Pourquoi la communication éthique et responsable est-elle encore sous-exploitée par les cabinets d'avocats français ?

Pourquoi la communication éthique et responsable est-elle encore sous-exploitée par les cabinets d’avocats français ?

Rédaction du village

Le marketing éthique est souvent perçu comme une communication trompeuse, artificielle et surfaite. Il existe un certain scepticisme envers ce type de marketing, du fait que l’éthique est inconsciemment associée aux valeurs de transparence, vérité et bien commun, valeurs qui sont en apparence incompatibles avec les méthodes du marketing... Outre le risque de manque d’authenticité de ce style de communication, certains professionnels craignent également une surenchère de l’« angélisme », terme utilisé par le philosophe André Comte-Sponville pour décrire « la tyrannie du supérieur ».

Mais avant d’en arriver à la tyrannie du bien (!), posons-nous la question de savoir pourquoi le marketing éthique reste t-il si peu utilisé par les professionnels du droit, qui représentent pourtant les valeurs de justice et d’équité ?
Les avocats français ne seraient-ils pas en retard par rapport à leurs homologues anglo-saxons ? Surtout en cette période de crise « anti-bling bling » propice au retour de l’éthique ?

Par Marjorie RAFECAS, la spécialiste du marketing du Village de la justice.

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Alors que les entreprises commerciales n’hésitent pas à surfer sur les tendances du développement durable et à jongler avec les codes du greenwashing, le monde juridique reste très discret sur le plan de la communication éthique.

Pourtant, les professionnels du droit sont plus que crédibles pour incarner la tendance de l’éthique et du développement durable. D’ailleurs, la tradition anglo-saxonne du Pro Bono en témoigne. Car au-delà de la gratuité dont sont marquées les actions pro bono, c’est surtout son origine latine qui en fait sa force : Pro Bono signifiant « pour le bien ».

Ainsi, il est difficilement compréhensible que les avocats ne s’emparent pas davantage de ce type de communication. Même si l’avocat n’est pas réductible au défenseur de la veuve et de l’orphelin, il agit pour le développement durable, car prévenir les contentieux et la gestion de crise, revient indirectement à favoriser le développement durable… En définitive, cela est presque une tautologie !

Signalons également une autre tendance plus récente à surveiller : la tendance du collectif comme le « co-marketing », le « co-design », le « co-financement », le « team buying » (achat groupé). Même certains auteurs de best-sellers comme Anna Gavalda ont tenté l’aventure du roman participatif.

Alors pourquoi le monde du droit échapperait à la tendance du collaboratif et du collectif ? Certes, les « class action » peinent à voir le jour en France. Mais il existe déjà des actions collectives. Et les avocats intentent régulièrement des actions pour un groupe de victimes (comme en témoigne la récente affaire des porteuses de prothèses « PIP », où une association a été créée pour pouvoir représenter l’ensemble des victimes). L’éthique peut également consister à favoriser les actions communes pour les clients peu fortunés.

Tout compte fait, force est de constater que le marketing éthique des avocats existe déjà à travers le Pro Bono et les actions collectives. Alors pourquoi pas, cet été, réfléchir à mettre davantage en avant votre côté « angélique » dans l’air pur du green et la force du vent estival ?

L’éthique et le Pro Bono, un axe de développement pour adoucir l’image onéreuse des honoraires ?

Il existe déjà de nombreuses initiatives pour développer le droit et les bonnes conduites, à travers des associations formées par des avocats au niveau international.

C’est le cas par exemple de Lexmundi Pro Bono Foundation, Legal Sector Alliance, lancée en 2008 sur le thème de l’environnement, et de Sherpa, association basée à Paris ayant pour objectif de concilier globalisation et droits de l’homme.
Si l’on prend l’exemple de Sherpa, leurs actions sont redoutables, au point où dans certains articles est né le concept du "sherpaboy" qui guette (voir à ce sujet un article du Nouvel observateur).
Les domaines d’activité de Sherpa se répartissent en cinq catégories : Exploitation forestière et climat, accès à l’eau et industrie agroalimentaire, industrie extractive et la lutte contre la corruption internationale. La criminalité financière constitue un défi majeur pour les membres de Sherpa.
Afin de mener à bien sa mission, Sherpa est également membre de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, ce qui ne manque pas d’actualité au vu de l’affaire Bettencourt.

A côté de ces associations à but non lucratif rassemblant des avocats du monde entier, les cabinets d’avocats peuvent également avoir leur propre practice de Pro Bono, ce qui donne incontestablement de la personnalité à la marque du cabinet et crée un critère extra-financier pour choisir son avocat. Même s’il est difficile de savoir si les clients sont sensibles aux avocats engagés dans des actions Pro Bono, ces actions ne peuvent qu’adoucir l’image parfois trop financière et lucrative des cabinets d’affaires.

Le Pro Bono à l’anglo-saxonne

Dans les pays anglo-saxons, le Pro Bono est une tradition.

