Une fiscalité taillée pour hier, pas pour aujourd’hui.
Pendant longtemps, la fiscalité s’est appuyée sur des choses très concrètes : un siège social, une usine, un entrepôt. Autrement dit, des bases physiques. Mais aujourd’hui, ce modèle montre clairement ses limites.
Des entreprises comme Amazon, Google ou Apple peuvent générer des millions (voire des milliards) dans un pays sans jamais y avoir de présence matérielle. Comment les taxer, dans ces conditions ? C’est tout le problème. Les règles actuelles reposent encore sur la notion “d’établissement stable”... mais comment parler de stabilité quand tout passe par des flux de données, des serveurs à distance, et des plateformes accessibles depuis n’importe où ?
Résultat : une grande partie de la richesse numérique échappe à l’impôt là où elle est réellement créée. Et même si les pratiques d’optimisation fiscale sont souvent légales, elles créent un sentiment d’injustice de plus en plus fort (chez les citoyens comme chez les gouvernements).
Réactions en chaîne : ripostes nationales et accord global.
Face à ce décalage, certains États ont décidé d’agir seuls. La France, par exemple, a instauré une taxe sur les services numériques (surnommée “taxe GAFA”), loi n°2019-759 du 24 juillet 2019, qui vise directement les plateformes réalisant du chiffre d’affaires dans le pays. C’est une manière de reprendre un peu de contrôle. Mais cette stratégie a aussi déclenché des tensions diplomatiques, notamment avec les États-Unis.
C’est dans ce contexte que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a tenté de rassembler les États autour d’une réforme globale. En 2021, plus de 130 pays ont signé un accord structuré en deux piliers. Le premier redistribue une partie des droits d’imposition aux pays où les profits sont réellement réalisés, même sans implantation physique. Le second fixe un impôt minimum mondial de 15% pour les grandes entreprises, pour éviter le dumping fiscal.
C’est un tournant historique, mais la mise en œuvre reste fragile. Les intérêts divergent, certains pays manifestent encore des réticences, à l’image de l’Irlande ou de la Hongrie, soucieuses de préserver leur modèle fiscal attractif et dans les faits, beaucoup demeure à faire. Ce qui est clair, c’est qu’aucun État ne peut résoudre ce problème seul.
Et demain ? Un droit fiscal à repenser, et des juristes à former.
Ce que révèle cette crise, c’est que le droit fiscal tel qu’on le connaît arrive à un point de bascule. On ne peut plus ignorer la transformation numérique de l’économie. La question, ce n’est plus “faut-il changer les règles ?” mais “comment faire pour qu’elles restent justes et applicables dans ce nouvel environnement ?”
On voit émerger des idées comme celle d’un “établissement stable virtuel” : une présence économique non matérielle, mais suffisante pour être taxée. C’est une piste, parmi d’autres. D’autres voix parlent de taxer les groupes de manière unitaire, en fonction de leur activité réelle mondiale.
Mais tout ça pose de vraies questions de souveraineté, de justice fiscale, et de faisabilité juridique. C’est là que les futurs fiscalistes auront un vrai rôle à jouer. Parce qu’au-delà des chiffres, ce sont des choix de société.
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