L’exploitation d’une officine par le pharmacien peut se faire à travers plusieurs vecteurs. C’est d’ailleurs l’une des premières causes d’interrogations des pharmaciens désirant exploiter au mieux leurs fonds. Au surplus, c’est aussi l’une des premières causes du manque d’optimisation de ces derniers.
Les pharmaciens d’officine, qu’ils soient titulaires, adjoints, remplaçants ou gérants après décès sont donc concernés par la problématique de la forme d’exploitation. Cette problématique dépasse ainsi le « pharmacien » tel que retenu par le Code de la santé publique à savoir les seuls diplômés remplissant les conditions d’exercice.
L’exercice et l’exploitation des officines fait historiquement l’objet d’une réglementation plus particulière participant au monopole et au système de santé français. Aujourd’hui, l’article L 5125-17 du CSP fait obligation aux pharmaciens d’être propriétaires de l’officine dans laquelle ils sont titulaires et leur permet par ce truchement de l’exploiter sous la forme d’entreprise individuelle ou de société. C’est à ce moment que se pose pour eux la question du choix le plus approprié pour exercer leur métier.
A titre de rappel, il convient de souligner que les autorisations d’exploitation sous les formes telles que répandues de nos jours, sont assez récentes. Aussi, l’exploitation des officines sous forme d’EURL n’est autorisée que depuis les lois du 11 juillet 1985 et du 11 février 1994, 1990 pour les SELARL, SELAFA et SELCA ; 2001 pour les SELAS et leur forme unipersonnelle (SELASU) ; et depuis le 23 juin 1999 pour son pendant à responsabilité limitée (SELURL).
Dès lors, quelle structure choisir ? Une réponse à une telle question semble d’emblée aisée si l’on se contente de se focaliser sur les contraintes inhérentes à chaque forme sociale.
En revanche, la réponse à la question de la forme qui conviendrait le mieux aux pharmaciens est quant à elle beaucoup plus épineuse. En effet, en pratique, la majorité des praticiens désirant exercer sous forme de société sont principalement intéressés par le soulagement de pression fiscale qu’engendre un tel exercice.
Il est sans conteste permis d’affirmer qu’il n’existe pas de forme « parfaite » et « idéale » pour l’exploitation d’une officine.
A titre préliminaire, nous pouvons affirmer que d’un point de vue empirique, l’entreprise individuelle demeure l’apanage des « petites » officines. Il est cependant patent que l’exploitation des officines en nom propre est devenue minoritaire ! La tendance étant à l’association notamment en société.
La fiscalisation des activités commerciales et libérales est aujourd’hui une notion cardinale bien intériorisée par les détenteurs d’officine. En effet, la pression fiscale française a poussé les praticiens à s’interroger sur les moyens d’optimiser leur situation.
Les dernières données du conseil de l’ordre des pharmaciens confirment cette tendance à l’exercice en société. En 2015, le nombre d’officines exploitées en société toutes formes confondues était de 49%, supplantant de loin le mode d’exercice individuel avec une croissance exponentielle des Sociétés d’exercice libérales dont le nombre s’est vu multiplié par 25 entre 2005 et 2015, toujours selon l’ordre concerné.
C’est un fait, l’entreprise individuelle privilégie l’immédiat, la société, elle, accorde beaucoup plus d’importance au futur.
Les pharmaciens s’associent donc, c’est établi. Mais pour quelles raisons ? Pourquoi un tel engouement pour les sociétés d’exercice libérale ? Au delà des spécificités des SEL unipersonnelles, plusieurs causes justifient l’association en pharmacie : besoin important en capital, exigence d’un pharmacien diplômé au delà de certains seuils qui est dispensé par le recours à un associé…
Mais ce sont surtout des considérations financières et fiscales qui guident le plus souvent le passage en société d’exercice libéral (SEL) du praticien d’officine.
Dès lors, plusieurs interrogations, souvent les mêmes, font surface lors de la volonté de passage en SEL. En effet, les principales préoccupations des exploitants restent celles du commun des mortels à savoir optimiser les flux financiers de l’entreprise mais surtout diminuer la pression fiscale dont ils font l’objet.
Aussi, sans pour autant vanter les mérites des sociétés d’exercice libéral, il convient cependant de mettre l’accent sur les différences fiscales qu’elles induisent à différents moments de la vie de la SEL en se focalisant sur les incidences fiscales au jour de la constitution de la SEL (I), au cours de sa vie (II) et enfin lors de sa transmission (III).
