La Cour de cassation clarifie la notion d’irrégularité en matière d’accises.

Par Jean Pannier, Avocat.

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Explorer : # fraude fiscale # droits d'accise # apurement fictif # réglementation européenne

La société Stockage service 42, anciennement ACC Log France, société à responsabilité limitée unipersonnelle, a formé le pourvoi n° 19-21.644 contre l’arrêt rendu le 27 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l’opposant au directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières défendeur à la cassation.
Arrêt de la Chambre commerciale du 9 février 2022 (pourvoi n° 19-21.664).

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La cour dit pour droit (quatrième moyen) :

« 16. Après avoir rappelé que, selon l’article 10 de la directive n° 2008/118 du Conseil du 16 décembre 2008, les droits d’accise sont, en cas d’irrégularité, exigibles dans l’État membre où l’irrégularité qui a entraîné la mise à la consommation a été commise ou, s’il n’est pas possible de déterminer où elle a été commise, dans l’État membre où elle a été détectée, l’arrêt relève qu’au cours des opérations de surveillance, de contrôle et d’audition, l’administration des douanes a constaté que la société avait, depuis son entrepôt en France, émis et apuré des DAE fictifs validant l’expédition de boissons en droits suspendus de son entrepôt à destination de l’Italie et la réception au sein de son entrepôt de boissons en droits suspendus en provenance de Belgique, du Royaume-Uni et de France. Il relève encore que l’administration des douanes a constaté des manquements dans la comptabilité-matière ainsi que des produits manquants dans l’inventaire des stocks de produits soumis à accise présents dans l’entrepôt de la société.
17. En l’état de ces énonciations et constatations, faisant ressortir, d’une part, que les irrégularités relevées contre la société par l’administration des douanes françaises avaient été commises en France, d’autre part, que ces irrégularités avaient nécessairement entraîné une sortie des produits litigieux du régime de suspension de droits et, par suite, une mise à la consommation, telle que présumée conformément à l’article 7, paragraphe 2, sous a) de ladite directive, rendant exigibles les droits d’accise en France, la cour d’appel a légalement justifié sa décision
 ».

1. L’apurement fictif ou frauduleux est une irrégularité.

Cet arrêt du 9 février 2022 est d’une importance considérable et aurait mérité d’être publié au bulletin civil de la Cour de cassation car, pour la première fois, l’autorité judiciaire met l’accent sur la notion d’irrégularité telle qu’énoncée dans la directive 2008/118/CEE que l’administration des douanes rejette pour justifier le recouvrement des accises dans toutes les situations où les expéditions d’alcools en droits suspendus ont fait l’objet d’apurements fictifs [1].

La question centrale est la détermination du lieu de recouvrement des accises en cas d’irrégularité et toute la question repose sur ce qu’il faut entendre par irrégularité.

L’arrêt rappelle que, selon l’article 10 de la directive n° 2008/118 du Conseil du 16 décembre 2008, les droits d’accise sont, en cas d’irrégularité, exigibles dans l’État membre où l’irrégularité qui a entraîné la mise à la consommation a été commise ou, s’il n’est pas possible de déterminer où elle a été commise, dans l’État membre où elle a été détectée.

La directive 2008/118 ne précise pas clairement qu’un accusé de réception fictif ou frauduleux lancé sur le logiciel européen EMCS/GAMMA par le destinataire alors que les marchandises ne sont pas parvenues à ses entrepôts est par nature un faux message donc par définition une irrégularité qui caractérise une fraude. C’était trop simple et ce silence que n’a pas su comprendre la Commission dans un contexte exponentiel de fraude ne pouvait qu’encourager la douane française à se lancer dans une démonstration acrobatique pour affirmer que l’apurement fictif n’est pas une irrégularité mais contamine le document administratif électronique (DAE) qui deviendrait alors rétroactivement inapplicable…alors qu’il était vierge de tout reproche à l’émission. Ce raisonnement fallacieux… permet de faire main basse sur les accises.

