Les recherches confirment l’impact délétère de ces conflits sur les enfants : un niveau de conflit élevé, en particulier lorsqu’il implique des interactions agressives devant eux, génère des répercussions graves sur leur bien-être psychologique et émotionnel [4]. Malgré leur faible proportion, ces familles monopolisent jusqu’à 90% du temps des professionnels juridiques et psychosociaux travaillant dans le domaine des séparations [5].
Face à l’échec fréquent des outils traditionnels, comme la médiation familiale, et à un système judiciaire souvent perçu comme exacerbant les tensions [6], des solutions alternatives, plus adaptées et innovantes, sont indispensables. La coordination parentale émerge alors comme une réponse clé à ce défi complexe.
Origines et développement de la coordination parentale.
La coordination parentale est une intervention psycho-juridique ayant émergé aux États Unis dans les années 90, en réponse à un besoin urgent d’intervenir auprès de parents divorcés en situation de conflit intense pour lesquels les services traditionnels (médiation familiale, expertise psychosociale, thérapie) étaient inefficaces.
La coordination parentale est un processus alternatif de résolution des conflits centré sur les besoins de l’enfant au cours duquel un professionnel du domaine légal ou psychosocial, détenant une formation et une longue expérience en médiation familiale, assiste des parents vivant un conflit sévère à la suite de la séparation. Il accompagne ces parents dans l’application du plan parental, le plus souvent défini par un jugement de la cour, tout en facilitant la résolution des conflits. Le coordonnateur parental offre de l’information aux parents quant aux besoins de leurs enfants et, avec l’accord de ces derniers et de la cour, formule des recommandations lors d’impasses dans la résolution des différends les opposant.
L’objectif global de la coordination parentale est d’assister des parents hautement conflictuels dans l’implantation d’un plan parental, de suivre de près leur adhésion aux détails de ce plan, de résoudre dans un délai raisonnable les conflits qui pourraient survenir et de soutenir des relations parents-enfants qui sont saines et significatives.
La coordination parentale est une méthode alternative de résolution des conflits alliant à la fois le domaine du droit et de la santé mentale et qui combine l’évaluation de la dynamique familiale, l’éducation parentale, la coordination/gestion de cas, la gestion du conflit et la formulation de recommandations.
Le Québec pionnier : le PCR et la coordination parentale à Montréal.
La coordination parentale a fait son apparition au Québec au début des années 2000. En 2012, un premier projet pilote a vu le jour à la Cour supérieure de Montréal et avait comme objectif d’évaluer les retombées de cette intervention sur les familles y ayant participé. Ce projet a également permis d’entamer une réflexion sur la pertinence de rendre cette intervention accessible aux familles québécoises vivant des conflits sévères à la suite de la séparation. Ce projet a été rendu possible grâce au soutien financier du ministère de la Justice du Québec et du partenariat établi entre la magistrature, le Barreau du Québec, l’ AIFI (Association internationale francophone des intervenants auprès des familles séparées) et le Centre jeunesse de Montréal. Les résultats de la recherche menée par Dre Francine Cyr, psychologue et chercheure, ont fait l’objet d’un rapport de recherche déposé au Ministère de la Justice du Québec.
À Montréal, un projet pilote de coordination parentale a été mis en place pour accompagner les familles en situation de séparation conflictuelle. Ces initiatives montrent l’efficacité d’une approche structurée, conjuguant intervention juridique et soutien psychosocial, tout en inspirant des réformes ailleurs dans le monde.
L’arrivée en France : une expérimentation prometteuse mais devant être soutenue.
En France, c’est au Tribunal judiciaire de La Rochelle que la coordination parentale a vu le jour en 2021 grâce à une médiatrice Marie-Clotide Danis, médiatrice familiale, qui après avoir constaté les limites du cadre de la médiation dans les situations les plus conflictuelles, s’est intéressée aux pratiques étrangères et notamment à la pratique de « coaching » développée au Québec par Lorraine Filion. C’est après avoir suivi une formation dispensée par cette dernière que Marie-Clotilde Danis, rejointe par une juriste en droit de la famille, a proposé à la juge coordonnatrice du Pôle Famille du Tribunal Judiciaire de la Rochelle de mettre en place ce modèle.
Le juge aux affaires familiales a vocation à orienter les parents en coordination parentale plutôt qu’en médiation lorsque cela semble plus approprié compte tenu de l’intensité du conflit et les avocats sont associés au processus par la signature avec leurs clients d’une charte dans laquelle ils s’engagent à soutenir la démarche et rechercher des solutions consensuelles dans l’intérêt de l’enfant.
Cette expérimentation, bien que fructueuse, a été pourtant limitée à un certain nombre de familles, en raison de l’absence de financement de l’Etat et de cadre légal ce qui a conduit à la création de l’AFCOPA (Association Française de Coordination Parentale), qui regroupe aujourd’hui des professionnels de divers horizons : médiateurs, psychologues, avocats, et travailleurs sociaux, l’association se donnant pour mission de promouvoir et de structurer cette pratique encore méconnue, mais pleine de promesses. Une réponse adaptée aux conflits sévères. Aujourd’hui, à la suite de cette expérimentation à la Rochelle, certaines juridictions se sont engagées également dans la promotion de ce processus par la désignation de coordinateurs parentaux notamment au Tribunal de Bergerac, Angers, Privas, Toulouse ;
et très prochainement à Rennes et Grenoble.
