eAlerte fiscale du cabinet Landwell : Rapport de mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique.

eAlerte fiscale du cabinet Landwell : Rapport de mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique.

Rédaction du village

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Explorer : # fiscalité numérique # données personnelles # taxe incitative # Économie numérique

Par une lettre de mission en date du 24 juillet 2012, le gouvernement a confié à Monsieur Pierre Collin (conseiller d’Etat) et Monsieur Nicolas Colin (inspecteur des finances) une mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, visant notamment les géants américains Google, Apple, Facebook et Amazon. Leur rapport a été remis au gouvernement et publié le vendredi 18 janvier 2013.

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Ce rapport s’inscrit dans le prolongement d’un débat qui s’est ouvert depuis déjà 2 ans sur la fiscalité de l’économie numérique. Le débat parlementaire avait notamment donné lieu à la proposition de nouvelles taxes dont la taxe sur la publicité en ligne et la taxe sur le commerce électronique. Ces différentes initiatives parlementaires n’ont pas prospéré dans la mesure où elles faisaient face à des difficultés d’application et où l’objectif recherché n’était finalement pas atteint.

Dans le présent rapport une nouvelle piste voit le jour. Il s’agit d’introduire une fiscalité fondée sur l’utilisation gratuite des données personnelles des internautes comme fondement de la création de valeur. Le rapport part du constat que les entreprises de l’économie numérique exploitent les données personnelles de millions d’individus sur le territoire français sans que les revenus générés par cette exploitation soient fiscalisés en France.

Le rapport propose principalement, (i) à moyen et long terme, l’introduction de nouvelles règles sur la répartition entre les Etats du droit d’imposer spécifique à l’économie numérique par le biais de négociations internationales et, (ii) à court terme, l’instauration d’une nouvelle taxe incitative (taxe sur l’exploitation des données personnelles).

• Nouvelles règles de répartition du droit d’imposer

La définition conventionnelle actuelle de l’établissement stable (modèle OCDE) ne permet pas l’imposition en France du bénéfice des entreprises de l’économie numérique. En effet, les règles nationales et internationales de territorialité de l’impôt ne sont pas adaptées au caractère immatériel des facteurs de production et des échanges dans l’économie numérique.

Le rapport envisage la négociation d’une convention multilatérale tant au sein de l’UE qu’au sein de l’OCDE afin d’inclure une définition autonome de l’établissement virtuel qui permettrait d’attribuer le pouvoir d’imposer les entreprises du numérique à d’autres Etats qu’aux seuls Etats où ces entreprises sont physiquement établies.

Le rapport invite également l’Etat français à engager une renégociation des conventions fiscales bilatérales. Cette renégociation viserait principalement et prioritairement les conventions bilatérales liant la France à l’Irlande et au Luxembourg, territoires sur lesquels les grandes entreprises de l’économie numérique ont leur siège européen.

Le fondement conceptuel du rattachement territorial serait la reconnaissance d’un « travail gratuit » fourni par les utilisateurs, lequel contribuerait à la création de valeur. Ainsi, le fait de collecter des données auprès d’utilisateurs localisés en France pour rendre un service ciblé en France constituerait un établissement stable en France.

Le rapport souligne que ce droit d’imposition risquerait toutefois d’être privé d’effet par le jeu de versements à des entités étrangères de redevances rémunérant l’utilisation d’actifs incorporels tels que des algorithmes ou des logiciels. Selon le rapport, il conviendrait donc de considérer la capacité de mobilisation des utilisateurs et de collecte de données comme un actif incorporel rattaché à l’établissement stable français et dont la contribution devrait être rémunérée à sa juste valeur, au sens de l’article 57 du CGI.

Le rapport admet que la détermination de la valeur créée par les utilisateurs d’applications présenterait des difficultés mais que l’existence de données économiques propres au secteur numérique devrait fournir à l’administration fiscale française la possibilité de réaliser des études de « comparables ».

Le rapport relève que les redevances d’actifs incorporels ne peuvent faire l’objet de retenue à la source en France lorsqu’elles sont versées à des entités établies dans l’UE et envisage donc la conduite de négociations au sein de l’UE en vue d’éliminer les comportements non coopératifs d’Etats membres qui permettent aux redevances de transiter sur leur territoire en franchise de retenue à la source pour être finalement perçues par des entreprises établies dans des Etats à faible ou très faible fiscalité.