Dans certains cabinets d’avocat, il existe même des "Pro Bono Managers" dédiés à cette activité. Si l’objectif global du Pro Bono est de garantir l’accessibilité à la justice, le Pro Bono est en définitive très concret dans les cabinets anglo-saxons. De nombreux cabinets arrivent en effet à chiffrer le temps de travail consacré au Pro Bono par les avocats. Seul le travail des "paralegals" est plus difficile à mesurer.

Ainsi, il ne s’agit pas que d’une promesse de communication, mais d’une véritable activité allouée au « bien public ». Si l’on prend l’exemple du bureau de Londres de Clifford Chance (voir l’interview de Michael Smyth sur Legal Marketing), 54% des avocats en moyenne consacrerait 25 heures par an à une activité "Corporate Social Responsability" (Responsabilité sociale de l’entreprise - RSE-).

Sur le site de Reed Smith, il est également mentionné que 3% du temps des avocats est consacré à des dossiers Pro Bono.

Ainsi, on constate que dans les cabinets anglo-saxons, le Pro Bono est pris au sérieux et est intégré dans la gestion financière.
Le Pro Bono exige donc une très bonne connaissance financière de son cabinet, ainsi qu’une parfaite maîtrise de son temps.

Des initiatives françaises malgré des freins économiques et culturels

D’après la FNUJA, le système du Pro Bono en France n’est pas très développé pour des raisons principalement économiques : "Aux Etats-Unis, l’organisation des cabinets et leurs modes de rémunération sont sensiblement différents, ce qui engendre incontestablement des situations financières sans comparaison".
En outre, les clients américains sont sensibles aux activités Pro Bono et y accordent beaucoup de crédibilité.

Malgré ces différences culturelles, certains cabinets français ne se sont pas laissé impressionner et ont pris les devants. C’est le cas par exemple de Cassius Partners qui depuis quelques années collabore étroitement avec l’ONG Avocats sans frontières. Tout comme les cabinets anglo-saxons, la partie consacrée au Pro Bono est mesurée en taux horaire. Un des associés a par exemple consacré 160 heures à des actions humanitaires pour 1440 heures facturées sur une année.

Ceci étant dit, le Pro Bono, signifiant pour le "bien public", n’est pas obligatoirement gratuit ; cela peut se traduire par tout type d’action qui vise à servir l’intérêt général.
Comme il est précisé sur le site de SIMON Associés, ce cabinet favorise les activités Pro Bono, "sous quelque forme que ce soit". Cela peut se traduire sous forme de conseils gratuits, d’honoraires réduits, d’aide à des étudiants en droit en leur permettant d’acquérir une expérience enrichissante, de soutien d’initiative à Babyloan, le 1er site internet français de “micro-crédit” solidaire à destination des micro entrepreneurs du Sud…

L’éthique consiste également à créer une ambiance de travail "humaine" et a apporté aux avocats des expériences qu’ils n’auraient pu avoir dans des missions traditionnelles. D’ailleurs, relevons à ce propos qu’un peu plus de considération de la personne dans le management des cabinets d’avocats ne serait pas superflu, comme le fait remarquer un rapport récent du CNB sur le stress des avocats : 47 % des jours indemnisés trouvent leur source dans des pathologies consécutives au stress. Le stress explique également certaines sorties prématurées de la profession d’avocat. Dès lors, le stress peut être également un frein au développement durable !
Voir aussi à ce sujet notre article "Maître, votre secrétaire vous parle !"->https://www.village-justice.com/articles/enquete-metier-secretaire-juridique,8158.html].

Le meilleur atout éthique des avocats : leurs clients ?

Si l’on réfléchit bien au concept du Pro Bono, cela revient à offrir des prestations gratuites ou des honoraires réduits à des clients que l’avocat choisit selon des critères éthiques. Cela n’interdit pas pour autant de défendre des secteurs qui ne sont pas jugés "socialement responsables" comme l’armement ou le tabac, mais pour ces secteurs là, le taux horaire appliqué reste standard. L’avocat peut aller jusqu’à choisir ses clients si son business model lui permet.

Par exemple, est-ce que le fait d’être l’avocat de Paris Hilton est valorisant ? Il s’agit d’une réflexion sur l’image de l’avocat que vous pouvez retrouver sur le blog Law firm blogging : « Is being Paris Hilton’s attorney good for business ? ».

Tout dépend de votre clientèle cible.

Dès lors, il est important pour un cabinet de connaître son client idéal.
Sans cette vision du client parfait, il est difficile de communiquer clairement sur son positionnement en interne comme en externe.
D’après un avocat américain féru de marketing, Ben W. Glass, les avocats qui pensent devoir servir tout type de clientèle font une erreur (voir son article sur son blog).

Ainsi, le premier pas vers le marketing éthique serait-il d’avoir une vision claire de son client idéal ? Et par conséquent des valeurs que l’on souhaite défendre ? Et donc de mieux se connaître ? Une phase d’introspection est peut-être alors le préalable à toute démarche éthique…

Marjorie RAFECAS

Rédaction du village

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