1. Les avancées de la jurisprudence.
Les règles du jeu établies par la jurisprudence administrative sont aujourd’hui plus satisfaisantes. A l’origine, il aura quand même fallu la persuasion du professeur agrégé Pierre Claver KOBO, Conseiller puis Président de la Chambre administrative de la Cour suprême pour introduire, enfin, en Côte d’Ivoire le recours pour excès de pouvoir (REP) inspiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat français. La nouveauté était remarquable, le REP n’est pas issu de la loi qui, sur ce point, aurait pu aussi innover quand on mesure son utilité pour la protection du droit de propriété. C’est donc assurément une création bienvenue de la jurisprudence.
Cette jurisprudence a permis à de nombreux propriétaires de terrains dépossédés de restaurer leurs droits pour combattre un certificat de propriété auparavant inattaquable y compris lorsqu’il était grossièrement frauduleux. Avant cette jurisprudence, des milliers de propriétaires légitimes ont vu définitivement disparaître en justice leur droit de propriété légitime. Sans oublier ceux d’entre eux qui, informés de la rigueur de la règle, avaient baissé les bras. On doit donc se consoler en disant qu’il n’est jamais trop tard.
Pourtant on ne peut que s’étonner du maintien de l’exigence d’un recours préalable qui n’aboutit, au mieux, qu’à une réponse laconique du conservateur de la propriété foncière ou de son supérieur hiérarchique, le ministre du budget, invitant le requérant à saisir la juridiction administrative. Gageons que cette forme de déni ne correspond pas à l’intention initiale du législateur et qu’une réflexion en vue d’une solution plus satisfaisante aurait du sens.
Les conservateurs ou le ministre ont quatre mois pour répondre au recours gracieux mais ne le font pas systématiquement. Ils ne prennent jamais l’initiative d’annuler un certificat litigieux ce qui donnerait du sens au recours préalable et soulagerait la charge de travail de la juridiction administrative qui traîne aujourd’hui encore un stock de requêtes parfois vieilles de dix années.
Le recours gracieux ne présente finalement aucun avantage puisque la réponse des conservateurs n’est jamais motivée. Alors que les conservateurs seront ultérieurement saisis de la requête par le Conseil d’Etat, comme le ministre de la construction et le ministère public, pour rendre un avis sous la signature d’un avocat. Situation baroque qui ne fait qu’alourdir la procédure - quand le conservateur daigne répondre - voire favoriser les tentations comme on l’a constaté dans le litige auquel est toujours confrontée l’école Paul Langevin après neuf années de procédures toutes initiées sur la base de documents grossièrement falsifiés [2].
On pourrait assurément faire plus simple en exigeant que les conservateurs expriment leur avis lors du recours gracieux.
Une autre création jurisprudentielle apporte depuis longtemps un soulagement très apprécié des justiciables en décidant de protéger efficacement les intérêts légitimes des requérants en les affranchissant du respect des conditions de recevabilité. Les conditions de délais pour agir en justice ne s’appliquent plus lorsque la juridiction administrative constate des situations frauduleuses. En effet, les conditions de délais s’appliquent comme un couperet dans toutes les autres situations. Le requérant convaincu d’avoir eu connaissance plus de deux mois avant d’avoir exercé un recours gracieux perd toute chance de continuer la partie.
La protection des justiciables contre les fraudeurs - ils sont nombreux en cette matière - s’inspire de la règle « fraus omnia corrumpit » mais également de la théorie de l’inexistence juridique des actes frauduleux. Renoncer à l’application rigoureuse des conditions de délai est une décision de bon sens inspirée du refus d’accorder une prime à la fraude. Au cours des dix dernières années la Haute juridiction a appliqué cette protection une bonne trentaine de fois. Nous reviendrons sur les accidents de parcours de cette jurisprudence dans la deuxième partie.