La coordination parentale : un approche pluridisciplinaire et systémique complémentaire.
La coordination parentale offre une approche complémentaire et innovante dans un paysage où les solutions traditionnelles montrent leurs limites :
La médiation familiale, bien que précieuse, ne fonctionne pas toujours lorsque les parents sont enfermés dans des conflits destructeurs.
Le système de protection de l’enfance, lui, est souvent paralysé par un manque de moyens : selon un rapport de l’ONPE (Observatoire National de la Protection de l’Enfance), 308 000 enfants ont fait l’objet d’une mesure de protection en 2023, un chiffre en hausse constante. Parallèlement, les signalements de violences intrafamiliales ont augmenté de 24% en cinq ans, mettant en lumière une véritable crise systémique.
Dans ce contexte, l’approche pluridisciplinaire de la coordination parentale permet de rétablir un dialogue fonctionnel entre les parents, tout en plaçant l’intérêt de l’enfant au centre des décisions. Le coordinateur parental agit à la fois comme un médiateur, un facilitateur et un coach, offrant un cadre structurant et sécurisant pour sortir de l’impasse sous l’œil attentif du juge encadré par la présence des avocats qui soutiennent ce processus.
Un espace de résolution indispensable.
La coordination parentale se positionne comme un espace de résolution hybride, à mi-chemin entre la médiation et l’intervention judiciaire classique. Elle permet de désamorcer les situations de crise en offrant un accompagnement sur mesure, adapté à chaque famille. Cette approche présente également l’avantage d’alléger la charge des tribunaux et des services sociaux, tout en répondant aux besoins pressants de protection des enfants exposés à des conflits parentaux destructeurs.
Une réforme du Code civil : un enjeu pour la France.
La mise en place effective de la coordination parentale en France soulève une question centrale : comment adapter la procédure pour intégrer cette approche de manière efficiente ?
Aujourd’hui, la coordination parentale peut être mise en place conventionnellement sous l’impulsion des parents et nous voyons donc toutes les limites d’une pratique libérale et conventionnelle de la coordination parentale laissée à l’appréciation des parents qui sont eux-même peu conscient de la violence systémique dans laquelle il se trouve mettant l’autre parent en responsabilité de l’échec de la coparentalité.
Ce processus peut également être ordonné par un juge. Cependant, même si les coordinateurs parentaux sont désignés nominativement dans les jugements ou ordonnances, les parents sont ensuite libres ou non d’y donner suite, à l’instar de la médiation.
La désignation des coordinateurs parentaux par le juge aux affaires familiales dans un cadre légal adapté pourrait permettre de structurer et de renforcer leur intervention.
Actuellement de telles désignations par le juge sont possibles mais limitées.
L’article 373-2-6 du Code civil définit en effet la mission du juge aux affaires familiales, en précisant que ce dernier est chargé de régler les litiges soumis dans ce cadre, tout en veillant prioritairement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs.
Il lui appartient également de prendre toutes mesures nécessaires pour garantir la continuité et l’effectivité des liens entre l’enfant et chacun de ses parents. Pouvons-nous considérer que ce texte pourrait suffire pour ordonner la désignation d’un coordinateur parental alors que le rôle du coordinateur est bien différent ?
Le juge aux affaires familiales est bien seul dans sa mission actuellement. Le processus de décision dépend également des moyens mis à sa disposition pour éclairer son intime conviction, le temps accordé aux audiences (entre 10 et 20 mn par dossiers), sa formation au haut conflit, des pièces soumises au débat par les parties dans des procédures souvent écrites, lors de débats où la preuve est difficile à rapporter ou qui piègent les parents dans cette recherche de la preuve alimentant le conflit pour prouver que l’autre parent est nocif, violent, manipulateur,
L’absence de dispositions précises laisse ainsi le juge démuni dans la mise en œuvre du processus de coordination parentale au sein de son cabinet.
Et puis dans certaines situations le Code civil limite les possibilités d’action comme notamment avec la médiation en situation de violences.
L’article 373-2-10 du Code civil prévoit qu’en cas de désaccord entre les parents, le juge tente de les concilier et peut proposer une médiation familiale. Toutefois, cette médiation est exclue en cas d’allégations de violences par l’un des parents sur l’autre ou sur l’enfant, ou en présence d’une emprise manifeste de l’un des parents. Si les parents donnent leur accord, le juge peut désigner un médiateur familial pour intervenir, y compris lorsqu’il statue définitivement sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
Qu’en serait-il en cas de coordination parentale ?
Le débat mérite d’être ouvert et une réforme serait nécessaire afin de donner toutes les chances à ce processus d’œuvrer de manière efficiente encadré par la justice dans la perspective de protéger les enfants du conflit de leur parent.
Une telle réforme offrirait un cadre légal clair et garantirait une meilleure protection des enfants tout en allégeant la charge des tribunaux en rendant une justice plus efficiente et adaptée au contexte des familles sans jeu judiciaire dans lequel l’enfant serait pris et manipulé par le discours de chaque parent.