors que d’autres instruments juridiques soumis par la France s’appliquent dans les territoires ultramarins en indiquant dans son considérant n° 19 que :
 
« Bien que l’identité législative des départements et régions d’outre-mer soit un principe fondamental du droit interne français, elle ne saurait avoir pour effet de contourner une disposition explicite de la Charte, qui exige une action spécifique de la part de l’État partie pour étendre son application aux territoires non métropolitains. Par conséquent, même si la France a fait référence aux territoires d’outre-mer à certaines reprises dans ses rapports au Comité, un nombre limité de références ad hoc aux territoires d’outre-mer dans les rapports de l’État ne peut être considéré comme constituant une reconnaissance par la France que le champ d’application territorial de la Charte s’applique à ces territoires dans un sens équivalent à la déclaration envisagée par l’article L. ».
 
La décision rendue par le Comité relève clairement une inégalité expresse entre les citoyens français vivant dans l’hexagone et ceux résidant dans les territoires ultramarins, ces derniers bénéficiant « d’un niveau de protection des droits sociaux nettement inférieur, en termes de droit européen des droits humains par rapport à leurs concitoyens métropolitains ».

Cette décision ne fait que confirmer un état désastreux de l’Outre-mer français par rapport à l’hexagone. L’outre-mer se résume en un concentré d’inégalités dans des territoires français ancrés dans des bassins de vie non-français et européens.

Il convient de rappeler que la population ultramarine représente 2 748 461 habitants, soit plus de 4% de la population nationale, étant précisé que plus de 79% de cette population vit dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).

Plusieurs rapports et articles ont mis en exergue la situation plus qu’alarmante dans laquelle se trouve l’outre-mer Français en 21ᵉ siècle avec une dégradation et un déclassement de ces territoires, outre dans certains cas, la contestation de la souveraineté française [4], révélant des inégalités marquées et marquantes par rapport à l’hexagone.

Nous pouvons citer parmi les nombreux rapports produits récents : d’une part, le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer de 432 pages du 23 janvier 2025 sur l’action de l’État Outre-mer qui dresse un état des lieux très réaliste de la situation de la sécurité totalement dégradée avec notamment une aggravation des crimes et des délits pour l’ensemble des outre-mer [5] et d’autre part, le rapport d’information de 370 pages sur l’évolution de l’avenir institutionnel des outre-mer du 15 janvier 2025 fait au nom de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale [6].

Nous devons citer également un très récent rapport d’information d’avril 2025 établi par la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Madame Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy. Ce rapport très pertinent porte sur la lutte contre la vie chère outre-mer ; il conforte et apporte un éclairage actualisé sur ces inégalités [7].

Nous énumérerons ci-dessous notamment neuf indicateurs qui démontrent objectivement une singularité de l’outre-mer au niveau des inégalités, sans pouvoir trouver une comparaison avec un territoire hexagonal.

En premier lieu, au niveau de la pauvreté, il ressort que les cinq départements et régions d’outre-mer (DROM) regroupent 24% des personnes en grande pauvreté en France, bien qu’ils ne représentent que 3% de la population nationale. De même, les taux de pauvreté dans ces territoires sont nettement plus élevés que dans l’Hexagone (14,5% en 2021) : 36,1% à La Réunion, 26,8% en Martinique, 34,5% en Guadeloupe, 52,9% en Guyane et 77,3% à Mayotte. Par ailleurs, la grande pauvreté est 5 à 15 fois plus fréquente et plus intense dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) qu’en France hexagonale. La caractéristique majeure de la grande pauvreté par rapport à des situations moins aiguës de pauvreté est la fréquence de privations, y compris pour des besoins fondamentaux comme la nourriture ou l’habillement. Ainsi, 4 à 5 personnes sur 10 ne peuvent faire un repas contenant des protéines au moins tous les deux jours [8]. On estime à près de 900 000 le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté en outre-mer, ce qui représente plus de 32% de la population globale ultramarine.