La loi organique du 17 décembre 2020 introduit le recours en révision en lieu et place de la rétractation avec cette fois une pénalité minimale de 500 000 Francs CFA pour décourager les amateurs - ils sont nombreux quand c’est sans frais - de procédures dilatoires et abusives. Seront-ils dorénavant moins nombreux ? C’est en tout cas une amélioration par rapport aux maigres amendes qui n’avaient guère de chance de décourager les adeptes du dilatoire ne serait ce qu’en considération des intérêts en jeu. Ce n’est pas pour rien qu’on raconte encore que : « Qui achète un terrain achète un procès ».
Art. 99.- « Il peut être formé, devant le Conseil d’Etat, un recours en révision :
1°contre les arrêts rendus sur pièces fausses ;
2° si la partie a succombé pour n’avoir pas présenté une pièce décisive retenue par son adversaire ou produite mais non prise en compte par la juridiction ;
3° si l’arrêt du Conseil d’Etat est intervenu sans qu’aient été observées les dispositions des articles 35, 47, 74 et 82 de la présente loi organique.
Le recours en révision est recevable dans le délai d’un mois à compter de la notification ou de la connaissance acquise de l’arrêt.
Toutefois, le délai prévu à l’alinéa précédent court à compter de la découverte du faux ou de la pièce décisive retenue par 1 ’adversaire.
Le demandeur en révision qui succombe est condamné au paiement d’une amende dont le montant ne peut être inférieur à la somme 500 000 francs CFA, outre les autres frais ».
Bien que le texte soit parfaitement clair sur la recevabilité certains avocats se sont aventurés à déposer un recours en révision dans le mois qui suit le prononcé de l’arrêt querellé ce qui leur fait prendre le risque de commenter un arrêt qui ne sera disponible que quelques mois plus tard c’est-à-dire au moment où ils ont retiré au greffe une expédition ou la grosse de l’arrêt.
Ces imprudents auraient-ils un don de divination ? Il est plus sérieux de considérer qu’ils n’ont, à l’évidence, pas pu déposer leur recours dans les 30 jours de l’arrêt en conséquence de quoi il pourrait, le cas échéant, leur être reproché d’avoir commis un faux en écritures publiques. Situation ubuesque qui a néanmoins implicitement recueilli le soutien du ministère public dans un élan de contorsion d’autant plus remarquable qu’un faux en écritures publiques relève par nature du pénal donc du Parquet. C’est ce genre de complaisance voire de parti pris qui fragilise l’efficacité de l’avancée du droit et obligera la Haute juridiction à passer l’incongruité sous silence ou à rappeler que les conclusions du Procureur général sont de simples avis.
L’article 99 est limpide, le délai de recours d’un mois court non pas à compter de l’arrêt mais de sa notification ou de sa connaissance acquise. L’affaire en cause actuellement en cours fera certainement date dans les annales de la jurisprudence administrative.
Quand on constate les tentations dilatoires qui sévissent encore il semble que la pénalité mériterait d’être augmentée, au cas par cas et spécialement en cas de fraude avérée puisque le Conseil d’État dispose de ce pouvoir. Mais c’est déjà une petite révolution quand on constate qu’en France les chambres civiles de la Cour de cassation peuvent passer des heures pour prononcer de faibles amendes qui ne découragent évidemment pas notamment les banques et les compagnies d’assurance qui jouent le temps à l’épreuve des nerfs. Le Conseil d’État travaille :
- Pièce nouvelle non produite au cours de la procédure :
« Considérant qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction et des pièces du dossier, notamment du bordereau des pièces produites dans la requête en annulation pour excès de pouvoir du 10 juillet 2015, que l’état domanial n° 02383 du 17 octobre 2014 du Ministre de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme est une pièce nouvelle qui n’a pas été produite par la société SIGU au cours de ladite procédure ayant donné lieu à l’arrêt attaqué ; qu’ainsi, le moyen, non fondé, doit être rejeté ; qu’il y a lieu, dès lors, de rejeter la requête.
Sur l’amende, considérant qu’il résulte de l’article 99 alinéa 3 de la loi du 27 décembre 2018 sur le Conseil d’Etat que le demandeur en révision qui succombe est condamné au paiement d’une amende dont le montant ne peut être inférieur à la somme de 500 000 francs, outre les autres frais » [3].