I – Le passage en SEL : fiscalisation à facettes
Le choix de passer en SEL tient pour une bonne part à la prise en compte de l’effet de levier fiscal lié au régime de l’impôt sur les sociétés, nous l’avons dit.
Le choix entre le régime B.N.C, imposable à l’impôt sur le revenu, et une société soumise à l’impôt sur les sociétés n’est pas neutre. Cette décision emporte des conséquences fiscales et sociales, mais également financières.
Les transformations en SEL de sociétés ou d’autre formes juridiques sont en pratique soumises aux règles générales qui régissent les transformations de sociétés. Il en résulte en particulier que, dans l’hypothèse où l’opération se traduit par un changement de régime fiscal, il sera appliqué le régime des cessations d’entreprises (CGI art. 202 ter).
L’apport en société d’une activité libérale individuelle entraîne alors la cessation d’activité avec les conséquences fiscales attachées habituellement à la réalisation de cette opération : imposition immédiate des bénéfices non encore taxés et des plus-values sur éléments d’actif affectés à l’exercice de la profession.
Cela exposé, l’exercice au sein d’une SEL se fait généralement par le truchement de deux techniques : l’apport de l’officine à la SEL ou la vente à la SEL de l’officine exploitée individuellement, aussi appelée achat à soi même.
L’apport d’une officine au capital d’une SEL
L’apport d’une officine au capital d’une SEL génère autant d’avantages que d’inconvénients, sur les plans financiers et fiscaux.
Schématiquement, cela se traduit par le transfert de propriété de l’officine antérieurement exploitée par le praticien au profit de la nouvelle SEL créée.
Ce transfert se fera en échange de parts sociales ou d’actions selon la forme choisie, c’est ce qu’on appelle un apport en nature.
De par sa forme, un tel apport suscite des conséquences à commencer par la nécessité d’évaluer ce dernier. S’il est possible, dans les formes à responsabilité limitée, d’éviter de recourir à une telle évaluation lorsque cet apport est inférieur à 30.000 euros, il sera obligatoire au sein des SELAS, SELCA et SELAFA. Dès lors, il conviendra d’anticiper le coût du recours à un commissaire aux apports, c’est une des première conséquences financières d’un tel apport.
En outre cet apport entraine l’exigibilité immédiate des créances antérieures mais nécessite également le paiement de droits fiscaux et des plus values réalisées, sous réserve du bénéfice des régimes de faveurs prévus légalement
Première conséquence de l’apport : les droits de mutation
Si les sommes en numéraires, donc en cash, sont exonérées du paiement de droits fiscaux à la constitution des sociétés, il en va différemment des apports en nature dont fait partie l’officine.
Sans entrer dans le détail, l’apport de la pharmacie qui peut donc se faire à titre pur et simple (en échange de titres) ou à titre onéreux (avec prise en charge du passif de l’officine) est heureusement et uniquement taxé à un droit fixe de 375 euros allant jusqu’à 500 euros dans le cas d’un apport d’au moins 222.000 euros (ce qui est généralement le cas de toutes les officines).
Cependant attention ! Cette exonération de droits de mutation n’aura vocation à s’appliquer qu’à la condition que l’apporteur s’engage à conserver ses titres reçus en contrepartie de l’apport pendant une durée minimale de 3 ans.
Il sera ici conseillé aux praticiens de procéder à la rédaction d’un acte d’engagement de conservation et d’enregistrer ce dernier auprès du service des impôts compétent.
Et si, par malheur, l’apporteur venait à ne pas respecter ses engagements, le montant total de son apport serait alors taxé à un droit équivalent à 5% de la valeur de l’officine, après un « généreux » abattement de 23.000 euros ; sanction dissuasive.
Deuxième conséquence : l’exigibilité des plus-values d’apport
Fort d’avoir évité le paiement des droits de mutation, le pharmacien désireux de basculer en SEL aura également pour but d’éviter le paiement des douloureuses plus-values. En effet, La seconde conséquence immédiate de l’apport d’une officine à une SEL, reste l’imposition théoriquement immédiate plus-values.
Nous écarterons le régime réservé aux petites entreprises qui ne concernent en rien les pharmacies en raison de leur valeur intrinsèque.
L’administration fiscale, dans sa « grande mansuétude » ouvre la possibilité de se soumettre à deux régimes distincts quant aux plus-values réalisées.