2. L’irrégularité existe dans les deux sens (import-export).

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 mai 2019 frappé de pourvoi relève qu’au cours des opérations de surveillance, de contrôle et d’audition, l’administration des douanes a constaté que la société avait, depuis son entrepôt en France, émis et apuré des DAE fictifs validant l’expédition de boissons en droits suspendus de son entrepôt à destination de l’Italie et la réception au sein de son entrepôt de boissons en droits suspendus en provenance de Belgique, du Royaume-Uni et de France. Il relève encore que l’administration des douanes a constaté des manquements dans la comptabilité-matière ainsi que des produits manquants dans l’inventaire des stocks de produits soumis à accise présents dans l’entrepôt de la société.

Cet arrêt opportunément favorable à la douane française n’est pas unique en son genre, on constate en effet qu’elle poursuit au pénal très habituellement les apurements fictifs devant les juridictions correctionnelles et qu’elle obtient facilement gain de cause alors qu’elle soutient le contraire lorsque les apurements fictifs sont le fait des destinataires [2]. Pareille duplicité n’a qu’une explication qu’on peut qualifier de politique du croupier.

La plupart des douanes des pays destinataires (Allemagne, Belgique, Italie, Pologne) procèdent systématiquement au recouvrement des accises et engagent des poursuites pénales pour fraude lorsqu‘elles constatent des apurements fictifs, décisions dont elles informent la douane française qui, en revanche, se garde bien d’en informer l’entrepositaire expéditeur lorsqu’elle lui réclame les mêmes accises [3].

Le recouvrement commence par l’appel des cautions ce qui est parfaitement illégal côté France si l’on en croit l’article 432-10 du Code pénal qui punit le fait d’exiger un impôt qui n’est pas dû puisqu’il est déjà perçu ailleurs.

L’arrêt de la Cour de cassation remet les pendules à l’heure en précisant que

« ces irrégularités avaient nécessairement entraîné une sortie des produits litigieux du régime de suspension de droits et, par suite, une mise à la consommation, telle que présumée conformément à l’article 7, paragraphe 2, sous a) de ladite directive ».

Enfin la lumière fut et va permettre de se débarrasser des contorsions acrobatiques de la douane devant la Cour d’appel de Douai ou, plus récemment, devant le Défenseur des droits.

La règle joue dans les deux sens, l’apurement fictif par nature irrégulier entraîne la sortie du régime de suspension de droits sans qu’il soit besoin d’évoquer une quelconque forme de contamination du DAE dès lors que ce DAE n’a pas fait l’objet d’une contestation lors de son émission.

3. La douane française mauvais élève de l’Union.

D’aucuns affirment que la règlementation européenne est d’une telle complexité que les enquêteurs des douanes sont tentés de l’analyser comme un réservoir de failles offrant autant de tentations. D’autres, comme un grand directeur des douanes qui a commencé sa carrière comme enquêteur, n’hésitent pas à qualifier la règlementation sur les accises de criminogène.

Il faut le redire inlassablement le contentieux douanier souffre d’une énorme lacune au niveau de l’enseignement y compris à l’école de la magistrature qui a laissé entrer la douane ou ses avocats pour dispenser un enseignement insuffisant mais qui reflète par nature « la voix de son maître ».

Les Conseillers de la Chambre criminelle de la Cour de cassation se sont formés sur le tas ayant rarement eu à traiter cette matière pourtant européenne depuis 1992 au cours de leur carrière.

Quant aux avocats, ils ne se souviennent pas d’avoir assisté à une formation au contentieux douanier à l’université ou ailleurs d’où l’idée du Bâtonnier Henri ADER de suggérer à l’auteur de publier un premier recueil de sommaires de jurisprudence douanière suivi d’un second contenant 1300 décisions principalement de la Cour de Cassation du Conseil d’Etat et de la CJUE [4].

La douane pour sa part a ses propres écoles et les agents de la douane judiciaire s’appliquent à porter la bonne parole au sein des parquets comme on l’a constaté devant la JIRS de Lille dans l’affaire France Distribution - AOE. On a même pu constater qu’un agent des douanes a participé activement à la rédaction du réquisitoire définitif - donc à l’action publique - sans préciser sa qualité.