- Argument de non prise en compte d’une pièce pourtant produite :
Pourtant le recours en révision peut-être couronné de succès comme le montre la très remarquable décision rendue le 8 mai 2024 sous la présidence du Conseiller d’Etat Célestin Dadje. Le Conseil d’Etat relève les insuffisances d’un arrêt rendu le 14 décembre 2022 :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction et des pièces du dossier que la société Doumbia Moussa Transport a produit, dans ses observations après rapport, réceptionnées le 24 mai 2022 dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt attaqué, ledit mémoire ; que la Haute Juridiction Administrative, dans ses motivations tendant à la confirmation de l’existence du lot n° 526 bis, s’est contentée de l’état foncier du 17 août 2016 établi par le Conservateur de la Propriété Foncière et des Hypothèques de Yopougon 1 et de l’extrait topographique du Géomètre Expert assermenté Soro Nanga Didier.
Qu’il s’ensuit que le moyen tiré de la non prise en compte de cette pièce décisive par la Cour est bien fondé ; qu’il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, de rétracter l’arrêt attaqué et de procéder au réexamen de la requête initiale de la société Doumbia Moussa Transport dite DMT » [4].
- Mais l’on relève surtout des décisions de rejet :
Considérant que, pour solliciter la révision de l’arrêt attaqué, monsieur Coulibaly Kinabédoni invoque la non-prise en compte de la pièce relative au recours administratif préalable qu’il a produite dans sa requête.
Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction et des pièces du dossier que monsieur Coulibaly Kinabédoni a produit une copie du recours administratif préalable au cours de l’instance ayant abouti à l’arrêt attaqué ; qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé ; qu’il y a lieu de rejeter la requête.
Considérant que monsieur Coulibaly Kinabédoni succombe ; qu’il y a lieu de le condamner au paiement d’une amende de cinq cent mille (500 000) francs [5].
- Absence de pièce décisive : tentative pour ressusciter un faux :
« Considérant qu’il résulte de l’article 99 de la loi organique n° 2020-968 du 17 décembre 2020 déterminant les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du Conseil d’État qu’un recours en révision peut être formé si la partie a succombé pour n’avoir pas présenté une pièce décisive retenue par son adversaire ou produite mais non prise en compte par la juridiction.
Considérant qu’il résulte de l’instruction et des pièces du dossier que le Conseil d’Etat a déclaré nulle et de nul effet la lettre d’attribution de monsieur Shittu Nourou pour « faux…voire… inexistence » ; que, dans ces circonstances, il ne s’imposait pas au Conseil d’Etat de statuer sur le moyen d’irrecevabilité invoquée, dans son mémoire, par monsieur Shittu Nourou ; qu’ainsi, ce dernier n’est pas fondé à invoquer la non-prise en compte de pièces décisives produites pour solliciter la révision de l’arrêt attaqué et sa requête doit être rejetée.
Considérant qu’en l’espèce, monsieur Shittu nourou succombe ; qu’il y a lieu de le condamner au paiement de la somme de 500 000 francs CFA, en application du texte susvisé » [6].
Cette décision est très importante en ce qu’elle ferme la porte aux petits malins qui ne manqueront pas de tenter de contourner l’obstacle de la nullité pour faux par des arguments de faible portée par rapport au principe « fraus omnia corrumpit » qu’il n’est pas inutile de rappeler même s’il est implicite dans le raisonnement de la Cour. Face à la nullité pour faux … voire inexistence rappelle l’arrêt,… il ne s’imposait pas au Conseil d’Etat de statuer sur le moyen d’irrecevabilité invoquée, dans son mémoire, par monsieur Shittu Nourou ». L’arrêt enfonce le clou en précisant « qu’ainsi ce dernier n’est pas fondé à invoquer la non-prise en compte de pièces décisives produites pour solliciter la révision de l’arrêt attaqué ».