En deuxième lieu, au niveau de la cherté de vie, les écarts de prix entre l’Outre-mer et l’hexagone sont très importants. Le rapport sénatorial relève que « Les écarts de prix avec l’Hexagone sont parmi les plus importants et sont assez homogènes. Dans les DROM, les écarts varient entre 30 et 41% par rapport à l’Hexagone, à l’exception de Saint-Pierre-et-Miquelon (70%) et Saint-Martin (47%). Dans le Pacifique, les prix sont les plus élevés en Nouvelle-Calédonie, tandis que la Polynésie française est proche des Antilles (45%) » [9] Ainsi, il ressort que l’écart de prix pour les produits alimentaires et boissons non alcoolisées calculé sur la base du panier de consommation hexagonal en 2022 s’élevait à 51,3% pour la Guadeloupe, 50,4 pour la Martinique, 51,2% pour la Guyane, 46,4% pour La Réunion et 80,3% pour la Polynésie française. Un exemple est donné notamment par le coût d’une bouteille d’un litre d’huile de tournesol qui coûte 1,99 euros dans l’Hexagone alors qu’elle revient à 3,45 euros en Martinique.

En troisième lieu, au niveau du PIB par habitant : alors que la moyenne nationale était de 38 775 euros en 2022, elle était de 11 579 euros à Mayotte, 15 656 euros en Guyane, 23 200 euros Guadeloupe, 24 663 euros à La Réunion et 25 903 euros en Martinique [10].

En quatrième lieu, au niveau de l’indicateur d’inégalité, avec un indice Gini de 0.29 pour l’Hexagone, celui-ci est 0,42 pour la Guadeloupe et pour la Guyane, 0.41 pour la Martinique, 0,49 pour Mayotte, 0,39 pour La Réunion, 0,42 pour la Nouvelle-Calédonie, 0,40 pour la Polynésie et 0,50 pour Wallis-et-Futuna [11].

En cinquième lieu, au niveau de l’indicateur de développement humain, avec un rang mondial situé à la 24ᵉ place, la Guadeloupe se situe au 38ᵉ rang, la Guyane au 73ᵉ rang, la Martinique au 39ᵉ rang, Mayotte au 107ᵉ rang, La Réunion au 54ᵉ rang, la Nouvelle-Calédonie au 50ᵉ rang, la Polynésie française au 75ᵉ rang et Wallis-et-Futuna au 53ᵉ rang [12].

En sixième lieu, au niveau de la mortalité infantile, alors que ce taux est de 3,7% dans l’hexagone, il s’élève à 6,7% à La Réunion, à 7,2% en Martinique, à 8,1% en Guadeloupe, à 8,2% en Guyane et à 8,9% à Mayotte.

En septième lieu, au niveau de l’échec scolaire, le décrochage scolaire est deux fois plus élevé qu’en France hexagonale. De même, au niveau de l’illettrisme, il est trois fois plus important que dans l’Hexagone.

En huitième lieu, au niveau du logement, un rapport sur les problématiques ultramarines établi par deux experts à la demande du président de la République indique que « 600 000 personnes sont mal logées, soit près d’un tiers des habitants ultramarins. Le taux de logements insalubres atteint 12%, soit douze fois plus que dans l’Hexagone. Cette situation est particulièrement critique en Guyane et à Mayotte » [13].

En neuvième lieu, l’état de la justice en outre-mer est dans un état désastreux par rapport l’Hexagone. Le rapport de 216 pages et ses cinq annexes intitulé « Rendre justice aux citoyens », établi par le comité des États généraux de la justice présidé par le président Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’état, consacre seulement deux pages et demie pour indiquer de manière très concise que les constats sont encore plus aggravés dans les départements, régions et collectivités d’Outre-mer que dans l’hexagone, avec un sous-titre 1.1.1.7 tout aussi illustratif intitulé « Une justice ultramarine en état de grande fragilité » [14]. Le rapport qui n’apporte aucune réponse aux graves difficultés relevées, note notamment « le contexte de défiance à l’égard des institutions ». Nous avions publié successivement à la suite de ce rapport trois articles formulant plus de 18 propositions pour améliorer et renforcer la justice en outre-mer [15]. Certaines ont été retenues par le ministre de la Justice de l’époque Eric Dupond-Moretti, dont notamment celle d’organiser des états généraux de la justice outre-mer [16]. Pour redonner et renforcer la confiance dans l’institution judiciaire outre-mer, il faudrait faciliter le retour de magistrats ultramarins qui le souhaitent dans leurs territoires d’origine, comme cela est fait sans difficulté dans les affectations de magistrats hexagonaux.