4. Rappel des objectifs de la règlementation européenne.

La suppression des frontières intérieures de l’Union a inspiré une première directive 1992/12 du Conseil du 25 février 1992 visant à règlementer la circulation des alcools à travers l’Europe en droits suspendus et à empêcher la fraude. Le système était basé sur des procédures papier qui ont très rapidement vu se multiplier de manière exponentielle les faux cachets.

Il a fallu attendre 15 longues années pour que la Commission réagisse en publiant une nouvelle directive 2008/118 du Conseil du 16 décembre 2008 qui n’a en rien permis de limiter la fraude comme on a pu le voir de manière concrète dans l’affaire France Distribution qui concerne 19 prévenus et offre enfin un coup de projecteur sur le catalogue des multiples fraudes aux accises. Du haut de la tour d’ivoire on voit mal.

La nouveauté consistait à remplacer les procédures papier par une sorte de signature électronique.

Le site officiel de la Commission précise :

« Système informatisé de contrôle des mouvements de produits soumis à accises (EMCS).

Le système d’informatisation des mouvements et des contrôles des produits soumis à accise (EMCS) est un système informatisé permettant de suivre la circulation au sein de l’UE des produits soumis à accise [5].

Il enregistre la circulation d’alcool, de tabac et de produits énergétiques.

L’EMCS est actuellement utilisé pour la circulation des produits soumis à accise en suspension de droits d’accise. Toutefois, la prochaine version de l’EMCS permettra également son utilisation pour les mouvements de produits soumis à accise mis à la consommation sur le territoire d’un État membre et déplacés vers un autre État membre pour y être livrés à des fins commerciales.

Plus de 100 000 opérateurs économiques utilisent actuellement ce système, qui constitue un outil essentiel pour l’échange d’informations et la coopération entre les États membres.

Objectifs de l’EMCS.

  • Lutter contre la fraude fiscale grâce à des informations en temps réel et à des contrôles portant sur les produits soumis à accise en circulation entre États membres
  • Sécuriser les mouvements des produits soumis à accise, grâce à des contrôles effectués sur les opérateurs avant l’expédition des produits
  • Simplifier les procédures pour les opérateurs grâce à un système électronique normalisé dans l’ensemble de l’UE
  • Accélérer la libération des garanties lorsque les produits arrivent à destination
  • Mettre en place une administration sans papier.

L’EMCS en pratique.

Dans le cadre de l’EMCS, chaque étape du mouvement d’un bien soumis à accise est documentée au moyen d’un document administratif électronique (DA-e) :

  • Le DA-e est délivré par l’expéditeur original et contient des informations concernant la cargaison et le mouvement prévu dans l’Union
  • Le DA-e est validé dans l’État membre d’expédition. Un registre européen des opérateurs (le SEED) est utilisé afin de vérifier les numéros d’accise de l’expéditeur et du destinataire
  • e DA-e est transmis par voie électronique par l’État membre d’expédition à l’État membre de destination
  • L’État membre de destination transfère le DA-e au destinataire.

Système d’échange de données relatives aux accises (SEED).

Le système d’échange de données relatives aux accises (SEED) est un registre des opérateurs économiques, qui peut en partie être consulté en ligne pour vérifier la validité d’un numéro d’accise, ainsi que les catégories de produits qu’un opérateur est autorisé à commercialiser.

Il s’agit d’une composante essentielle de l’EMCS, puisque ce système permet aux administrations des États membres de valider les autorisations accordées aux opérateurs avant d’autoriser ces derniers à déplacer des produits soumis à accise en suspension de droits d’accise.

Spécification fonctionnelle du système d’accise (FESS).

La spécification fonctionnelle du système d’accise (FESS) analyse et décrit l’ensemble des fonctions et processus opérationnels de l’EMCS. Elle sert de document de référence pour toute personne souhaitant connaître la portée exacte de l’EMCS.

La FESS est mise à jour tous les 18 mois environ ».