Il faut saluer cette création jurisprudentielle non seulement en ce qu’elle ajoute une restriction importante aux conditions d’ouverture à la révision, énoncées à l’article 99 de la loi organique mais surtout en ce qu’elle installe un véritable bouclier contre la fraude en l’empêchant de la ressusciter. Sauf que le ministère public n’a manifestement pas toujours compris le message comme on le verra plus loin.
Un requérant sorti par la porte ne peut ressurgir par la fenêtre.
Une autre restriction non prévue par l’article 99 mérite d’être évoquée - même si elle semble aller de soi - en qu’elle met l’accent sur une tentative qui consiste à faire entrer dans la procédure un intrus qu’on pourrait qualifier de fausse tierce opposition :
« Considérant qu’il est de principe que le recours en révision n’est ouvert qu’aux personnes présentes ou représentées dans l’instance ayant abouti à la décision juridictionnelle objet dudit recours.
Considérant qu’il résulte de l’instruction et des pièces du dossier que ni feu Abihi Théodore ni monsieur Abi Gaba Adolphe n’étaient présentes ou représentées à l’instance ayant abouti à l’arrêt attaqué ; que monsieur ABI Gaba Adolphe n’est donc pas recevable à exercer un recours en révision contre l’arrêt n° 386 du 29 décembre 2021 du Conseil d’Etat ; qu’ainsi, sa requête doit être déclarée irrecevable » [7].
Dans le recours en révision de l’affaire Paul Langevin la procédure a laissé pénétrer, probablement par mégarde, un passager clandestin dont le recours avait été rejeté par arrêt n° 97 du 20 avril 2022.
À l’exception de cette balle perdue, c’est donc une véritable « Muraille de Chine » que le Conseil d’Etat s’applique à consolider chaque fois qu’une nouvelle tentative cherche la faille. On découvrira que l’affaire de l’école Paul Langevin offre un florilège de falsifications et de manœuvres frauduleuses qui atteint le niveau de gravité le plus élevé de toutes les affaires jugées par la Haute juridiction administrative ce qui explique qu’elle a pu durer déjà neuf années sans la moindre base légale grâce à des influences. Situation désagréable pour l’image de la Justice qui prouve qu’il y a encore des efforts à faire.
2. Les sorties de route du ministère public.
Le thème de la recevabilité des recours pour excès de pouvoir est très sensible parce que lié d’une part au délai de deux mois qui tombe trop vite à notre avis et d’autre part à la connaissance antérieure du litige qu’avait le requérant.
Délais de recours.
« Considérant qu’aux termes de l’article 60 de la loi sur la Cour Suprême, le recours devant la Chambre Administrative doit être introduit dans le délai de deux mois à compter, soit de la notification du rejet total au partiel du recours administratif, soit de l’expiration du délai prévu à l’article 59, selon lequel tout recours administratif préalable dont l’auteur justifie avoir saisi l’Administration et auquel il n’a pas été répondu dans un délai de quatre mois, est réputé rejeté à la date d’expiration de ce délai.
Considérant qu’en l’espèce, Monsieur Kouakou Koffi Martial et Madame TANO Amon Esther Anastasie, en saisissant la Chambre Administrative seulement le 02 avril 2014 alors même qu’ils ont exercé un recours gracieux le 25 janvier 2013 dont ils ont eu connaissance du rejet le 04 septembre 2013, ont excédé le délai de deux mois qui leur est imparti, conformément à l’article 60 susvisé.
Que par suite, leur requête intervenue tardivement est irrecevable » [8].
Connaissance antérieure.
« Considérant qu’en application des dispositions combinées des articles 57, 58 et 60 de la loi sur la Cour Suprême et de la jurisprudence constante de la Chambre Administrative, les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des autorités administratives ne sont recevables que s’ils sont précédés d’un recours administratif préalable, gracieux ou hiérarchique, exercé dans le délai des deux (02) mois à compter de la publication, de la notification ou de la connaissance acquise de la décision entreprise.