Quant à l’accès au droit, le rapport avait noté son « caractère particulièrement précaire dans un contexte de pauvreté et de fracture numérique largement supérieures à ce qui est observé sur le territoire européen de la France » (page 65 du rapport). Nous notons sur ce point que l’accès au droit mobilise beaucoup d’énergie en outre-mer sans pour autant que soit réglé le problème de fond de la pauvreté et de la cherté de vie. La vérité si dérangeante soit-elle est que l’accès au droit n’est pas une priorité pour le citoyen ultramarin car il a des besoins plus existentiels et prioritaires avant tout, à savoir bien vivre en accédant à des besoins primaires, tels la nourriture, l’eau potable, l’électricité, l’habillement pour lui et sa famille. L’accès au droit demeure un luxe pour des gens qui ne peuvent pas notamment se nourrir correctement. Nous notons d’ailleurs que les justiciables qui recourent en outre-mer à l’aide juridictionnelle sont plutôt en réaction qu’en action : ils se défendent de procédures menées contre eux et introduisent directement peu d’actions pour revendiquer leurs droits, cela contrairement à ce qui se passe pour les justiciables hexagonaux.

Nous pourrions continuer à livrer d’autres indicateurs marquant la situation hors norme de cette outre-mer plurielle dont certains tentent avec maladresse de relativiser celle-ci en tentant de se livrer avec la situation de certains territoires dans l’hexagone. Or, objectivement aucun territoire hexagonal ne peut être de près ou de loin être comparé aux territoires ultramarins, surtout si nous ajoutons le facteur de l’histoire colonial et qu’il a façonné, propre à la quasi-totalité de ces morceaux de France très éloignés et souvent oubliés.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en outre-mer on est généralement plus pauvre et la vie y de loin plus chère que dans l’hexagone, sur fond d’infrastructures le plus souvent obsolètes ou inadaptées. Cette situation de conjugaison d’inégalités cumulées entraîne que les jeunes ultramarins ont 20 à 25% de chance en moins d’obtenir un diplôme dans le supérieur par rapport à ceux de l’hexagone.

Force est de constater qu’aucun territoire hexagonal ne ressemble à la situation d’un territoire d’outre-mer où l’anormalité est tolérée dans les faits se transformant en norme informelle qui régule en réalité les rapports sociaux et sociétaux.

Il convient de dénoncer une réalité qui est passée sous silence : on s’intéresse sérieusement à l’outre-mer que lorsque ce qui s’y passe impacte l’hexagone. Force est de constater que des mesures qui sont appliquées en outre-mer ne deviennent choquantes que lorsque l’on décide de les étendre à l’hexagone. Le recours à la visioconférence, décidé il y a plusieurs années pour la tenue des audiences de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) concernant l’outre-mer en est une illustration flagrante : ce dispositif n’est devenu une difficulté qu’à partir du moment où les pouvoirs publics ont voulu l’étendre pour les audiences tenues par cette même juridiction dans l’hexagone, donnant lieu à des protestations et des levées de boucliers. Lorsque cette mesure se limitait à l’outre-mer, elle ne suscitait pas de réactions et de protestations. On s’habitue trop souvent à une forme d’indifférence hexagonale à l’égard de l’outre-mer, laquelle amène finalement à tolérer l’intolérable qui ne serait, en aucun cas, toléré dans l’Hexagone.

Lors de la cérémonie institutionnelle des vœux du Conseil national des barreaux, sa présidente Julie Couturier, lors de son discours prononcé le mercredi 15 janvier 2025, en présence du garde des Sceaux Gérard Darmanin, pointait les difficultés notamment des territoires d’Outre-mer qui « sont abandonnés par la République. Les problèmes de la justice hexagone se trouvent démultipliés dans les outre-mer ». Ce constat amer et véridique, fait par la représentante des plus de 77 000 avocats de France doit retenir l’attention, si embarrassant qu’il soit. Cette situation sera également de nouveau dénoncée par le président de la Conférence des bâtonniers de France Jean-Raphaël Fernandez lors de son discours prononcé le 24 janvier 2025 devant l’assemblée générale statutaire, en présente du ministre de la Justice.

En tout état de cause, il y a grande urgence à mettre fin à une discrimination criante en outre-mer qui ne fait que générer crescendo frustrations, rancœurs, colères, celles-ci étant amplifiées par une dégradation significative des conditions de vie des ultramarins.

