- Patrick Lingibé
Comment est né le projet des Rencontres Territoriales de Droit public ?
"C’est un projet que j’ai créé en 2023 au regard de l’urgence qu’il y a à redynamiser le droit public dans les territoires, en associant tous les acteurs de terrain, mais également ceux intervenant au niveau national. L’idée est de mener une réflexion à partir d’un thème sociétal donné. Ces RTDP amènent donc un travail de réflexion commun des avocats, des juges administratifs et des universitaires associant les barreaux, les tribunaux et cours administratives d’appel, les universités, le Conseil d’Etat, la Conférence des bâtonniers de France et le Conseil national des barreaux.
J’en profite pour remercier la présidente du CNB Julie Couturier et les membres de son Bureau d’avoir été sensibles à ce projet que je portais et de l’avoir validé et soutenu. Je n’oublie pas mes premiers soutiens à ce projet qui sont l’ancien président Bruno Blanquer et le Président de la Conférence des bâtonniers de France, Jean-Raphaël Fernandez. Sans eux, ce projet n’aurait pas prospéré. Nous sommes fiers d’inaugurer cet événement de droit public pour la première fois à Montpellier qui est l’une des plus anciennes universités d’Europe notamment concernant l’enseignement du droit."
Pourquoi avoir choisi l’intelligence artificielle comme thème central de ces Rencontres ?
"Tout le monde s’interroge sur la place de l’IA au sein de notre société. Ce choix de l’IA est le fruit d’une réflexion commune menée par Caroline Laveissière, bâtonnière de Bordeaux, de Serge Deygas, ancien bâtonnier de Lyon et président de la commission numérique et services ordinaux à destination des avocats de la Conférence des bâtonniers de France, de Maxime Rosier, bâtonnier de Montpellier et de moi-même.
L’IA nous oblige à réfléchir sur notre devenir individuel, mais également collectif. C’est un enjeu sociétal majeur et il nous faut l’appréhender. C’est pour cette raison que le Conseil national des barreaux a décidé de créer un groupe de travail sur l’IA qui est présidé par Madame la vice-présidente élue du CNB, Hélène Laudic-Baron, ancienne bâtonnière de Rennes.
Le droit public est bien sûr concerné par ce sujet, notamment parce que le juge administratif est devenu un juge de proximité qui contrôle notamment les mesures de police administrative affectant les libertés publiques.
L’IA sera amenée à bouleverser nos vies, notre mode de pensée ainsi que nos libertés et il est important que les acteurs de la justice en droit public se positionnent sur les garanties et la protection des libertés publiques par rapport à cette immixtion croissante dans nos vies publiques et privées. Nous nous réjouissons de la participation du Conseil d’État, à travers la présence de Thomas Andrieu, représentant le vice-président du Conseil d’État, qui interviendra également à l’une des trois tables rondes. "
Quels sont les grands enjeux de l’IA pour les avocats ?
"Aujourd’hui, l’IA est au début de son développement et nous voyons déjà la place qu’elle prend dans les vies privées et professionnelles. Nous devons dès aujourd’hui nous préparer à gérer et à réguler ces outils pour que nous ne soyons pas dominés par eux. L’IA ne doit pas devenir quelque chose qui nous dépasse et qui remettrait en cause nos libertés fondamentales, alors que l’objectif central de notre société démocratique est de garantir effectivement l’efficience de nos libertés fondamentales. En tant qu’avocats, nous sommes des garants de la démocratie, des vigies des libertés. Nous l’avons bien montré d’ailleurs durant la période de la Covid, lorsque le CNB, la Conférence des bâtonniers de France, le Barreau de Paris et certains Ordres, dont celui d’ailleurs de Montpellier, ont pris l’initiative d’attaquer des dispositions excessivement restrictives prises par le Gouvernement. Je crois que l’IA va changer nos sociétés, il ne faut pas se faire d’illusions là-dessus. Mais, en tant qu’avocats, nous devons réfléchir à la manière de le maîtriser pour qu’il soit un outil d’accompagnement et d’aide et non pas un outil de soumission où la décision humaine n’existerait plus.
Mais nous nous questionnerons également sur les apports de l’IA et sur la manière pour que l’IA contribue notamment à la performance de l’avocat, pour un avocat augmenté en quelque sorte. Nous devons penser l’IA comme un élément qui permet justement non pas de contrôler les libertés, mais d’assurer l’efficacité du respect des libertés publiques et des valeurs humanistes. "