Par ailleurs, et en parallèle aux efforts de renégociation, le rapport préconise à l’administration fiscale de mettre en évidence, sur la base des règles en vigueur, les établissements stables dont disposent les sociétés étrangères du numérique au sein de leur filiale française (installation fixe d’affaires ou agent dépendant).

• Nouvelle taxe incitative (envisagée pour la loi de finances pour 2014)

Le rapport préconise la création d’une nouvelle taxe assise sur le nombre de comptes utilisateurs, qui auraient les caractéristiques suivantes :

Champ d’application : seraient concernées les entreprises, quel que soit leur Etat d’établissement, qui exploitent des données qu’elles collectent auprès d’utilisateurs localisés en France. Seules les données issues du suivi régulier et systématique de l’activité des utilisateurs seraient concernées. La taxe ne s’appliquerait cependant
qu’au-delà d’un seuil exprimé en nombre d’utilisateurs, en distinguant les utilisateurs identifiés des utilisateurs anonymes.

Un tarif unitaire par utilisateur serait déterminé en fonction du positionnement de l’entreprise sur une grille de comportement. Plus le redevable adopte des comportements « conformes » dans sa pratique de collecte, de gestion et d’exploitation de données, moins le tarif unitaire serait élevé (il irait jusqu’à s’annuler).

Des pratiques « conformes » seraient, par exemple, une information complète de l’utilisateur sur la nature des données collectées (notamment sur ses traces de navigation), le recueil de son consentement de manière claire et accessible, un accès simple aux données personnelles depuis l’interface principale, une interface lisible par les logiciels de protection des données personnelles, la possibilité de portabilité des données personnelles de l’utilisateur en cas de fermeture du compte ou la possibilité de ménager un accès, sous le contrôle de l’utilisateur, aux données à des tiers qui proposeraient de nouveaux services.

A l’inverse, des pratiques « non-conformes » seraient, par exemple, une information insuffisante sur la collecte ou une interface peu ergonomique pour accéder aux données et les rectifier.

La progressivité de la taxe en fonction des comportements des contribuables permettrait d’assurer sa constitutionnalité. En effet, une taxe assise sur la quantité de données collectées par les entreprises ne respecterait pas le principe d’égalité devant l’impôt, qui suppose que la charge fiscale soit en rapport avec la capacité contributive du contribuable, la quantité de données collectées ne reflétant pas nécessairement le profit réalisé par le contribuable.

En revanche, cette taxe serait valable si elle a pour finalité d’inciter les redevables à adopter un comportement « conforme » à des objectifs d’intérêts général. Selon le rapport, cette nouvelle taxe se rapprocherait, dans son esprit, de la taxe générale sur les activités polluantes ou de la « taxe carbone ».

La taxe serait établie sur la base de deux déclarations :

- Le volume des données collectées et exploitées serait quantifié par l’entreprise elle-même, sous le contrôle de l’administration fiscale. En cas de méconnaissance de cette obligation déclarative par des entreprises non établies en France, la taxe serait assise sur les flux de données qui sortent du territoire français ;

- L’entreprise devrait demander à des tiers indépendants de déterminer, au moyen d’audits externes, le tarif qui lui est applicable d’après la qualification de ses comportements et pratiques au regard des critères fixés dans la grille de tarif.

A titre expérimental, la taxe pourrait être appliquée dans un premier temps uniquement aux plateformes applicatives (telles que App Store, Google Play Store, Blackberry App World ou Kindle Fire Apps).

Cette nouvelle taxe, si elle voit le jour, placerait la France à l’avant-garde en matière de fiscalité de l’économie numérique et serait un moyen pour la France d’imposer ses propres standards en termes de protection des données personnelles. Elle aurait donc potentiellement un impact en termes de définition des politiques de gestion des données et intéressera au plus haut point l’ensemble des acteurs du marché.

Cependant, cette nouvelle proposition de taxe pourrait faire face à diverses difficultés d’application notamment en termes de légalité, de recouvrement et de contrôle.
Ainsi, Monsieur Retailleau, sénateur et rapporteur pour avis de la commission des finances sur la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, a jugé que le rapport était « excellent intellectuellement » mais la « traduction pratique et opérationnelle » semblerait « fort délicate ».

Le Conseil National du Numérique devrait d’ailleurs prochainement examiner cette piste afin d’en apprécier la faisabilité.

Il sera également utile de suivre comment ces initiatives françaises pourraient s’inscrire dans le cadre du plan d’action de l’OCDE contre l’évasion fiscale qui doit être proposé au prochain G20 Finances les 14 et 15 février.

Rédaction du village

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