Concernant les subtilités de la fraude apparues au grand jour au cours de huit jours d’audience de la JIRS de Lille début 2023 on ne peut que constater que la directive est loin du compte et que la jurisprudence de la CJUE continue à tourner au tour du problèmes des manquants qui n’a rien à voir avec la vraie fraude qui a pour principale caractéristique de faire circuler des documents falsifiés et de faux apurements plutôt que des marchandises. C’est ainsi qu’on a découvert à Lille l’ampleur des mouvements fictifs baptisés « gost lorries » ou camions fantômes qui laissent une traçabilité sur EMCS/GAMMA alors qu’ils n’ont jamais quitté le Royaume Uni.

Sur ces réalités qui concernent des dizaines de milliers de camions et des milliards d’euros ou de livres la directive est imprécise et donc bien loin du compte pour garantir la sécurité des opérateurs qui font finir dans les filets de la douane française même s’ils ont respecté scrupuleusement la règlementation sous le regard indifférent de Taxud pourtant maintes fois informé de l’ampleur des dégâts.

5. Restaurer la colonne vertébrale du système.

On l’a bien compris la douane française et plus particulièrement les SRE de Dunkerque, de Lille et la Dnred s’appliquent à détourner les objectifs de la règlementation pour faire du chiffre puisque leur hiérarchie les laissent faire et même les couvre au plus haut niveau.

Puisque la directive 2008/118 récemment mise à jour par la directive 2020/262 du 19 décembre 2019 n’ont toujours pas compris la nécessité de préciser qu’un accusé de réception fictif n’est rien d’autre qu’un faux message et constitue à ce titre une irrégularité au sens de la réglementation européenne qu’on peut qualifier d’incomplète, l’arrêt commenté de la Chambre commerciale de la Cour de cassation est le bienvenu dans cet univers frappé de cécité.

Il faut enfoncer le clou, un apurement fictif jugé irrégulier lorsqu’il est constaté en France est tout aussi irrégulier lorsqu’il est constaté à destination.

Cette décision ne devrait plus permettre à la douane de Dunkerque de se livrer à un exercice de trapèze volant sans filet en affirmant que l’apurement fictif n’est pas une irrégularité mais qu’il a la vertu de contaminer rétroactivement le DAE d’origine situation qui permet de faire main basse sur les accises chez l’expéditeur français.

Vous avez bien lu, contamination rétroactive : comme disait Coluche, c’est nouveau ça vient de sortir !

Allons jusqu’au bout du raisonnement : dans ces situations bien réelles mais illégales de mise en recouvrement des accises, on découvre, même si les enquêteurs prennent soin de le dissimuler à l’entrepositaire expéditeur qu’ils vont taxer…que les accises ont déjà été mises en recouvrement par les autorités des pays destinataires avec poursuites pénales en prime puisque les apurement fictifs sont frauduleux.

Là encore l’honnêteté de la douane française apparaît dans toute sa splendeur car elle s’affranchit des règles contraignantes de l’assistance administrative mutuelle internationale (AAMI) qui l’obligent à la transparence. En clair, la douane française dissimule à l’entrepositaire expéditeur les éléments reçus de l’assistance mutuelle inter-douanes qui lui permettraient de contester les AMR.

Cette pratique ne respecte pas, les exigences du règlement 389/12 du 2 mai 2012 et de son règlement d’application 2015/323 du 24 février 2016 en matière d’accises. A la lecture du point 4 du règlement 389/12 on découvre les craintes du législateur communautaire :

« L’échange d’informations dans le domaine de l’accise est nécessaire dans une large mesure pour que l’on puisse disposer d’une vue d’ensemble de la situation de certaines personnes au regard de l’accise mais, dans le même temps, il n’est pas loisible aux États membres d’aller à la pêche aux informations ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation d’une personne donnée ou d’un groupe ou d’une catégorie de personnes déterminés au regard de l’accise ».