Considérant qu’il résulte des pièces du dossier, notamment du « rapport d’expertise immobilière judiciaire », de monsieur Aka Aka Paul et produit aux débats par la société Copagri elle-même, que celle-ci a eu connaissance au mois de mars 2013, de l’existence des actes querellés réattribuant les parcelles disputées à la société Cimaf ; qu’en exerçant son recours gracieux les 29 et 30 juillet 2013, soit plus de trois (03) mois après la connaissance acquise des actes entrepris, la société Copagri a agi bien au- delà des délais légaux sus-indiqués ; que, dès lors, sa requête doit être déclarée irrecevable sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen d’irrecevabilité » [9].
La règle est sévère et ne peut qu’avantager un peu plus la situation des fraudeurs de tout poil qui de tout temps pullulent en cette matière comme ce fut le cas avant l’introduction du REP. L’arrêt Copagri ne précise pas les circonstances dans lesquelles le terrain a été réattribué à un proche par le ministre de la Construction de l’époque à l’insu du propriétaire légitime qui l’avait pourtant déjà mis en valeur à grands frais.
La rigueur de la règle est en outre incompatible avec les principes supérieurs tels que l’inexistence juridique des actes frauduleux et surtout la règle « fraus omnia corrumpit ». Disons le tout net, il y aurait quelque chose de très choquant à favoriser la fraude qui n’a cessé de faire des ravages.
C’est pourquoi la Haute juridiction a rappelé dans l’arrêt Deflorin qui fera le bonheur des doctorants les limites à la rigueur des délais au nom des principes :
« Considérant que, si l’administration en autorisant sur le fondement d’un acte obtenu frauduleusement, ne figurant pas dans ses archives, l’arrêté du 4 octobre 1999, la vente du terrain en cause à M. Deflorin, et en délivrant par la suite des certificats de propriété qui y sont relatifs a fait montre de légèretés susceptibles d’engager, devant le juge du plein contentieux, sa responsabilité pour réparer les préjudices subis par l’acquéreur de bonne foi du terrain ; qu’il n’en reste pas moins, qu’il est de principe que les décisions administratives obtenues à la suite de fraude peuvent toujours être rapportées car elles ne crées jamais de droits définitifs ; qu’il s’en suit, que ce moyen ne saurait être retenu » [10].
Autrement dit, face à la fraude, la question de la recevabilité ne se pose plus étant précisé que c’est la juridiction administrative qui décide de ce qui est frauduleux ou non à la suite de l’instruction de l’affaire par le Conseiller rapporteur.
« Considérant qu’il est de principe que l’acte administratif obtenu par fraude est insusceptible de conférer des droits définitifs ; qu’il est de jurisprudence constante que tout acte subséquent obtenu sur le fondement de documents frauduleux encourt annulation.
Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’acte administratif du 19 janvier 2004 délivré à monsieur Loua Kante Ouattara est reconnu comme un acte faux, inexistant dans les archives de l’AGEF et du Ministère de la Construction et de l’Urbanisme, ainsi que l’atteste le courrier du 20 mars 2014 du Directeur de l’AGEF et le mémoire en défense du Ministre de la Construction et de l’Urbanisme, parvenu le 27 avril 2015 au Secrétariat de la Chambre Administrative.
Considérant que, de ce qui précède, il résulte que l’acte administratif du 19 janvier 2004 délivré à monsieur Loua Kante Ouattara est manifestement inexistant et ne saurait créer des droits et servir de fondement à l’obtention du certificat de propriété foncière ; que, par suite, le certificat de propriété foncière n° 02004522 du 23 avril 2013 délivré à monsieur Doumbia Mamadou et le certificat de propriété foncière n° 02004714 du 13 août 2013 délivré à monsieur Djeffaga Sory et obtenus avec une célérité inhabituelle, sur la base de cet acte faux, doivent être considérés comme grossièrement frauduleux et être déclarés nuls et de nul effet, sans considération de conditions de recevabilité » [11].