Outre les recommandations formulées par les rapports précités, nous proposons en conséquence en urgence la mise en œuvre des deux mesures suivantes :

D’une part, la décision de la France de rendre applicable la Charte européenne des droits sociaux aux outre-mer par une déclaration expresse auprès des autorités du Conseil de l’Europe, cela afin de mettre fin à la discrimination relevée par le Comité des droits sociaux, nonobstant le fait qu’il existe également d’autres instruments juridiques conventionnels performants pour défendre efficacement des droits fondamentaux [17].

D’autre part, la mise en place d’une commission technique ouverte de mise à niveau dans chaque territoire d’outre-mer. Sa mission consisterait de relever les points à réformer sur le plan normatif dans les différents domaines et de proposer les mesures concrètes à mettre en œuvre pour gommer les inégalités et blocages relevés dans le territoire. Il s’agit ici d’apporter des réponses in concreto par territoire, lissées par domaine sociétal (normes, justice, santé, transports, etc.). Sur ce point, les différentes recommandations souvent de bon sens formulées dans les différents rapports notamment parlementaires devraient trouver un écho pour apporter des réponses sériées aux réalités inégalitaires du territoire ultramarin concerné.

L’outre-mer est en profonde mutation dans un monde lui-même en importante transformation, notamment en termes de géopolitique, et il est vain d’ignorer ces réalités sociétales qui finiront par s’imposer finalement par la force en réponse à la désespérance et l’indignité qui frappent ces territoires. La République doit rester et demeurer sur ce point le phare de ce nouveau paradigme pour mener cette tâche herculéenne de mise à niveau des outre-mer.

La citation de Winston Churchill est pour la circonstance une recommandation à suivre sans tarder : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ».

Patrick Lingibé
Membre du Conseil National des barreaux
Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France
Avocat associé Cabinet Jurisguyane
Spécialiste en droit public
Diplômé en droit routier
Médiateur Professionnel
Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM)
www.jurisguyane.com

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Notes de l'article:

[2Le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale qui a été instituée le 5 mai 1949 par le traité de Londres. Il regroupe près de 675 millions de ressortissants provenant de 46 États membres. Il a pour objectif de mettre en place des normes juridiques communes visant à la protection des droits de l’homme, au renforcement de la démocratie et à la prééminence du droit en Europe.

[4Cela fait longtemps que l’outre-mer français est devenu le terrain de jeu de puissances étrangères hostiles à la France, étant précisé que ces territoires ultramarins assurent à celle-ci des positions géostratégiques dans le monde de tout premier plan.

[9Page 27 du rapport précité https://www.insee.fr/fr/statistiques/6459395

[11Tableau de bord des outre-mer 2023, IEDOM précité.

[12Tableau de bord des outre-mer 2023, IEDOM précité.

[13Synthèse du rapport remis au président de la République « Les Outre-mer, notre défi commun » par MM. Pierre Egea et Frédéric Monlouis-Félicité, décembre 2024. A ce jour, ce rapport n’a pas été rendu public par l’Elysée.

[16Cette proposition a pris la forme de la journée dénommée « Justice Outre-mer 2024 » qui a été organisée le mardi 26 mars 2024 avec un immense succès.

[17La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne avec 54 articles du 18 décembre 2000 est un instrument très performant sur le plan juridique au sein du droit communautaire. En effet, ce document est devenu juridiquement contraignant avec le traité européen signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne. L’article 6 1 du traité sur l’Union européenne dispose que la Charte des droits fondamentaux a « la même valeur juridique que les traités ».

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

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Discussions en cours :

  • par Volny-Anne Claude- Greffier en chef retraité du Parquet Autonome de Paris , Le 14 avril à 16:28

    Comme d’habitude Me Lingibe est toujours d’une précision et d’une pédagogie remarquables s’agissant des problèmes relatifs à l’outre-mer. Ses connaissances des sujets qu’il traite sont toujours excellentes et nous informent sur des questions auxquelles mêmes des juristes avertis n’auraient pas pensées. Qu’il soit remercié pour ses démarches originales et talentueuses. Claude Volny-Anne, Greffier en chef retraité du Parquet Autonome de Paris, ancien chef de service à la section de la criminalité organisée dudit Parquet.

  • par Patricia M. Isimat-Mirin , Le 7 avril à 18:12

    Bravo à tous ceux qui ont travaillé sur les réponses. Il est inimaginable de constater le traitement inéquitable de la France "métropolitaine" - quel vilain mot- des droits de l’homme vis-à-vis de ses territoires d’Outre-mer ! On en reste ébahi en 2025 !

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