Ces craintes sont parfaitement justifiées puisque la vue d’ensemble est ici absente dans les rapports d’enquête qui se gardent bien d’informer l’expéditeur de l’ensemble des informations recueillies des administrations requises principalement sur les mises en recouvrement pour cause de fraude aux accises et les éventuelles poursuites judiciaires engagées.

Bien évidemment, l’expéditeur doit être informé de ce qui s’est passé pour se défendre d’une double taxation parfaitement illégale comme le confirme la CJUE.

CJUE 24 février 2021 n° C-95/19, Arrêt de la cour, Agenzia delle Dogane contre Silcompa SpA :

« De même, dans une situation impliquant une sortie irrégulière du régime suspensif, survenue dans un État membre, entraînant, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 92/12, une mise à la consommation de produits soumis à accise, ainsi que, ultérieurement, une mise à la consommation effective dans un autre État membre, il ne saurait être admis que ce dernier puisse également percevoir les droits d’accises en ce qui concerne les mêmes opérations d’exportation.
De même, dans une situation impliquant une sortie irrégulière du régime suspensif, survenue dans un État membre, entraînant, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 92/12, une mise à la consommation de produits soumis à accise, ainsi que, ultérieurement, une mise à la consommation effective dans un autre État membre, il ne saurait être admis que ce dernier puisse également percevoir les droits d’accises en ce qui concerne les mêmes opérations d’exportation.
En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 56 de ses conclusions, conformément à l’économie générale de la directive 92/12, la mise à la consommation des produits soumis à accise ne peut avoir lieu qu’une seule fois. Il s’ensuit que, si, en pratique, plusieurs infractions ou irrégularités successives peuvent se produire dans différents États membres, au cours de la circulation d’un même produit soumis à accise, seule la première d’entre elles, à savoir celle qui a eu pour conséquence de faire sortir les produits en cours de circulation du régime suspensif des droits d’accises, doit être prise en compte aux fins de l’application de l’article 20 de cette directive, dans la mesure où une telle infraction ou une telle irrégularité a eu pour effet de mettre les produits à la consommation, au sens de l’article 6 de celle-ci.
La seconde hypothèse envisageable vise le cas où les autorités d’un État membre se sont fondées sur une des présomptions de l’article 20, paragraphes 2 et 3, de la directive 92/12 et où les autorités d’un autre État membre constatent que l’infraction ou l’irrégularité a effectivement été commise dans ce dernier État membre. Dans une telle hypothèse, les autorités de ces États membres procèdent à l’application du mécanisme correctif visé à l’article 20, paragraphe 4, de cette directive, dans le respect des conditions prévues à cet effet dans un délai de trois ans à compter de la date d’établissement du DAA, conformément à l’article 18, paragraphe 1, et à l’article 19, paragraphe 1, de ladite directive
 ».

CJUE, 5 mars 2019 n° C-175/14, Arrêt de la cour, Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgerichtshof :

« À titre liminaire, il y a lieu de relever que la directive 92/12 vise à établir un certain nombre de règles en ce qui concerne la détention, la circulation et les contrôles des produits soumis à accise, et ce notamment afin d’assurer que l’exigibilité de l’accise soit identique dans tous les États membres. Cette harmonisation permet, en principe, d’écarter les doubles impositions dans les relations entre États membres (arrêts Scandic Distilleries, C-663/11, EU:C:2013:347, points 22 et 23, ainsi que Gross, C-165/13, EU:C:2014:2042, point 17).
Il convient également de rappeler que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/12 établit une règle générale selon laquelle un produit soumis à accise, mis à la consommation dans un État membre et détenu à des fins commerciales dans un autre État membre, est taxé dans ce dernier État. Le lieu d’exigibilité de la taxe est ainsi l’État membre de destination du produit et non celui de sa mise à la consommation (arrêt Meiland Azewijn, C-292/02, EU:C:2004:499, point 35). 22 L’interprétation selon laquelle le prélèvement des accises s’effectue, en général, dans un seul État membre, à savoir celui pour lequel le produit concerné est destiné et dans lequel il sera consommé, est d’ailleurs corroborée par l’article 22 de la directive 92/12, qui prévoit, sous certaines conditions, le remboursement des droits d’accises acquittés dans un autre État membre (arrêt Scandic Distilleries, EU:C:2013:347, point 24). 23 Certes, ni l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/12 ni l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci n’excluent expressément le prélèvement, dans un État membre par lequel des marchandises de contrebande ont transité, des droits d’accises sur ces marchandises, alors même que celles-ci ne se trouvent plus sur le territoire de cet État et qu’elles sont arrivées dans l’État membre de destination.
Toutefois, la cour a jugé que, lorsque des produits introduits irrégulièrement sur le territoire de l’Union sont, comme les marchandises en cause au principal, détenus à des fins commerciales, il découle des dispositions combinées des articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de ladite directive que les autorités de l’État membre dans lequel ces produits ont été découverts sont compétentes pour recouvrer l’accise (arrêt Dansk Transport og Logistik, C-230/08, EU:C:2010:231, point 114, et ordonnance Febetra, C-333/11, EU:C:2012:134, point 41). Dans l’affaire au principal, il s’agit des autorités du Royaume-Uni.
Dans ces conditions, il convient de constater que, de la même manière que l’État membre de départ, les États membres de transit ne sont pas compétents pour recouvrer l’accise lorsque de tels produits sont découverts par les autorités d’un autre État membre, sur le territoire duquel ils sont détenus à des fins commerciales.
En effet, il ne saurait être valablement soutenu que le législateur de l’Union entendait privilégier la prévention des abus et des fraudes en permettant, de manière générale, en cas de transport irrégulier de produits soumis à accise, à tous les États membres de transit de procéder au prélèvement de l’accise
 ».

6. Réactions diversifiées en France.

A. Une jurisprudence tant attendue.

La JIRS de Lille dans son premier jugement de 159 pages du 2 mars 2023 (minute 2023-1072. CB) a, au vu du dossier qui caractérisait la destination réelle des marchandises en Grande Bretagne, rejeté la demande de pénalités de la DNRED au motif que le budget français n’était pas impacté. Décision courageuse que les juridictions correctionnelles auraient dû adopter depuis longtemps puisque l’objectif de la fraude a toujours été d’écouler les marchandises dans les pays à forte fiscalité sans y payer les accises ni la TVA. Le mensuel Capital de novembre 2023 évalue à 40 milliards le préjudice fiscal subi par la Grande Bretagne au cours de la période de prévention.

Ainsi la situation est désormais beaucoup plus claire dans ces sables mouvants à l’origine, depuis 1992, de préjudices abyssaux qu’aurait pu éviter la Commission européenne. On ne devrait plus désormais sous-estimer le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond malmené dans l’affaire Eurostop par la Chambre criminelle dans son arrêt du 12 septembre 2018 (pourvoi n° 17-81.800) publié au bulletin criminel n° 156 alors que les prévenus relaxés en appel n’avaient pas été informés du pourvoi de la douane [6].

B. La Commission européenne du haut de sa tour d’Ivoire.

La Commission et ses services sont à l’origine des directives, il apparaît dès l’entrée en vigueur de la directive 92/12 que ses auteurs sont largement passés à côtés des réalités de la fraude. Autrement dit il y avait d’énormes trous dans la raquette. On pouvait espérer que du haut de sa tour d’ivoire la Commission européenne accepte de préciser sous une forme appropriée qu’un accusé de réception (apurement) fictif est par nature une irrégularité qui met un terme au mouvement en suspension de droits. Son silence n’a fait que provoquer des tentations très préjudiciables à la clarté du droit et aux intérêts financiers des pays membres. L’objectif de la sécurisation des opérations est très fragilisé par son silence et les justiciables que sont les entrepositaires agréés qui travaillent dans le respect de la règlementation se trouvent soumis aux incertitudes du parcours judiciaire qui ne leur laisse même pas l’espoir d’une question préjudicielle. L’objectif de la sécurisation a échoué par la faute des auteurs d’une règlementation qui n’ont pas perçu ses pièges.