Le régime normal d’imposition des PV
Au terme de ce dernier, les actifs amortissables détenus depuis moins de 2 ans et cédés seront taxés selon le régime des plus-values à court terme, ce qui implique que ces sommes seront taxées comme un résultat d’exploitation !
Pour les actifs de plus de deux ans, la plus-value supportera une taxation de 16% auxquels s’ajouteront les prélèvements sociaux à hauteur de 15.5%, soit un total de 31,5% !!
Le report d’imposition des PV
Fort de ces précautions, le pharmacien pourra, en respectant des conditions assez restrictives, bénéficier du régime favorable du report d’imposition de sa plus-value !
Bénédiction pour les apporteurs d’officines exploitées sous un régime d’impôt sur le revenu, l’article 151 octies du CGI permet en effet, de soulager la taxation qu’emporte un tel apport. En effet l’apport de l’ensemble des actifs immobilisés permet de bénéficier d’un report de taxation de la plus-value générée.
Le pharmacien apporteur bénéficiera en d’autres termes d’un sursis d’imposition de sa plus-value. Mais attention à ceux qui seraient tentés de se séparer des titres obtenus dans la foulée. Le législateur a effet prévu de faire tomber ce report dans le cas d’une cession à titre onéreux des titres reçus et ayant bénéficié de ce report ! Le pharmacien aura tout intérêt à attendre sa retraite pour bénéficier d’un autre régime de faveur lié à cet événement (Article 151 septies A du CGI).
Finalement, pour qui la solution de l’apport d’officine trouve-t-elle à s’appliquer ? La réponse est mitigée mais permet d’affirmer que cette option reste l’idéale pour le pharmacien dont la cession qu’il envisagerait générerait une PV trop importante dans le cadre d’une éventuelle cession à la SEL nouvellement constituée. Si l’apport a pour aspect négatif de ne pas dégager de liquidités pour le pharmacien apporteur, elle lui évitera tout de même de dépenser celles en sa possession pour le règlement des PV exigibles.
La vente de l’officine à la SEL
L’autre solution adoptée par les pharmaciens exploitant à titre individuel leur officine pour organiser leur basculement en SEL est la vente de leur officine à la société nouvellement créée, aussi appelé vente à soi même.
D’emblée, précisons qu’une telle opération a le mérite de dégager un disponible financier immédiat.
En effet, schématiquement, il est question de la SEL qui contracterait un financement pour racheter l’officine exploitée jusqu’alors par le pharmacien.
Ce faisant, le pharmacien se voit rémunérer à hauteur du prix de vente de son officine, la nouvelle SEL devant alors rembourser l’emprunt contracté.
Cette situation est plus simple et plus intéressante à court terme. Cependant, si elle permet de dégager des liquidités rapidement, elle a l’inconvénient de rendre les plus-values exigibles immédiatement pour le vendeur. Du coté du vendeur, celui-ci aura alors l’obligation de régler les plus-values (souvent très importantes) générées par cette vente.
Du coté acheteur, la SEL apurera progressivement l’emprunt et se verra propriétaire de l’officine anciennement exploitée individuellement tout en réglant des droits de mutation sur la valeur totale du fonds.
Dans quel cas le pharmacien vendra son officine à sa SEL ? Ce dernier aura intérêt à procéder à une cession notamment lorsqu’il l’aura acquise à un autre confrère non longtemps avant cela, limitant ainsi drastiquement là plus-value générée.
II – Régime fiscal des SEL : imposition des sociétés
Personne morale à part entière, les SEL sont assujetties à la fiscalité des entreprises.
Le principe est évidemment, pour les SEL ; la soumission à l’impôt sur les sociétés. Aussi, les bénéfices se trouvent taxés soit à 15% jusqu’à 38.120 euros et à 33,33% au delà, que ce bénéfice soit distribué ou non.
A titre comparatif, dans le cas d’un exercice individuel soumis à l’impôt sur le revenu, le pharmacien est assujetti à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Ce régime soumet le pharmacien à l’impôt sur le revenu sur la totalité du bénéfice fiscal dégagé par son activité. Les sommes générées par sa pharmacie sont ainsi incorporées dans le barème progressif de l’impôt sur le revenu.
C’est ainsi que le taux marginal maximum d’impôt sur le revenu de 45% est très vite atteint, pénalisant ainsi le patrimoine du pharmacien de telle sorte que tout est considéré comme du revenu taxable. C’est la différence majeure avec le régime des sociétés qui ne fiscalisent que les bénéfices générés.