Mais la Haute Cour peut aussi faire état de décisions de la justice pénale :
« Considérant, par ailleurs, que, par jugement contradictoire n°3217 du 15 juillet 2014, le Tribunal Correctionnel d’Abidjan a déclaré madame Kouadio Aya épouse Konan et monsieur Soumahoro Aboubakar coupables, respectivement, de faux et usage de faux portant sur des documents administratifs et les a condamnés à six (6) mois d’emprisonnement, à une amende de cinquante mille (50 000) francs et à payer solidairement des dommages et intérêts d’un montant de trois millions (3 000 000) de francs à monsieur Sylla Idrissa.
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les actes obtenus par monsieur Soumahoro Aboubakar sont manifestement frauduleux ; que, dès lors, monsieur Sylla Idrissa est fondé, sans considération de délai, à solliciter l’annulation du certificat de propriété foncière attaqué » [12].
À ce jour plus de trente décisions ont fait barrage à la fraude en écartant toute condition de recevabilité. Parfois la référence au principe « fraus omnia corrumpit » apparaît explicitement consolidant ainsi avec fermeté le bouclier.
« Considérant qu’il est de principe qu’un acte obtenu par fraude est insusceptible de conférer des droits acquis ; qu’ainsi, une lettre d’attribution, un arrêté de concession provisoire ainsi qu’un certificat de propriété, obtenus sur le fondement de documents frauduleux encourent annulation.
Considérant que la fraude utilisée par Monsieur Wognin Mélan Edmond a corrompu tous les actes administratifs délivrés à ce dernier ; que, dès lors, les actes contestés par les requérants doivent être déclarés inexistants, sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité de la requête » [13].
Appelons les choses par leur nom, la protection sanitaire instituée par la Haute juridiction pour pétrifier la fraude ne se limite pas à la corruption de l’acte attaqué elle induit aussi un effet de contamination :
« Considérant qu’il est de principe qu’un acte administratif obtenu par des manœuvres frauduleuses ne peut conférer de droits définitifs et encourt annulation.
Considérant qu’il résulte de l’instruction et des pièces du dossier, notamment de la correspondance n° 2258/MCLAU/SAJC/DML/YKE du 08 avril 2015 du Service des Affaires Juridiques et du Contentieux du Ministère en charge de la Construction et de l’Urbanisme, que l’AGEF, saisie aux fins d’authentification des actes administratifs délivrés à monsieur Seydou Coulibaly et aux époux Verrier, a, dans ses courriers précisé qu’au regard de ses archives, la propriété du lot n° 754, îlot n° 23, du lotissement de Yopougon-Ananeraie est reconnue à monsieur Seydou Coulibaly et que l’acte administratif détenu par les époux Verrier est un faux.
Qu’ainsi, l’acte administratif délivré aux époux Verrier, dont l’authenticité n’a pu être établie, est donc frauduleux et corrompt, par voie de conséquence, tous les actes administratifs obtenus sur son assise » [14].
La fraude avérée a pour conséquence l’inexistence des actes :
« Considérant qu’il est de principe qu’un acte obtenu par fraude est insusceptible de conférer des droits acquis ; qu’ainsi, une lettre d’attribution, un arrêté de concession provisoire ainsi qu’un certificat de propriété obtenu sur le fondement de documents frauduleux encourent annulation.
Considérant que la fraude utilisée par Monsieur Wognin Mélan Edmond a corrompu tous les actes administratifs délivrés à ce dernier ; que, dès lors, les actes contestés par les requérants doivent être déclarés inexistants, sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité de la requête ».