C. La réaction de Taxud est édifiante.

« La Commission n’est pas compétente pour résoudre les problèmes rencontrés par les contribuables dans une situation particulière ni, d’ailleurs, pour intervenir dans des procédures judiciaires en instance devant les autorités nationales. En outre, elle ne peut pas réexaminer les décisions des autorités administratives rendues dans des cas individuels. La Commission ne peut donc porter d’appréciation sur les faits d’une situation particulière, ni procéder à l’examen ou réexaminer les faits établis et les conclusions tirées par les autorités fiscales nationales dans leurs décisions ; elle ne peut dès lors pas être sollicitée pour régler les litiges concernant des cas individuels. Lorsqu’il s’agit d’un cas individuel, un droit de recours direct est accordé aux plaignants par les autorités administratives et judiciaires nationales. Dans le cadre de ces procédures, les plaignants sont autorisés à invoquer devant les autorités le droit de l’Union pertinent, tel qu’il est interprété par la cour » [7].

En résumé la Commission n’envisage pas de clarifier les insuffisances de ses propres textes qui peuvent, tel un cancer, favoriser la multiplication des métastases encouragées par le silence. En pareille situation, elle porte la responsabilité de laisser se développer une interprétation des textes qui n’a d’autre objectif que de généraliser la pêche aux accises en violation des dits textes.

D. Le Défenseur des droits limite ses interventions à une consultation sans suite.

« S’agissant de la directive 2008/118 du 16 décembre 2008, elle prévoit : En cas d’irrégularité, il convient que les droits d’accise soient exigibles dans l’État membre sur le territoire duquel l’irrégularité qui a entraîné la mise à la consommation a été commise ou, s’il n’est pas possible de déterminer où elle a été commise, dans l’État membre où elle a été détectée. Si les produits soumis à accise n’arrivent pas à leur destination sans qu’aucune irrégularité n’ait été détectée, il convient de réputer qu’une irrégularité a été commise dans l’État membre d’expédition des produits. Article 7 : 1. Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue. 2. Aux fins de la présente directive, on entend par « mise à la consommation » : a) La sortie y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accises, d’un régime de suspension de droits.
Article 10 1. Lorsqu’une irrégularité a été commise au cours d’un mouvement de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, entraînant leur mise à la consommation conformément à l’article 7, paragraphe 2 a), la mise à la consommation a lieu dans l’État membre où l’irrégularité a été commise.
En application de l’article 10.4 de la directive, l’administration considère que la taxation en France se justifie par le fait qu’aucune irrégularité n’a été détectée en cours de transport et qu’il est impossible de déterminer la destination réelle des marchandises. Toutefois, l’apurement frauduleux par le destinataire sans la présence physique des marchandises peut également apparaître comme une irrégularité, au sens des articles 7 2a) et 10.1 de la directive.
Par ailleurs, l’administration considère, d’une part, que les droits d’accises ne peuvent pas être réclamés dans un pays où les marchandises ne sont jamais réellement arrivées et, d’autre part, que si une infraction peut être constatée du fait de l’apurement frauduleux d’un DAE alors que les marchandises ne sont pas livrées à destination, elle n’entraîne pas de mise à la consommation puisque les marchandises ne sont pas physiquement présentes.
Or, écrit le Défenseur des droits, cette position est inopérante si l’on considère que la taxation envisagée en France par l’administration concerne des marchandises qui n’ont pas non plus été livrées et mises à la consommation en France.
S’agissant de l’éventuel recouvrement et/ou d’éventuelles poursuites dans les pays de destination : Vu la complexité de la réglementation ainsi que les possibles divergences d’interprétations de la directive 2008/118, il paraît opportun de vérifier que les accises mises à la charge de la société X par l’administration des douanes française n’aient pas fait l’objet d’une mise en recouvrement par les douanes des pays de destination. En effet, les accises ne peuvent être recouvrées deux fois, quelles que soient les circonstances.
S’agissant de la notion d’irrégularité au sens de la directive 2008/118 du 16 décembre 2008, la directrice régionale a indiqué qu’elle s’entendait dans le cadre d’une mise à la consommation. Autrement dit, les marchandises sont mises à la consommation, rendant les droits d’accises exigibles immédiatement, dès lors qu’elles sortent du régime suspensif sous couvert duquel elles circulaient, même si cette sortie du régime suspensif est irrégulière.
La directrice régionale a également précisé que l’apurement frauduleux à destination, dans notre cas d’espèce, n’est ni plus ni moins qu’une conséquence de la sortie irrégulière du régime de suspension de droits. En outre, elle considère qu’un apurement informatique n’est pas une cause de mise à la consommation mais une information selon laquelle la marchandise est a priori arrivée à destination. Ainsi, les accises sont exigibles dans le pays de destination finale, à la condition expresse que le destinataire confirme bien l’arrivée physique des marchandises. A défaut, l’expéditeur du pays de départ doit acquitter les accises, sachant qu’en l’espèce, aucun élément ne permet de savoir exactement quelle destination les 719 chargements en litige ont finalement rejoint.
S’agissant de la taxation, la directrice régionale considère que l’existence d’un recouvrement dans un des pays de destination déclaré n’est pas un obstacle dans la mesure où l’enquête du SRE a démontré que les marchandises ne sont pas arrivées à destination et qu’aucune taxation n’a été payée par les sociétés destinataires. Elle a ajouté que le paiement des droits à destination n’était pas une preuve de la mise à la consommation à destination et pouvait faire partie du schéma de fraude, notamment dans un État où le taux est très faible. Enfin, si les droits d’accises étaient effectivement acquittés en France à la suite d’un contentieux, une demande de remboursement pourrait être effectuée dans les pays où les droits ont été acquittés au préalable. Enfin, la directrice régionale a confirmé que ses services avaient réinterrogé les autorités italiennes sur l’existence ou non du paiement des droits d’accises à destination et que, pour l’heure, ils étaient toujours dans l’attente de leur retour.
Au regard des explications de la directrice régionale des douanes de …, et étant dépourvu de tout moyen de soutenir davantage votre réclamation, je vous informe que je procède à sa clôture. La procédure ouverte auprès du Défenseur des droits est donc désormais achevée
 ».