Les sociétés et leur régime permettent de limiter la pression fiscale sur les revenus générés par les pharmacies. De plus, une société permet notamment de panacher et optimiser la rémunération du dirigeant, pierre angulaire des préoccupations des exploitants.
Dès lors comment cette pression fiscale se voit elle diminuée ?
Premièrement, précisons que dans le cas d’une société soumise à l’IS, les rémunérations versées aux dirigeants, et donc aux pharmaciens en exercice, sont déductibles du résultat généré par la pharmacie ; déduction impossible dans le cadre d’un exercice individuel.
Deuxièmement, ce régime permet de mixer les modes de rémunération. Il est dès lors possible d’accorder des dividendes aux dirigeants.
En quoi est ce un mode de rémunération intéressant ? Les dividendes se voient fiscalisés et intégrés à l’Impôt sur le revenu du bénéficiaire, après un « généreux » abattement de 40%.
De plus, les dividendes accordés aux dirigeants sont exonérés de cotisations sociales dans la limite de 10% du capital social, cette exonération permet d’éviter une taxation de ces revenus à hauteur de 15,5%… Souvenez vous que l’apport permet de fortement capitaliser une SEL… intéressant !
Troisièmement, les mécanismes du droit des sociétés permettent également de réduire la fiscalité des revenus réinvestis, ceux ci n’ayant été fiscalisés qu’à hauteur de l’IS, ne supportant qu’un taux « réduit » en comparaison avec ceux imposés par le barème progressif.
Finalement, pour qui ? pourquoi ? Il est clair que le recours au régime de l’impôt sur les sociétés et les différentes options seront alors intéressants dès lors que le pharmacien se trouvera dans la tranche d’imposition à 40% du barème progressif de l’impôt sur le revenu ..
III – La fiscalité des transmissions de parts et actions des SEL.
Les pharmaciens exploitant sous forme de SEL expriment également le besoin de transmettre leur officine. Les transmissions à titre onéreux entrainent également la mise en œuvre d’impositions ciblées.
Le régime applicable diffère évidemment selon que la société soit sous forme de SARL (on parlera donc de SELARL/SELARLU) ou de SAS (on parle alors de SELAS / SELASU).
Concernant la SELAS, les cessions d’actions ouvrent droit à la perception d’un droit de 0,1% par le service des impôts compétent indexé sur le montant total de la cession envisagée (Article 150 O-D du CGI).
Au cours de cette opération, une plus-value est généralement réalisée par le pharmacien qui, en théorie, cèdera ses titres plus cher qu’au prix auquel il les aura achetés. Il aura alors droit à un abattement en fonction de la durée de détention à hauteur de 50% si les actions ont été détenues entre 2 et 8 ans allant jusqu’à 65% au delà.
Si le praticien est en phase de partir en retraite, il bénéficie alors encore des faveurs de l’administration fiscale puisqu’il pourra bénéficier d’un abattement fixe à hauteur de 500 000 euro et de 50% d’abattement si les actions ont été détenues entre 2 et 4 ans, 65 % entre 4 et 8 ans et 85% au delà… (Article 150 0-D ter du CGI)Mais attention ! il restera néanmoins redevable des cotisations sociales à hauteur de 15,5 % sur le montant total de la cession envisagée.
Concernant la SELARL ; on parlera alors de cessions de parts sociales. Ces dernières donneront lieu au paiement d’un droit à hauteur de 3% sur le prix des parts après abattement de 23.000 euros.
Les mêmes exonérations quant aux plus-values étant valables pour les SELARL/SELARLU.
Finalement, quelle réponse apporter à la question consistant à connaître la meilleure forme sociale avec la meilleure fiscalité ? une telle réponse appellera une analyse poussée de la situation personnelle, sur le plan patrimonial et professionnel, du praticien. Mais il conviendra également d’envisager ses projets, ambitions et volontés à court et long terme.
En effet, le choix du passage en SEL n’étant pas sans conséquence, une telle opération méritera d’être mûrement réfléchie par le praticien et surtout que ce dernier soit accompagné sur les plans financiers, juridiques et comptables.
Si cette forme sociale connaît aujourd’hui un engouement certain, il est néanmoins important de bien analyser les conséquences induites par ce choix et de procéder à une balance coût/bénéfices en arbitrant entre les avantages et inconvénients générés.