Une jurisprudence aussi constante protectrice des intérêts légitimes ne devrait pas poser de problème au ministère public qui s’en inspire habituellement dans ses conclusions comme il l’a fait le 20 février 2020 dans l’affaire de l’école Paul Langevin qui s’est terminée par l’annulation pour faux du certificat de propriété de celui qui s’était emparé du terrain domanial trente ans plus tôt sans jamais produire les originaux des actes qu’il revendique haut et fort jusqu’au jour où ça ne marche plus :
« Considérant que, par arrêt n° 71 du 27 mars 2019, la Chambre Administrative de la Cour Suprême a fait droit à la demande de l’AGEF aux fins de sursis à l’exécution de l’acte attaqué, au motif que le terrain litigieux, faisant partie du patrimoine de l’ex SETU qu’elle a remplacé, l’AGEF a intérêt à voir élucider les circonstances de la cession dudit terrain aux enfants MEYER puis à monsieur KOUDOU Dago ;
« Considérant que monsieur KOUDOU Dago, bénéficiaire du certificat de propriété foncière, sommé par l’AGEF et le Ministre de la Construction et de l’Urbanisme de produire l’arrêté de concession provisoire authentique, ne s’est pas exécuté ;
Que, dans ces circonstances, le certificat de propriété foncière du 30 octobre 2002 doit être regardé comme manifestement frauduleux et dépourvu de base légale ; que, dès lors, il doit être déclaré nul et de nul effet » [15].
Le ministère de la construction avait confirmé à la Haute Cour l’inexistence de l’arrêté de concession provisoire dans ses archives et le Procureur général avait soutenu, dans ses conclusions la jurisprudence constante précitée en présence de documents falsifiés ou inexistants. Là encore le ministère public s’inspire du principe universel « fraus omnia corrumpit »
« Ainsi l’AGEF a eu connaissance de l’existence dudit Certificat avant cette date ; cependant son recours hiérarchique en date du 06 juillet 2018, soit près d’un an après cette connaissance acquise, doit être tenu pour régulier en ce que l’AGEF fait valoir que le Certificat de Propriété Foncière attaqué est inexistant en raison d’une illégalité telle qu’il déjoue les délais de retrait et de recours, l’acte inexistant n’étant soumis à aucun délai de recours ; aussi la requête en annulation ensuite d’un tel recours doit- elle être déclarée recevable ».
Les choses se compliquent pourtant, fort étrangement lorsque l’affaire revient, sur requête en révision. Le même ministère public sous la direction d’un nouveau Procureur général semble frappé d’amnésie.
Prenant le contre-pied de son prédécesseur mais aussi contre l’avis du ministre de la Construction qui pour la deuxième fois propose l’annulation du certificat de propriété litigieux et le rejet du recours en révision, le PG fait l’impasse sur l’ensemble de la jurisprudence précitée et apporte un soutien remarqué au détrousseur du terrain domanial qui a disparu du domaine privé de l’État grâce à de scélérates magouilles totalement hors normes. Comprenne qui pourra.
Discussion en cours :
L’article de Me Jean PANNIER reflète parfaitement la situation de la justice en Côte d’Ivoire. La jurisprudence fournit des efforts pour lutter contre la fraude en matière de litiges fonciers mais demeure impuissante contre les malfaisants qui bénéficient de protections au point de faire durer un procès pendant neuf ans pour s’emparer d’un terrain domanial acquis grâce à des complicités et des documents falsifiés pourtant dénoncés par le ministère de la construction qui détient les archives.
L’école Paul Langevin est bâtie sur un terrain disparu du domaine privé de l’ Etat il y a 34 ans. On pourrait croire que le ministère public attache un point d’honneur à défendre le patrimoine de l’Etat contre le fraudeur. Hélas non car on dénombre non pas une mais six sorties de route de six avocats généraux qui, de 2017 à 2024, ont fermé les yeux sur la fraude et finalement pris le parti du fraudeur contre l’Etat.
Un seul avocat général a dénoncé la fraude et conclu en faveur de l’annulation du certificat de propriété frauduleux. Le Conseil d’Etat a finalement annulé le certificat frauduleux mais la bataille continue avec un recours en révision frauduleux ….mais soutenu par un autre avocat général qui n’a même pas soulevé le caractère frauduleux du recours en révision pourtant punissable de faux en écritures publiques impliquant le greffe..
Que fait le ministère de la justice qui a pourtant autorité sur les parquets pour neutraliser les « sorties de route » ? Après neuf années de procédure, une école primaire de 450 élèves est toujours menacée d’expulsion par un faux propriétaire.
Stéphane DALQUIER, Gérant du Groupe Scolaire Paul Langevin