L’analyse du Défenseur des droits qui déclare inopérante la position de l’administration des douanes méritait mieux qu’un classement sans suite. Elle se résume à une consultation alors que sa mission consiste à défendre les justiciables victimes d’abus de droits de l’administration.

N’ayant pas de pouvoir propre le Défenseur des droits est cependant parfaitement habilité à saisir notamment le ministre des Comptes publics dont la mission est d’apprécier le bien-fondé de la position de son administration et de la rectifier. Le Défenseur des droits le fait pourtant habituellement lorsqu’il estime, comme ici, que la douane ne respecte pas la règlementation situation qui peut menace l’existence d’une entreprise.

L’entreprise est ici abandonnée au milieu du gué ce qui permet de s’étonner de la frilosité du Défenseur des droits qui ne va pas au bout de la logique de son analyse. Le Défenseur des droits n’a manifestement pas lu l’arrêt de la Cour de cassation du 9 février 2022, son travail reste à parfaire.

Jean Pannier
Docteur en droit
Avocat à la Cour
Barreau de Paris
Ancien membre du Conseil de l’Ordre
Site : http://contentieux-fiscal-et-douani...

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Notes de l'article:

[1Lire l’article : (Tribune) Le casse-tête de la pêche aux accises et les derniers abus de la douane française.

[2Trib. corr. Douai 18/08/2015 Minute n° 670/2015, Baguley M. Jugement confirmé en appel.

[3Jugement du 15 mai 2023 Tribunal de 1ère Instance du Hainaut Division de Mons 8ème chambre fiscale.

[4Recueil de jurisprudence douanière Editions Economica.

[6Voir l’article : La valse-hésitation de la chambre criminelle à propos de la responsabilité pénale applicable aux contributions indirectes.

[7Réponse de Taxud du 25/10/2023 à une demande d’interprétation de la notion d’irrégularité au sens de l’article 10 de la directive 2008/118.

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